BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Benjamin Constant

1767 -1830

 

Wallstein

 

1809

 

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Notes historiques.

 

1)

Wallstein.

Albert-Wenceslas-Eusèbe de Waldstein, Wallenstein, ou Wallstein, naquit le 14 septembre 1583, à Prague, d'une famille noble, qui professait la croyance luthérienne. Son père s' appelait Guillaume de Wallstein, seigneur d'Hermannitz, et sa mère Marguerite de Schmirfitzky. On l'envoya, dans sa première jeunesse, à une école de Silésie où les protestans des contrées voisines faisaient élever leurs enfans. Il y montra bientôt le caractère impétueux et altier qui depuis le rendit si remarquable; et sa conduite irrégulière le fit renvoyer de cette école. Il conserva toute sa vie le souvenir de cette circonstance de ses premières années; et, trente ans après, étant en Silésie, comme Généralissime de l'Empereur Ferdinand, il fit chercher par des soldats son vieux maître d'école, qui parut en tremblant devant lui. Wallstein, après s' être amusé quelque tems de sa frayeur, le renvoya comblé de présens. Wallstein fut placé comme page à la cour du Margrave de Burgovie, Prince de la maison d'Autriche, qui le fit voyager dans presque toute l'Europe. Il se distingua dans ses voyages par la facilité singulière avec laquelle il apprenait les langues, et adoptait les moeurs des pays qu'il parcourait: on le surnomma l'Alcibiade de son tems. Il fit ensuite une campagne en Hongrie, et à son retour il épousa une veuve âgée, mais dont il considérait la fortune comme nécessaire à ses projets d'ambition. Sa femme mourut bientôt, et lui légua toutes ses richesses. Wallstein épousa en secondes noces une fille du Comte de Harrach, favori de l'Empereur Ferdinand II, et obtint successivement le grade de Colonel, celui de Général, le titre de Duc de Friedland, de Prince d'Empire, et enfin, malgré les réclamations de l'Allemagne entière, la souveraineté du Mecklenbourg. On verra dans les notes suivantes quels exploits lui valurent ces éclatantes dignités. à l'époque où il fut destitué du commandement des armées impériales, il fut dépouillé du Duché de Mecklenbourg. Après sa destitution, il vécut dans ses terres en Bohême, avec une magnificence extraordinaire, donnant des pensions à une foule d'officiers qui s' étaient distingués sous ses ordres, et en offrant même à des hommes célèbres par d'autres genres de mérite. Il voulut, par exemple, s' attacher Hugo Grotius, pour l'engager à écrire son histoire. La retraite de Wallstein dans ses terres ne fut pas de longue durée: il fut remis par l'Empereur à la tête de ses troupes; mais ayant été soupçonné de conspirer contre lui, et de vouloir se faire Roi de Bohême, il fut assassiné le 25 février 1634, à l'âge de cinquante ans. Il fut enterré à Gitschin, dans un couvent de Chartreux qu'il avait fondé. Il laissa une fille unique, qui épousa dans la suite un Comte de Kaunitz. Presque tous ses biens furent confisqués: on ne laissa à sa veuve que la terre de Neuschloss en Silésie.

 

2)

De prêtres entouré, Ferdinand nous dédaigne.

Il gouverne pour eux, quand c'est par nous qu'il règne.

Ferdinand II professait pour les prêtres la vénération la plus profonde. – s' il m' arrivait, disait-il souvent, de rencontrer en même tems un ange et un religieux, le religieux aurait mon premier hommage, et l'ange le second. – il devait à son éducation cette manière de sentir, qui, du reste, était celle de la plupart des Princes de sa maison. Rodolphe II était de même sous la domination des Jésuites. Ferdinand ayant perdu, dès sa douzième année, son père l'Archiduc de Styrie, avait été mis, par sa mère, sous la tutèle de son oncle, le Duc de Bavière, qui l'avait fait élever par les Jésuites à l'université d'Ingolstadt. Lorsqu'il prit en main le gouvernement des États paternels, il voulut aller en personne à Rome, demander à Clément VIII sa bénédiction; et en visitant Lorette, il s' engagea, par un voeu solennel, envers la Vierge, à faire triompher le catholicisme, au péril de son trône et de sa vie. Deux Jésuites, dont les noms ont acquis dans l'histoire des malheurs d'Allemagne une triste célébrité, Lammerman et Weingärtner, le gouvernaient despotiquement. Sa faiblesse pour eux était si notoire, qu'elle lui fut publiquement reprochée à la Diète de Ratisbonne, même par les Princes catholiques. Lorsque les insurgés de Bohême, sous la conduite du Comte de Thourn, étaient sur le point de prendre Vienne, on trouva Ferdinand avec son confesseur aux pieds d'un crucifix: et au milieu des succès du Roi de Suède, tandis que la Bohême était envahie, et l'Autriche menacée, cet Empereur ordonnait des processions, pour obtenir du ciel qu'il détournât ces malheurs. Après l'assassinat de Wallstein, Ferdinand, qui récompensa libéralement ses meurtriers, fit dire trois mille messes pour le repos de son ame. Hist. de Wallstein, par Herchenhahn.

 

3)

Wallstein aux murs d'Égra rassemblant ses guerriers.

J' ai transporté toute la scène de ma pièce à Égra, quoique, dans celle de Schiller, les deux derniers actes seulement se passent dans cette ville; Wallstein ne s' y retira qu'après l'abandon d'une grande partie de son armée, et lorsque la trahison de Gallas et de Piccolomini eut fait échouer ses premiers desseins. Il voulait y attendre les secours que les Suédois et le Duc Bernard de Weymar devaient lui amener; mais je n'ai aperçu nul inconvénient à supposer que la conspiration commençât dans la même ville où elle finit, ce qui me dispensait de beaucoup de détails, sans intérêt pour le lecteur et sans influence sur l'action.

 

4)

Si Gustave à Lutzen a reçu le trépas.

La bataille de Lutzen, dans laquelle Gustave périt le 16 novembre 1632, est trop connue pour que nous soyons obligés d'entrer à ce sujet dans aucun détail. Wallstein n'y remporta pas la victoire. Le Général autrichien Pappenheim, l'un des hommes de guerre les plus illustres de ce tems, y fut tué; et les Suédois qui, loin d'être découragés par la mort de leur roi, n'en combattaient qu'avec plus de fureur, forcèrent l'armée impériale à se retirer jusqu'à Prague, et lui enlevèrent ses munitions, son artillerie et ses bagages. Ferdinand fit cependant chanter un Te Deum à Vienne, en l'honneur de cette journée.

 

5)

Bannier, digne héritier de son puissant génie.

