BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Benjamin Constant

1767 -1830

 

Wallstein

 

1809

 

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Acte cinquième.

 

Scène I.

 

Wallstein, Élise et, un instant après, Tersky.

 

Ce dernier, pendant que Wallstein parle à

Élise, reste dans l'enfoncement.

 

Wallstein

à Élise.

C'est nourrir trop long-tems d'inutiles douleurs;

Dites-lui, qu'un moment j'ai pardonné ses pleurs;

Mais il faut réparer une erreur passagère;

Oui: Thécla doit répondre à l'amitié d'un père,

Et son coeur, désormais, doit recevoir ma loi:

Ici, dans peu d'instans, je l'attends près de moi.

À Tersky. Élise sort.

Vous, approchez, Tersky: que vient-on de m'apprendre?

Sans mon ordre, en ces lieux, qu'ose-t-on entreprendre?

Eh quoi! Les citoyens, désarmés et proscrits,

Trouvent dans mes guerriers leurs plus durs ennemis!

Les cachots, pour saisir leurs victimes tremblantes,

Ouvrent de toutes parts leurs portes menaçantes.

Aux catholiques seuls les temples enlevés

Semblent aux novateurs par mes lois réservés.

Le hussite féroce, en son intolérance,

Par des cris de fureur prélude à la vengeance.

Quel est donc cet abus de mon autorité?

Pensez-vous...

 

Tersky.

Oui, je pense à votre sûreté,

Seigneur; de mécontens un parti redoutable,

À l'Autriche vendu, cache un regret coupable.

Timide, il se résigne à la loi des combats;

Mais des sermens forcés ne me rassurent pas.

J'ai mis ces factieux hors d'état de vous nuire.

La rigueur est l'appui de tout nouvel Empire.

J'ai sévi sans pitié. L'exil et les cachots

De ces mutins secrets préviendront les complots.

Songez que les traiter avec trop d'indulgence

C'est braver le parti qui prend votre défense.

Voulez-vous que, bientôt, triste et découragé,

Il abandonne un chef qui l'aura mal vengé?

 

Wallstein.

Quoi! Tersky, faut-il donc, opposant crime à crime,

Être persécuteur dès qu'on n'est plus victime?

Et verra-t-on Wallstein, d'un vain soupçon pressé,

Imiter le tyran par son bras renversé?

Je ne le sais que trop. Jusqu'ici ma carrière

Par d'innombrables maux épouvanta la terre.

Semblables dans leur course aux vents impétueux,

Mes guerriers dispersaient les mortels devant eux. 42)

De ma longue indulgence un mot m'absout peut-être.

Je dépendais alors des volontés d'un maître.

Mes erreurs sont de lui; mes vertus sont à moi,

Et mon destin nouveau me trace une autre loi.

Je ne suis plus Wallstein ivre du bruit des armes,

Possesseur d'un pouvoir grossi par les alarmes;

Mais Wallstein couronné, Wallstein législateur,

Garant de l'équité, du faible protecteur.

Je veux que dans l'éclat de ma gloire nouvelle,

Le prince bienfaisant efface le rebelle.

Je veux des factions appaiser les fureurs,

Non que les opprimés deviennent oppresseurs.

De mes guerriers surtout l'insolence m'outrage.

 

Tersky.

Gardez-vous d'irriter leur farouche courage.

Ce peuple qui vous sert, leur valeur l'a soumis.

Ses biens sont leur partage, ils réclament ce prix.

Votre force est en eux; leur grandeur est la vôtre,

Et le soldat et vous, vous régnez l'un par l'autre.

 

Wallstein.

Qui! Moi! De mes soldats monarque dépendant,

Caresser leur audace et régner en tremblant!

Moi, laisser le champ libre à leurs vastes caprices,

Des biens de l'innocent acheter leurs services,

Me traîner sous leur joug, et lâche ambitieux,

Payer un sceptre vil de ce prix odieux!

Le chef qu'ils ont choisi n'est-il donc qu'un esclave?

S'il leur cède, avili; menacé, s'il les brave?

C'est en vain qu'on s'en flatte, et je ne serai pas

Le fléau de mon peuple et le roi des soldats.

Répare, sans tarder, les erreurs d'un faux zèle.