Bannier fut l'un des Généraux suédois les plus célèbres de la guerre de trente ans. Il sauva l'armée suédoise, lors de la défection de l'Électeur de Saxe, après la bataille de Nördlingen. Il la sauva une seconde fois par une retraite admirable en Poméranie, à travers des dangers et des obstacles qui semblaient insurmontables. Il faillit surprendre toute la Diète de Ratisbonne, et l'Empereur Ferdinand III lui-même, en 1641. Il mourut enfin à Halberstadt, au mois de mai de la même année.

 

6)

À son Roi qui n'est plus soumet la Germanie.

La mort de Gustave ne suspendit point les succès des Suédois. L'année même où il fut tué, toute la Saxe fut conquise par son armée. Peu de tems après, Bernard de Weymar, qui la commandait, envahit la Bavière, le Palatinat, la Franconie et l'Alsace. La bataille de Nördlingen interrompit le cours de ces victoires, mais Torstenson vengea bientôt l'honneur de sa patrie, à la bataille de Jankau, le 24 février 1645, porta la terreur jusques dans Vienne, par l'apparition de son armée presqu'aux portes de cette capitale, et enfin ce fut la prise de Prague par le Général Konigsmark, le 15 juillet 1648, qui força l'Autriche à la paix.

 

7)

Richelieu contre nous conspirant aujourd'hui

Aux protestans ligués a promis son appui.

Durant tout le cours de la guerre de trente ans, la France appuya le parti protestant en Allemagne, et soudoya tous les Princes et tous les Condottieri qui portaient les armes pour ce parti, Mansfeld, Bernard de Weymar, Christian de Brunswick, etc. Richelieu encouragea tour à tour les Princes allemands à exiger que Wallstein fût renvoyé, et celui-ci à usurper la couronne de Bohême, et à attaquer l'Empereur. Ce fut le père Joseph, ce capucin fameux dans les intrigues du ministère de Richelieu, qui fut choisi pour poursuivre à Vienne la destitution de Wallstein. Ce fut Charnassé, négociateur du Cardinal, qui fit conclure entre la Pologne et la Suède une trève de six ans, et donna ainsi à Gustave la liberté de tourner ses armes contre l'Allemagne. Il lui offrit de plus l'alliance de la France et des secours pécuniaires. Gustave les refusa d'abord, pour ne pas alarmer les protestans, par une alliance avec une puissance catholique qui, dans ses États, persécutait leur croyance. Mais enfin, le 13 janvier 1631, il conclut à Beerwald, dans la nouvelle Marche, un traité formel avec Louis XIII. Après la mort de Gustave, Richelieu appuya plus ouvertement encore le parti protestant, puisqu'il déclara la guerre à l'Espagne, et envoya une armée au-delà du Rhin, sous le Cardinal Lavalette, pour agir offensivement contre les impériaux, de concert avec le Duc Bernard de Weymar.

 

8)

Sur son trône ébranlé l'a deux fois raffermi.

Wallstein prit deux fois le commandement des armées impériales; la première fois, au moment où Christian IV, Roi de Dannemarc, se mit à la tête des protestans; la seconde, à l'époque où Gustave Adolphe remplaça Christian. Dans l'une et l'autre de ces circonstances, l'Autriche se trouvait dans les embarras les plus pressans. Lors de l'apparition de Christian IV, Tilly, à la vérité, avait remporté plusieurs victoires pour la ligne catholique. Il avait battu le Margrave de Bade, Mansfeld et Christian de Brunswick; mais les mesures hostiles des États de Basse-Saxe, la marche de Christian en Allemagne, les subsides envoyés à l'union protestante par Jacques I d'Angleterre, rendaient de nouveau la situation de Ferdinand très-critique. Il fallait une seconde armée qu'on pût envoyer contre les Danois; on n'apercevait nul moyen de la lever. Les Ministres déclaraient qu'il n'y avait pas dans le trésor de quoi soudoyer seulement vingt mille hommes. Wallstein se présenta, et offrit d'en lever cinquante mille. – cinquante mille hommes, disait-il, se nourrissent eux-mêmes aux dépens des pays conquis, tandis que vingt mille ne sont pas assez forts pour employer ce moyen de subsister. – Les offres de Wallstein ayant été acceptées, il mit sur pied non seulement cinquante mille hommes, mais cent mille. Avec cette armée, il s' empara du cercle de Basse-Saxe, de la Lusace, de la Franconie, battit partout Mansfeld, Bethlem Gabor, Prince de Transylvanie, les Danois, et força enfin Christian à quitter l'Allemagne et à se retirer honteusement dans ses États. Lorsqu'après sa destitution Wallstein se remit de nouveau à la tête des troupes autrichiennes, les affaires de l'Empereur paraissaient désespérées. Gustave Adolphe avait chassé les Impériaux de la Poméranie et du Brandebourg; il avait pénétré jusqu'au centre de l'Allemagne, et battu complètement Tilly près de Leipsick. Les Électeurs de Brandebourg et de Saxe s' étaient déclarés contre Ferdinand, avec beaucoup d'autres Princes. L'Électeur de Trèves était en négociation avec la France. Celui de Bavière même, le plus fidèle allié de l'Empereur jusqu'alors, prêtait l'oreille à des propositions équivoques. La Bohême avait été envahie; Prague était tombé au pouvoir des ennemis. Wallstein reparut, et avec lui la victoire. Il reprit la Bohême, il arrêta Gustave devant Nurenberg. L'armée impériale, qui semblait anéantie, se trouva tout à coup de cent soixante mille combattans. Ce fut ainsi que la présence d'un seul homme changea subitement deux fois le sort de l'Europe.

 

9)

Par son ordre à Wallstein le pouvoir fut ravi.

Au moment où Wallstein venait de rendre à l'Autriche ses États héréditaires, de dompter la moitié de l'Allemagne, et de chasser les Danois, tous les Princes allemands qu'il avait irrités, se réunirent au Duc de Bavière, son ennemi personnel, aux Jésuites, qui soupçonnaient la bonne foi de sa conversion, aux Espagnols, jaloux de ses succès, et aux agens secrets de la France, pour demander sa destitution. La Diète de Ratisbonne mit à ce prix l'élection d'un Roi des romains, élection que Ferdinand II sollicitait pour son fils. L'Empereur, qui ne se laissait entraîner que malgré lui à cet acte d'ingratitude, voulut l'adoucir par des formes amicales. Il dépêcha vers Wallstein deux de ses amis intimes, qui devaient, en l'engageant à se soumettre et à résigner son pouvoir, l'assurer de la bienveillance impériale. Wallstein les reçut magnifiquement, et ne leur laissant pas le tems d'entamer leur négociation: «Les astres, leur dit-il, m' ont annoncé déjà ce qui m' était réservé. L'étoile de l'Électeur de Bavière l'emporte sur celle de l'Empereur. Je n'accuse donc point Ferdinand, et je ne suis fâché que pour lui de ce qu'il n'a pas la force de me défendre.» Il renvoya ensuite les deux députés avec de riches présens, et se retira dans ses terres. Les officiers les plus distingués de son armée donnèrent leur démission. Il les retint en partie auprès de lui, en leur continuant leurs appointemens.

 

10)

Et l'on te vit alors par l'ennemi pressé

Supplier à genoux le héros offensé.

Lorsque Ferdinand, pressé de toutes parts par le Roi de Suède, se résolut à recourir une seconde fois à Wallstein, celui-ci témoigna la plus grande répugnance à reprendre la direction des armées de l'Empereur; il allégua même un serment par lequel il avait fait voeu de ne plus servir, et dont Ferdinand lui offrit de le faire relever par le Pape. La cour lui envoya, pour vaincre sa résistance, son neveu le Comte Maximilien de Wallstein, et son ami le Prince d'Eggenberg. Enfin Wallstein, à des conditions dont nous parlerons ailleurs, consentit à lever une armée. Son nom seul fit accourir sous ses drapeaux une multitude de vétérans de tous les pays. Les soldats quittaient par milliers les drapeaux du protestantisme, pour se ranger sous les ordres d'un Général, qui se montrait leur père et leur bienfaiteur, sans acception de croyance.

 

11)

Des rochers de l'écosse aux champs de la Bavière

Je me suis frayé seul ma sanglante carrière.

Buttler, le principal auteur de l'assassinat de Wallstein, était un écossais ou un irlandais, que Wallstein avait élevé au rang de Colonel, de simple dragon qu'il avait été pendant trente ans. Cet homme se réunit à deux de ses compatriotes, le Lieutenant-colonel Lessley, et le Colonel Gordon, commandant d'Égra, tous deux également comblés des bienfaits de Wallstein. Il est incertain s' ils se déterminèrent à assassiner leur bienfaiteur, d'après l'instigation directe des Ministres de la cour de Vienne, ou seulement dans l'espoir que cette preuve de zèle leur mériterait ses faveurs. Le 25 février 1634, Gordon invita à souper chez lui, dans la citadelle, Illo, Tersky et Kinsky, les trois confidens de Wallstein, et à la fin du repas il les fit massacrer par trente soldats du régiment de Buttler. S'étant réuni ensuite à Buttler lui-même, et à un autre irlandais nommé Déveroux, capitaine d'hallebardiers, ces trois hommes, suivis de six hallebardiers de la compagnie de Déveroux, pénétrèrent dans l'appartement de Wallstein, qui était déjà couché. Celui-ci, que le bruit réveilla, s' élança de son lit vers la fenêtre. Déveroux s' approchant de lui, lui cria: – Es-tu le scélérat qui veut arracher à l'Empereur sa couronne? Tu vas mourir. – Wallstein le regarda fixement, ouvrit les bras et présenta sa poitrine sans prononcer un seul mot. Les assassins le percèrent de leurs hallebardes, et il tomba mort, sans qu'aucun gémissement lui échappât. Schiller, guerre de 30 ans, tom. II, p. 244.

 

12)

Le Duc a le pouvoir de vous rendre justice.

C'est le premier des droits qu'il s' est fait accorder.

Wallstein ne céda aux instances des envoyés de l'Empereur Ferdinand, et ne se remit à la tête des troupes impériales, qu'en prescrivant les conditions suivantes: qu'il aurait seul le droit de faire la paix ou de continuer la guerre; qu'il serait et demeurerait toujours Généralissime de l'Empire; qu'après avoir terminé la guerre, il aurait pour récompense, en toute souveraineté, l'un des États héréditaires de la maison d'Autriche; qu'il prononcerait seul, sans appel, et en dernier ressort, toutes les confiscations; qu'il aurait seul le droit de faire grâce; que le Duché de Mecklenbourg lui serait assuré par un des articles de la paix; enfin que toutes les nominations, tous les avancemens, toutes les récompenses dans son armée, seraient entièrement et irrévocablement à sa disposition. Ces conditions furent acceptées, et Wallstein exigea leur accomplissement, celui surtout de la dernière, avec une hauteur qui dut humilier et offenser Ferdinand. Quand il recevait des ordres contraires, " encore quelque nouvelle production de l'oisiveté des Ministres de s m, répondait-il. Dites-lui qu'elle s' occupe à Vienne de la chasse et de la musique. Mes soldats n'ont pas besoin des avis de ses courtisans. " un gentilhomme lui ayant apporté une patente par laquelle l'Empereur le nommait Colonel du premier régiment qui viendrait à vaquer, Wallstein fit rassembler tous les Colonels de son armée, leur présenta cet étranger comme leur héritier présomptif, et après l'avoir exposé aux railleries de la soldatesque, il le renvoya honteusement.

 

13)

Mais Tilly n'était plus.

Tilly n'est que trop connu par sa cruauté, et par la prise et l'affreux pillage de Magdebourg. On prétend qu'il avait été Jésuite dans sa jeunesse, qu'il ne but jamais de vin et ne connut jamais de femme. Il descendait d'une famille noble du pays de Liége. Il avait fait la guerre des Pays-Bas, et ensuite celle de Hongrie sous Rodolphe II. Entré au service de l'Électeur de Bavière, il donna à l'armée bavaroise une organisation qui lui valut de grands succès. Il fut Généralissime de la ligue catholique, et à la retraite de Wallstein, il le remplaça dans le commandement de l'armée impériale. Il combattit, avec une fortune diverse, mais le plus souvent favorable, contre les Généraux protestans, fut tour à tour vainqueur de Mansfeld et vaincu par lui, et enfin, ayant été complètement défait par Gustave sur le Lech, il mourut de ses blessures à Ingolstadt le 16 avril 1632.

 

14)

Mais du moindre soldat il connaît la patrie,

L'âge, le nom, le rang, l'origine, la vie.

Wallstein se faisait aimer de ses soldats, en rappelant devant eux leurs belles actions, dont il n'oubliait aucune. Il se promenait souvent au milieu d'eux, et mettant la main sur la tête ou sur l'épaule des braves qui s' étaient distingués, " c'est à celui-ci, disait-il, que nous devons le gain de cette journée; la hardiesse de celui-là nous a rendu un grand service dans telle autre occasion. Hist. de Wallstein, par Herchenhahn, Tom. II, Liv. VIII, pag. 17.

 

15)

Il naquit protestant.

La conversion de Wallstein fut occasionnée par une chute qu'il fit dans sa jeunesse, du haut d'un troisième étage. Il se crut conservé miraculeusement, et attribua toujours son salut à l'intervention de la vierge Marie.