Réprime des guerriers l'avidité cruelle.

Des mains de l'innocent qu'on détache les fers:

Qu'à tous les citoyens les temples soient ouverts.

Que tous en liberté, protestans, catholiques,

Professent de leur foi les pieuses pratiques.

Wallstein honore ainsi, d'une égale équité,

Son culte primitif et son culte adopté. 43)

 

Thécla entre. Tersky sort.

 

 

 

Scène II.

 

Wallstein, Thécla, Élise.

 

Wallstein.

Écoute sans murmure et ton père et ton maître.

Je fus à tes désirs trop indulgent peut-être;

Du voile de l'oubli recouvrons le passé.

Par toi-même en ce jour ton destin fut tracé.

Le Danemarc, jadis, éprouva ma vengeance:

Son prince, maintenant, brigue mon alliance. 44)

Pour toi, de mes desseins limitant la grandeur,

J'avais daigné charger Alfred de ton bonheur.

Mais tantôt avec lui ton ame conjurée,

S'est, contre ton amour, devant moi déclarée.

Alfred a repoussé mes faveurs, mes bienfaits;

Il nous fuit: reprenons de plus nobles projets.

Ta main doit affermir le trône de ton père,

Et ton hymen m'assure un appui nécessaire;

Obéis. Autrefois je demandais aux cieux

Un fils, digne héritier du nom de ses aïeux,

Qui, marchant sur mes pas de victoire en victoire,

Couronnât mon ouvrage et surpassât ma gloire.

Inutiles souhaits! Le sort trop rigoureux

Ne voulut accorder qu'une fille à mes voeux;

Que cette fille au moins cesse d'être rebelle!

Qu'elle oublie un amant à Wallstein infidèle!

Appaise, il en est tems, un tardif désespoir,

Étouffe ta faiblesse et remplis ton devoir.

 

Thécla.

Je dois à votre aspect déguiser ma souffrance:

Je le sais. N'exigez nulle autre obéissance,

Et ne prétendez pas qu'aux regards d'une cour,

Prisonnière, je traîne un malheur sans retour.

Sur mon coeur déchiré quand Alfred règne encore,

Je pourrais accepter un hymen que j'abhorre,

Et tromper, sans rougir, par un affreux serment,

À la fois un époux, le ciel et mon amant!

Non, non. Ne tentez plus un effort inutile;

Laissez-moi loin d'ici me chercher un asile,

Mon père; permettez qu'en des lieux retirés,

Par la religion aux larmes consacrés,

J'attende, vers le ciel élevant ma prière,

Le terme désiré de ma triste carrière.

Pour moi, tout autre sort n'est qu'un objet d'effroi.

Alfred seul...

 

Wallstein.

Cet Alfred est indigne de toi.

Sur les pas de Gallas l'ambition le guide;

Il suit, sans en rougir, les traces d'un perfide:

Ton coeur, pour l'arrêter, fut d'un trop faible prix,

Il aspire aux honneurs dans les camps ennemis.

 

Thécla.

Que servirait ici que je le justifie?

Le destin pour toujours sépare notre vie.

Puissiez-vous sur Alfred n'être point dans l'erreur!

Qu'il trouve, en d'autres lieux, la gloire et le bonheur.

Ces voeux, seigneur, pour vous ne sont point un outrage,

Alfred à vos desseins ne porte plus d'ombrage.

Puisse-t-il loin de nous...

 

 

 

Scène III.

 

Les précédens, Tersky.

 

Tersky

entrant avec joie.

Arnim victorieux

Vous envoie annoncer un exploit glorieux,

Seigneur: de nos succès s'ouvre ainsi la carrière.

 

Wallstein.

En quels lieux?

 

Tersky.

Près d'ici.

 

Wallstein.

Contre quel adversaire?

Les chemins détournés qu'Arnim doit traverser

N'offrent point d'ennemis qu'il ait pu repousser.

 

Tersky.

Ses messagers, seigneur, pourront mieux vous instruire.

 

Wallstein.

Près de moi, sans retard, il les faut introduire.

Qu'ils viennent.

 

Tersky.

Les voici.

 

 

 

Scène IV.

 

Les précédens, un officier saxon, suivi de deux autres

qui demeurent dans l'enfoncement.

 

Wallstein.