 

16)

De superstitions son coeur est dévoré.

Souvent d'un front pensif et d'un oeil égaré,

Des flambeaux de la nuit il suit la marche obscure

Et veut à lui répondre obliger la nature.

Wallstein ne fut pas le seul homme remarquable de son siècle, qui s' adonna à l'astrologie. L'Empereur Rodolphe II négligeait, pour s' y livrer, ainsi qu'à l'alchimie, tous les intérêts de son Empire. Frédéric V, Électeur palatin, qui perdit ses États héréditaires pour avoir accepté la couronne de Bohême, s' était déterminé à cette entreprise hasardeuse, et au-dessus également de son caractère et de ses forces, par le conseil des astrologues. Tilly croyait aux présages, et la superstition le rendit humain une fois en sa vie. Lorsqu'il s' empara de Leipsick, il se préparait à faire éprouver à cette ville les traitemens rigoureux qu'il prodiguait à toutes celles que leur mauvais sort lui soumettait. Mais le hasard fit qu'il fut logé chez un fossoyeur, qui, plein de goût pour sa profession, avait décoré sa chambre d'ossemens et de têtes de morts. Tilly changea de couleur à cette vue; les craintes qu'il ressentit valurent à Leipsick des ménagemens auxquels ses habitans ne pouvaient s' attendre, et ses dispositions, dans la bataille qu'il livra peu de jours après, et qu'il perdit, portèrent encore l'empreinte du trouble qui le dominait. Ce fut durant ses voyages, et surtout à Padoue, que Wallstein commença à se livrer à l'astrologie. Il prit des leçons, dans cette science, d'un italien nommé Argoli: et depuis il eut toujours avec lui un autre italien, Battista Séni, qui consultait les astres sur tout ce que Wallstein voulait entreprendre. Ce Séni s' était engagé au service de Wallstein, pour vingt-cinq écus par mois; mais Wallstein trouva ce salaire au-dessous de l'importance de cette profession et de sa propre dignité, et porta les appointemens de Séni à deux mille écus. On prétend que cet astrologue était vendu à la cour de Vienne, et qu'il contribua à entretenir Wallstein dans l'indécision qui causa sa perte. Ce fut par ses conseils que Wallstein consentit, lors de sa première destitution, à se démettre sans résistance du commandement. Séni le détourna de même d'un traité qu'il avait déjà conclu avec la Suède, et les Princes défenseurs du protestantisme (voy. Note 25). Avant la bataille de Lutzen, où Gustave fut tué, Wallstein consulta son astrologue. Celui-ci répondit, que le ciel ne lui promettait pas la victoire, mais menaçait d'un grand malheur le Général ennemi. Séni avait annoncé à Wallstein, qu'en s' emparant de la couronne de Bohême il affrontait un danger presqu'inévitable. – soit, s' écria-t-il, je mourrai avec la gloire d'avoir été Roi de Bohême, comme Jules-César, bien qu'assassiné, a conservé celle d'avoir été Empereur romain. – le jour de sa mort, et à l'heure même qui précéda cet événement, Wallstein s' était enfermé avec Séni et causait sur l'astrologie. Séni lui prédit un grand péril pour cette journée. Wallstein, examinant les astres, prétendit que le péril avait existé, mais était déjà passé. Peu d'instans après, Séni le quitta, les assassins forcèrent sa chambre et le massacrèrent.

 

17)

Feuquière, qui d'abord a secondé ses voeux.

Feuquière, ambassadeur de France à la cour de Saxe, fut un des intermédiaires les plus actifs dans les négociations de Wallstein avec la Saxe et la Suède. En général, durant toute la guerre de trente ans, la France ne cessa jamais de jouer un double rôle. Pendant que Feuquière traitait avec Gustave, et encourageait Wallstein à dépouiller la maison d'Autriche de ses États de Bohême, l'envoyé de France, en Bavière, cherchait à inspirer à Maximilien de la défiance contre Wallstein, comme prêtant l'oreille aux propositions des ennemis de l'Empereur. Feuquière venait de recevoir de Louis XIII l'ordre de reconnaître Wallstein pour Roi de Bohême, et de contracter une alliance avec lui, lorsqu'il apprit l'assassinat de ce Général.

 

18)

Un invisible agent de ce Ministre habile,

Qui, remplaçant Gustave en un tems difficile,

Partage les États du Germain consterné

Et dicte ses arrêts à l'Empire étonné.

Axel Oxenstiern, chancelier de Suède, l'ami et le confident de Gustave Adolphe, avait été appelé par ce Prince en Allemagne, à la fois comme guerrier et comme négociateur. Au commencement de l'expédition suédoise, il commanda en Prusse un corps de réserve fort de dix mille hommes. Mais Gustave le chargea bientôt de traiter en son nom avec les États protestans. Il convoqua dans ce but une assemblée de ces États: elle allait s' ouvrir dans la ville d'Ulm, lorsque la mort inattendue du héros de la Suède jeta Oxenstiern dans une situation très-difficile. Simple chevalier dans son pays, il ne pouvait guères se flatter que les Princes des plus illustres maisons de l'Europe se laissassent diriger par un homme d'un rang si inférieur à celui qu'ils occupaient. L'activité, l'adresse et la fermeté d'Oxenstiern surmontèrent tous les obstacles, et après cinq mois de travaux, de voyages et de négociations, il obtint des Électeurs de Saxe et de Brandebourg, et de tous les Princes confédérés, qu'ils lui confieraient, presque sans réserve, la direction de la guerre. Il devint alors l'arbitre des destinées de l'Allemagne, dont il partageait les provinces entre les Princes qui servaient sous les drapeaux de la Suède. Chacun de ces Princes demanda et obtint de lui ce qui lui convenait du territoire allemand, à titre de fief de la couronne suédoise. Oxenstiern, malgré l'intérêt qu'il avait à ne pas s' aliéner le coeur de ses alliés, ne put toujours déguiser son mépris pour l'avidité avec laquelle des souverains allemands sollicitaient d'un étranger quelques débris de leur propre patrie. «Qu'on enregistre dans nos annales, dit-il un jour, pour en conserver l'éternelle mémoire, qu'un Prince de l'Empire germanique demanda une portion du sol germanique à un gentilhomme suédois, et qu'un gentilhomme suédois accorda cette demande à un Prince de l'Empire germanique.»

 

19)

Toute duplicité le révolte et l'offense.

Je serais tenté de croire que Schiller a emprunté le beau caractère de Max Piccolomini, que j' ai nommé Alfred Gallas, de celui du Comte Maximilien de Wallstein, neveu du Général. Ce jeune homme fut long-tems l'élève et le favori de son oncle, dont il avait obtenu l'amitié, en délivrant sa femme, que des paysans révoltés de la Bohême avaient arrêtée dans sa fuite, lors de la prise de Prague par les saxons. Ayant appris ce que Wallstein méditait contre son souverain, Maximilien partit pour aller le trouver, au milieu de son armée, et le détourner de son entreprise. Ni les menaces, ni les caresses, ni les séductions ne purent rien sur lui. Il résista à l'ascendant de son oncle, aux instances d'Illo et de Tersky, ses confidens, et après avoir bravé tous les genres de dangers, il quitta Wallstein, sans vouloir ni mériter sa bienveillance, en servant des projets qu'il condamnait, ni s' assurer les faveurs de la cour, en se déclarant contre un homme qui lui avait tenu lieu de père.

 

20)

Nurenberg vit bientôt au pied de ses remparts

Flotter des Suédois les nombreux étendarts.

La bataille de Nurenberg resta indécise; mais on peut la regarder comme une victoire de Wallstein, puisque Gustave l'ayant attaqué avec une armée fort supérieure, fut, après dix heures d'un combat acharné, contraint à se retirer avec une perte de plus de deux mille hommes, sans avoir pu forcer Wallstein à sortir de ses retranchemens.

 

21)

Ouvrir la Franconie à ce jeune Weymar.

Bernard de Weymar, le plus audacieux des Généraux allemands qui servaient sous Gustave Adolphe. Il ne dut qu'à lui-même ses succès et sa gloire; car, bien qu'issu d'une maison souveraine, il ne possédait point d'États, et eut souvent à combattre le chef de sa famille, dont le caractère indécis n'osa se déclarer contre l'Empereur que lorsqu'il s' y vit forcé. Bernard de Weymar, après la bataille de Lutzen, fut nommé Général en chef, par les acclamations de toute l'armée suédoise, à la place de Gustave. Sa première opération fut de prendre Ratisbonne. Son opiniâtreté fut cause de la défaite de Nordlingen; mais c'est la seule faute qu'on puisse lui reprocher. Il remporta sur les autrichiens la victoire de Rheinfeld, où quatre des plus illustres Généraux de l'Empereur furent faits prisonniers. à la suite de ce triomphe, il s' empara de toute l'Alsace, et il avait osé concevoir le projet de s' y maintenir et de s' en déclarer le souverain, en résistant à la fois aux armées françaises et aux forces impériales. La mort mit un terme à ses desseins ambitieux. Il mourut à Neubourg sur le Rhin, au mois de juillet 1639, à l'âge de trente-six ans.

 

22)

Ce rebelle, auteur de tous nos maux,

de Thourn.

Henri Mathieu, Comte de Thourn, sans être né en Bohême, possédait des terres dans ce royaume, où il vint s' établir. Il avait servi avec distinction contre les turcs. Il parut pour la première fois dans les troubles de sa nouvelle patrie, à l'occasion d'une dispute, élevée entre l'abbé et les bourgeois d'une ville qui voulaient bâtir une église utraquiste (nom que prenaient les protestans de Bohême). Le Comte de Thourn avait à se venger de la cour qui l'avait dépouillé d'une place importante. Il se fit nommer par le peuple défenseur ou protecteur de la religion, et se chargea d'aller porter à Mathias, prédécesseur de Ferdinand II, les réclamations des utraquistes. N' ayant pu obtenir justice, il marcha avec ses adhérens vers le château où étaient réunis les Ministres de l'Empereur, et en fit jeter trois par la fenêtre. Ce fut l'origine de la guerre de trente ans, qui commença dès ce jour, le 23 mai 1618. Le Comte de Thourn peut en être regardé comme le premier moteur. Il se mit à la tête des insurgés, pénétra en Autriche, et souleva la Moravie contre Ferdinand II, qui avait remplacé Mathias. Il arriva enfin jusqu'à Vienne, et s' empara des faubourgs. Ayant été forcé de s' en éloigner, il y revint de nouveau quelques mois après, soutenu par Bethlem Gabor, Prince de Transylvanie. Mais il fut repoussé par Bucquoi et Wallstein. Il était au nombre des Généraux de l'armée suédoise, lorsqu'elle s' embarqua pour l'Allemagne, sous les ordres de Gustave. à la prise de Prague par les saxons, de Thourn fit une entrée triomphante et passa sur un pont où étaient encore exposées les têtes de ceux de ses partisans que les catholiques avaient fait périr. Il négocia sans cesse avec Wallstein, et fut dans la confidence de tous ses projets. Wallstein cependant le surprit à la bataille de Steinau, et le fit prisonnier avec environ trois mille Suédois qu'il commandait. L'Empereur donna ordre qu'il fût transféré à Vienne, pour y être exécuté comme chef de rebelles. Mais Wallstein le fit mettre en liberté, en disant qu'il n'était qu'un fou. Après la mort de ce Général, le Comte de Thourn perdit la faveur d'Oxenstiern, et l'histoire ne dit pas ce qu'il devint.

 

23)

Plus d'un guerrier, seigneur, au sein de mon armée

Professe une croyance en Autriche opprimée.

Les armées qui combattaient, dans la guerre de trente ans, soit pour, soit contre la maison d'Autriche, étant composées en grande partie de soldats levés par des partisans qui les soudoyaient par le pillage, et se vendaient avec eux au plus offrant, il arrivait que les catholiques servaient sous les drapeaux du protestantisme, et que les protestans se trouvaient dans les armées impériales. Buttler, Gordon et Lessley, les trois assassins de Wallstein, étaient protestans. Le dernier Général qui commanda les troupes autrichiennes dans la guerre de trente ans, était un hessois calviniste, nommé Mélander. Un fait assez singulier prouve la lutte de l'esprit militaire et de la croyance religieuse à cette époque. L'un des Lieutenans de Wallstein, le Général Holk, avait dévasté la Saxe de la manière la plus cruelle, et persécuté les protestans avec un acharnement inexprimable. étant tombé malade, et sentant sa fin prochaine, il se déclara protestant lui-même, et demanda un Ministre de cette religion pour l'assister dans ses derniers momens. On en chercha vainement un de tous côtés. Holk les avait fait poursuivre avec une telle rigueur que tous avaient pris la fuite. Le Général mourant envoya ses soldats à leur recherche, promettant six cents écus à quiconque lui en ramenerait un. Tous leurs efforts furent long-tems inutiles. Enfin, l'on en découvrit un qui s' était caché dans le creux d'un arbre, au fond d'un bois. On le conduisit vers le Général, mais celui-ci venait d'expirer.

 

24)

Vous vouliez seul lever et nourrir vos soldats.

On a vu, note 8, comment Wallstein nourrissait ses troupes. On évalue à six cent soixante millions d'écus, près de trois milliards de notre monnoie, les contributions levées en quatre ans par ce Général en Allemagne.

 

25)

Gallas est un appui que m' ont donné les cieux.

J' ai substitué le nom de Gallas dans ma pièce, à celui de Piccolomini, qui se trouve dans celle de Schiller, mais je ne me suis pas pour cela écarté de l'histoire. Le Lieutenant-général Gallas fut en effet celui que Ferdinand II nomma pour remplacer Wallstein, et qui fut chargé de réunir sous ses ordres tous les officiers et tous les soldats étrangers à la conspiration. L'amitié de Wallstein pour Ottavio Piccolomini était réellement fondée sur l'astrologie. Piccolomini étoit un militaire distingué, qui avoit acquis de la réputation par des victoires contre les français, et par la défense de la Bohême contre les Suédois. Wallstein lui découvrit tous ses plans, et Piccolomini feignit de les approuver. Tersky avertit souvent Wallstein de se défier de lui; mais Wallstein répondait toujours, que la même constellation avoit présidé à leur naissance, et que Piccolomini ne pouvait le tromper. L'anecdote du cheval prêté à Wallstein par Piccolomini est un fait historique. Gallas et Piccolomini se servirent l'un après l'autre du même stratagème pour échapper à Wallstein. Le premier offrit à ce Général d'aller engager dans son parti plusieurs officiers qui avaient refusé sous divers prétextes de venir le joindre. Wallstein y consentit: Gallas, s' étant éloigné, ne revint plus. Wallstein s' étonnant de son absence, Piccolomini lui proposa de le lui ramener. Wallstein lui prêta ses propres chevaux, et Piccolomini alla se ranger sous les ordres de Gallas. Ils marchèrent ensemble contre Pilsen, pour y attaquer Wallstein, qui se retira à Égra avec les troupes qui lui étaient restées fidèles. Après l'assassinat de Wallstein, le commandement ostensible de son armée fut confié à Ferdinand, Roi de Hongrie, et la direction de cette armée à Gallas.

 

26)

Sur votre assentiment j' ai cru pouvoir compter.

Wallstein ne négociait jamais que par des agens subalternes, et son penchant pour l'astrologie lui faisant souvent modifier ou ajourner ses projets, il ne donnait à ces agens que des instructions vagues, qu'ils étaient exposés à outrepasser. L'on en trouve la preuve dans un ouvrage curieux, rédigé, après la mort de Wallstein, par un des hommes qu'il avait le plus souvent employés comme émissaires. Cet ouvrage, resté manuscrit, est intitulé: Relation véritable de ce qui s' est passé, depuis l'an 1630, époque à la quelle le Duc de Friedland fut destitué du commandement par sa majesté impériale, jusqu'à l'an 1634, qu'il a péri, entre le Comte Tersky, le Duc de Friedland, le Comte de Thourn, le Roi de Suède, et le soussigné, Jaroslaw Sesyna Raschin. ce Sesyna Raschin, l'agent habituel de Wallstein, obtint sa grâce, après l'assassinat de son maître, en remettant à la cour de Vienne cette notice de toutes les négociations dont il avait été chargé. Ce fut à l'époque de sa destitution, qu'animé par la vengeance, Wallstein entreprit, pour la première fois, de traiter avec le Roi de Suède. Il demanda à Gustave de lui confier quinze mille hommes, auxquels se joindraient ses adhérens. Il se faisait fort avec cette armée de surprendre Vienne, et de chasser Ferdinand jusqu'en Italie. Wallstein fit faire cette proposition au Roi par le Comte de Thourn. Gustave la rejeta sous divers prétextes, et son refus laissa dans le coeur de Wallstein un ressentiment qui ne s' effaça jamais. Lorsqu'il reçut la nouvelle de sa mort, «Heureusement pour moi et pour lui, s' écria-t-il, il n'existe plus. Il ne faut pas dans l'Empire deux têtes pareilles.» Gustave ayant été tué, Wallstein entra de nouveau en négociation avec Oxenstiern pour la Suède, et avec Arnim pour la Saxe. Il proposa ses conditions, qui furent acceptées; mais, lorsqu'Arnim lui demanda par quels moyens il comptait réunir ses forces à celles des alliés, " c'est aux allemands, dit-il, à se réunir pour chasser l'ennemi commun, les Suédois. " Oxenstiern écrivit à Wallstein de sa propre main, pour lui offrir son assistance, parce qu'il savait, ajoutait-il, que telle avait été l'intention du feu roi. Wallstein lui fit répondre verbalement: que le moment n'était pas venu. Les négociations de Wallstein avec Feuquière eurent le même sort. Elles se traitèrent par un intermédiaire, sans pouvoirs écrits, et furent aussi rompues par Wallstein. Au milieu de ces pour-parlers, il attaqua un corps de saxons et de Suédois près de Steinau, et le fit prisonnier avec toute son artillerie et tous ses bagages. Oxenstiern déclara plus d'une fois qu'il n'avait jamais pu démêler les véritables intentions de Wallstein. Sa conduite finit par inspirer aux alliés une telle défiance, qu'ils le soupçonnèrent de se feindre mécontent de l'Empereur, pour les surprendre, et pour livrer à Ferdinand les troupes qu'ils lui auraient confiées. Ces vacillations, cependant, ne sont pas inexplicables. Indépendamment de ce qu'il se laissait diriger par ses astrologues, Wallstein avait un double but. Il voulait enlever à l'Empereur le trône de Bohême; mais il voulait aussi délivrer l'Allemagne de toute domination étrangère. Il répétait sans cesse qu'il fallait se défaire des Suédois. «Ces intrus, disait-il, n'ont rien à voir dans l'Empire. Renvoyons-les en les payant, si nous le pouvons; et s' ils s' y refusent, chassons-les sans les payer.»

 

27)

Ferdinand, Ferdinand! L'ami de ma jeunesse!

Que j' ai si bien servi!... lui de qui la tendresse

Me combla de ses dons!... je dus à ses faveurs

Et ma première gloire et mes premiers honneurs.

L'Empereur Ferdinand n'était encore qu'Archiduc de Graetz, lorsque Wallstein mérita son amitié, en levant, à ses propres dépens, un corps de trois cents cavaliers, avec lequel il marcha au secours de l'Archiduc, engagé dans une guerre contre l'État de Venise. Wallstein se distingua dans la défense de Gradiska, assiégé par les vénitiens. Il acquit de nouveaux droits à la reconnaissance de Ferdinand, en se déclarant pour lui, au commencement des troubles de Bohême. Il le délivra, un jour qu'il était entouré, dans son cabinet, de mécontens bohémiens qui vouloient lui arracher par des menaces la confirmation de leurs priviléges, mais qui, à l'arrivée de Wallstein, se crurent environnés de troupes, et tombèrent aux genoux de l'Empereur en demandant grâce. Ferdinand, pour récompense, donna à Wallstein beaucoup de terres confisquées sur les rebelles. Ces services d'une part et ces faveurs de l'autre formèrent entre Wallstein et Ferdinand une liaison très-étroite, qui dura jusqu'à la destitution du premier.

 

28)

Isolan est à nous.

Isolan ou Isolani, Général des Croates, devait tout aux bienfaits de Wallstein, dont il avait obtenu la faveur, n'étant encore que simple Lieutenant, en enlevant, dans une escarmouche, deux drapeaux aux Suédois. Wallstein lui fit donner une récompense de deux mille écus, et Isolan les ayant perdus le même soir au jeu, Wallstein lui en fit donner autant le lendemain.

 

29)

Remontez à ces tems de discordes fatales,

Où Procope et Ziska, victorieux long-tems,

Du trône et de l'autel sapaient les fondemens.

Tout le monde connaît Ziska, Général des Hussites, qui, tout aveugle qu'il était, fut toujours vainqueur des troupes de Sigismond, et dont la peau, étendue sur un tambour, mettait encore en fuite les armées impériales. Procope fut son successeur, dans le commandement des Hussites.

 

30)

Rodolphe à leurs fureurs fut contraint de céder

Et prêta les sermens qu'on lui vint commander.

Rodolphe II, menacé par les États de Bohême, qui levaient des troupes contre lui, signa la Lettre de Majesté, par laquelle il accordait aux utraquistes (protestans de Bohême) les mêmes droits qu'à l'église catholique. On leur céda l'université de Prague: on leur permit de se nommer un consistoire particulier, entièrement indépendant du siége archiépiscopal de la ville. Toutes les églises qu'ils possédaient leur furent assurées. Les gentilshommes et les bourgeois eurent la faculté d'en bâtir de nouvelles. Les États furent autorisés à entretenir dix protecteurs ou défenseurs de la liberté, qui avaient le droit de lever des troupes. La Lettre de Majesté fit ainsi de la Bohême une espèce de république. Cette lettre fut confirmée par Mathias, successeur de Rodolphe.

 

31)

Ferdinand aujourd'hui, lavant sa longue injure

Déchire des sermens dictés par le parjure.

Après la prise de Prague par Tilly, Wallstein et Bucquoy, la Lettre de Majesté fut remise en original aux Généraux autrichiens par les États de Bohême, et Ferdinand, assis sur son trône, la coupa en morceaux avec des ciseaux, et en brûla les fragmens.

 

32)

Son coeur pour le héros que chérit sa patrie

Porta le dévoûment jusqu'à l'idolâtrie,

Et plein du souvenir d'un monarque adoré

Dans tous les souverains voit un objet sacré.

Peu de Princes ont excité un enthousiasme aussi vif, que celui que Gustave inspirait à ses sujets. Ce n'était pas seulement l'armée, c'était le peuple, c'étaient toutes les classes qui l'adoraient. Les adieux qu'il fit au sénat de Suède, le 20 mai 1630, en lui présentant sa fille, âgée de quatre ans, avant de s' embarquer pour l'Allemagne, sont peut-être ce que l'histoire nous transmet de plus noble et de plus touchant. Personne en Suède ne condamna l'entreprise de Gustave Adolphe, quoique son royaume ne parût encore menacé que d'une manière très-indirecte. Les amis, les parens, les femmes de ceux qui l'accompagnaient prirent congé d'eux et de lui sur le rivage, en versant beaucoup de larmes, mais sans aucun murmure. Nul ne révoqua en doute la justice de sa cause: nul ne désespéra du succès, quoique Gustave ne partît qu'avec trente mille hommes, pour en aller combattre plus de cent mille. Pendant la guerre, la conduite de Gustave acheva de le rendre l'idole des soldats. Il partageait avec eux toutes les fatigues, tous les dangers, toutes les intempéries des saisons. Il était leur compagnon, leur ami, leur confident, leur père: et sa sévérité contre ceux qui se rendaient coupables de quelque violence envers les habitans paisibles des pays qu'il parcourait, rehaussait encor sa douceur et sa bonté. Une piété profonde le distinguait. Avant le combat, il invoquait toujours à genoux la protection divine. Après la victoire de Leipsic, il se prosterna sur le champ de bataille, pour offrir au ciel l'hommage de sa reconnaissance. L'enthousiasme des soldats suédois pour Gustave allait jusqu'à la superstition: ils portaient sur leur poitrine des images de ce Prince, comme un talisman qui devait les préserver d'être blessés.

 

33)

Ennemi généreux, Wallstein plus d'une fois

A d'un péril pressant sauvé les Suédois,

Souvent de mes guerriers j' arrêtai la furie,

Vos bataillons épars, aux champs de Franconie,

Me durent vers Gustave un facile retour...

De là vient contre moi la haine de la cour.

Après la bataille de Nurenberg et la tentative infructueuse de Gustave Adolphe contre les retranchemens de Wallstein, ce dernier refusa de poursuivre le Roi de Suède dans sa retraite. Il n'attaqua pas même le camp suédois, où il n'y avait pas plus de vingt mille hommes. Il défendit de mettre obstacle à la marche des troupes suédoises, et d'inquiéter leur arrière-garde. L'Électeur de Bavière le sollicita vainement de profiter de la victoire, et ses refus éveillèrent de toutes parts les soupçons contre lui.

 

34)

Seigneur, la confiance est l'ouvrage du tems,

Et déjà nous traitons sans fruit depuis deux ans.

Voyez la note 25.

 

35)

Mansfeld vaincu par vous.

Ernest de Mansfeld est l'un des plus remarquables des Condottieri du 17eme siècle. Il était fils naturel du Comte de Mansfeld, officier autrichien, qui avait commandé avec distinction les armées espagnoles dans les Pays-Bas. L'Empereur Rodolphe légitima Ernest de Mansfeld, qui fit lui-même ses premières campagnes sous les drapeaux de l'Autriche, et contre les protestans. Mais ayant changé de religion, il se mit au service du protestantisme. Il fit la guerre en Bohême, dans le Palatinat, la Franconie, l'Alsace, la Lorraine, en Hollande, en Westphalie, en basse-Saxe, dans la Moravie, dans le Brandebourg et dans la Hongrie. Il se montra le plus zélé défenseur de Fréderic V, Électeur palatin, qui fut quelque tems Roi de Bohême. Il fut mis trois fois au ban de l'Empire. Presque toujours battu, il reparaissait toujours plus fort après ses défaites. Toujours occupé de pillage, il vécut pauvre, n'employant ce qu'il enlevait aux peuples que pour recruter des soldats. Dès la première année de la guerre de trente ans, il marcha au secours des insurgés bohémiens, et s' empara, le 21 novembre 1618, de Pilsen, l'une des plus grandes villes de ce pays. Mais le 10 juin 1619, il fut complètement battu par Bucquoi et Wallstein, et reperdit toute la Bohême. Il se jeta dans le Palatinat, échappa au Duc de Bavière, en le trompant par de fausses négociations, délivra Frankental, assiégé par les Espagnols, et alla piller l'évêché de Spire, le Brisgau et l'Alsace. Repassant ensuite le Rhin, il défit complètement le fameux Tilly. Mais Fréderic, l'Électeur palatin, pour lequel il combattait, ayant licencié ses troupes, Mansfeld passa avec sa petite armée au service de Hollande, et dévasta la Westphalie au nom de cette république. Les hollandais ne le conservèrent pas long-tems à leur solde, et il se mit en marche pour le Mecklenbourg, où il appuya l'expédition du Roi de Danemarc. Enfin, vaincu par Wallstein près de Dessau, il se réfugia en Transylvanie, et voulut engager Bethlem Gabor à le soutenir. Celui-ci, effrayé des victoires de Wallstein, se hâta de renvoyer Mansfeld de ses États, où il aurait attiré la guerre. Mansfeld dirigea ses pas vers Venise, après avoir congédié son armée qu'il ne pouvait plus entretenir, et suivi seulement de quelques officiers qui ne voulurent pas le quitter. Il tomba malade à Spalatro. Lorsqu'il sentit la mort approcher, il se fit revêtir de son uniforme, ceignit son épée, et s' appuyant sur deux de ses compagnons, il expira debout, âgé de quarante-six ans, le 20 novembre 1626.

 

36)

Le Danois fugitif de l'Empire chassé.

Ce fut dans la septième année de la guerre de trente ans, que Christian IV, Roi de Danemarc, commença à se mêler activement des affaires d'Allemagne. Les États de la Basse-Saxe le nommèrent directeur de leur cercle; et il leva pour eux une armée de soixante mille hommes. Il fit alliance avec l'Angleterre, la Hollande, la Suède et le Prince de Transylvanie. Mais, battu partout par Wallstein, il fut obligé de se réfugier à Gluckstadt. Wallstein le poursuivit, s' empara de toute la Jutlande, et soumit, par des victoires continuelles, tout le pays entre la mer Baltique, l'Elbe et la Vistule, les villes de Stade et de Gluckstadt exceptées. Après le siége de Stralsund où Wallstein échoua, il s' en vengea sur le Roi de Danemarc. Il l'attaqua près de Wolgast, et le défit complètement. Cette journée fut décisive. Christian s' embarqua le lendemain avec le reste de ses troupes, et, s' étant retiré à Copenhague, il fit une paix honteuse, en abandonnant tous ses alliés.

 

37)

D'autres ont vu le jour dans cette île sauvage,

Où le peuple sans frein, foulant aux pieds les lois,

Se plaît à mépriser la majesté des rois.

L'époque de la conspiration et de la mort de Wallstein correspond précisément à la septième année des guerres civiles qui, pendant vingt-cinq ans, déchirèrent l'Angleterre.

 

38)

Tu sais qu'aujourd'hui j' attends sous nos remparts

D'Arnim et des saxons l'importante assistance.

Arnim, quoique luthérien zélé, avait commencé par servir sous les ordres de Wallstein au siége de Stralsund. Il s' y était fait remarquer par son acharnement contre les partisans de sa propre croyance, et par des traits de duplicité et de perfidie que la guerre même n'autorise pas. à la destitution de Wallstein, Arnim, d'après ses conseils, prit du service contre Ferdinand, et devint Ministre de l'Électeur de Saxe. Il s' empara de l'esprit de l'Électeur, et, dévoué comme il l'était, à son ancien ami, il travailla de tout son pouvoir à détacher son nouveau maître des intérêts de l'Autriche. Les injustices de l'Empereur et les violences de Tilly secondèrent les efforts d'Arnim. C'était d'ailleurs un Général très-médiocre. à la bataille de Leipsic, les saxons qu'il commandait furent mis en fuite dès le premier choc, et Gustave eut à réparer la lâcheté de ces alliés. Arnim fut plus heureux dans son expédition contre la Bohême; il chassa les autrichiens de la capitale de ce pays. Mais il avait trouvé la Bohême presque dénuée de troupes, et il parvint à Prague sans avoir même eu de bataille à livrer. Il reperdit d'ailleurs ce royaume encore plus rapidement qu'il ne l'avait conquis, et à la première apparition de Wallstein, qui, rencontrant en lui quelque résistance dans leurs négociations secrettes, crut devoir le battre, pour lui inspirer plus de complaisance.

 

39)

Weymar aux bords du Mein fonde un nouvel Empire.

Oxenstiern avait promis à Bernard de Weymar la souveraineté de la Franconie.

 

40)

Mansfeld.

Voyez la note 35.

 

41)

Albert ainsi lui-même a raffermi sa race.

Albert, fils de Rodolphe de Hapsbourg, se révolta contre Adolphe de Nassau, et ayant attaqué et vaincu cet Empereur près de Worms, il fut élu à sa place le 24 août 1298.

 

42)

Semblables dans leur course aux vents impétueux,

Mes guerriers dispersaient les mortels devant eux.

Toutes les histoires de la guerre de trente ans sont pleines du récit des violences commises par les Généraux autrichiens contre tous les peuples, tant amis qu'ennemis de la maison impériale.

 

43)

Wallstein honore ainsi d'une égale équité

Son culte primitif et son culte adopté.

Wallstein, bien que converti au catholicisme, ne fut jamais persécuteur en matière de religion. Il fit bâtir à Gitschin un couvent pour les chartreux, un collége pour les Jésuites, et à Glogau une église pour les luthériens. Il se proposait d'établir en Bohême la liberté de conscience, et de rendre aux protestans exilés qu'il aurait fait revenir, celles de leurs terres confisquées dont l'Empereur lui avait donné la propriété.

 

44)

Le Danemarc, jadis, éprouva ma vengeance,

Son Prince maintenant brigue mon alliance.

À la paix de Lubeck, entre le Roi de Danemarc et Wallstein, il fut question du mariage de la fille de ce Général avec le Prince Ulrich de Danemarc. Wallstein offrait avec sa fille une dot immense, et Christian IV considérait cette alliance comme très-avantageuse. Mais le Prince Ulrich fut tué traîtreusement, par les ordres de Piccolomini, dans un rendez-vous que Wallstein lui avait donné.