Je vois avec plaisir

Les lauriers dont vos fronts viennent de se couvrir.

Pour nos communs travaux j'accepte ce présage.

 

L'officier.

Nous n'avons remporté qu'un léger avantage,

Seigneur; les combattans que nous avons vaincus

Ont tenté contre nous des efforts superflus.

L'on eût dit qu'à dessein ils couraient à leur perte.

De nos fiers bataillons la plaine étoit couverte,

Lorsqu'en nombre inégal, tout-à-coup, des guerriers

Contre nous avec rage ont poussé leurs coursiers.

 

Wallstein.

Je ne puis concevoir quelle troupe ennemie

A sitôt sur Arnim dirigé sa furie.

Gallas a-t-il déjà rassemblé des soldats?

 

L'officier.

Non: ce n'étoit point lui; nous connaissons Gallas.

 

Thécla, qui jusqu'alors n'a point écouté, s'approche et écoute avec inquiétude.

 

Wallstein.

D'où venaient ces guerriers?

 

L'officier.

Leur rapide cohorte

D'Égra semblait à peine avoir quitté la porte.

 

Thécla écoute toujours plus attentivement.

 

Wallstein.

Ils vous ont attaqué?

 

L'officier.

Non loin de ce rempart.

Thécla.

Ciel!

 

Wallstein,

avec trouble et en prenant Thécla par la main.

Laisse-nous.

 

Thécla.

Non, non, mon père, il est trop tard.

À l'officier.

Leur chef?

 

L'officier.

Il était jeune, et son fougueux délire...

 

Thécla.

Son nom?

 

L'officier,

avec étonnement.

Madame, aucun n'a pu nous en instruire.

Tous sont morts...

Thécla chancèle. Son père la soutient.

Mais après le succès obtenu,

À leurs drapeaux sanglans nous avons reconnu

Cette troupe célèbre à vaincre accoutumée,

Le corps des cuirassiers, fameux dans votre armée.

 

Thécla tombe dans les bras d'Élise.

 

Wallstein.

Thécla, reprends tes sens; Thécla, reviens à toi.

Amis, éloignez-vous. L'étonnement, l'effroi...

Je vous suivrai.

 

Tersky et les officiers sortent.

 

 

 

Scène V.

 

Wallstein, Thécla, Élise.

 

Élise.

Seigneur, je la vois qui respire.

Parlez-lui, votre voix...

 

Wallstein,

ému.

Que pourrai-je lui dire?

 

Thécla,

revenant graduellement à elle.

Où suis-je! Sur mes yeux un nuage épaissi...

Elle regarde son père.

Mon père...

Elle regarde autour d'elle.

Où donc est-il?... quoi!... n'est-il plus ici?...

 

Wallstein.

Qui donc?

 

Thécla.

Celui... par qui... sa mort fut annoncée.

 

Élise.

Ah! Madame, écartez cette horrible pensée,

Ranimez vos esprits; que nos soins, nos secours...

 

Wallstein.

Élise, à sa douleur laisse un plus libre cours.

N'arrête pas ses pleurs; que son coeur se soulage.

Elle saura pour moi ressaisir son courage:

Contre ce premier choc elle n'a pu lutter.

 

Thécla,

en se faisant violence.

Mon père... je suis mieux... mais daignez m'écouter.

Vous voyez que déjà ma force est revenue.

Rappelez ce guerrier... pourquoi fuit-il ma vue?

Souffrez, souffrez qu'ici je le puisse revoir,

Que seule...

 

Élise.

Non, seigneur, craignez son désespoir.

 

Wallstein.

Thécla! Pourquoi braver un tourment inutile?

 

Thécla.

Lorsque je saurai tout, je serai plus tranquille.

Ne sais-je donc pas tout?... qu'apprendre sur mon sort?...

Que veut-on me cacher?... je le sais... il est mort.

Votre refus accroît mon angoisse cruelle:

À genoux... par pitié... mon père!

 

Wallstein

à Élise.

Qu'on l'appelle,

J'y consens.

Élise sort.

Tu le vois, je compte sur ton coeur:

Je te crois. Tu sauras surmonter ta douleur,

Digne sang du guerrier qui t'a donné la vie,

Toi, fille de Wallstein!

 

Élise,

rentrant, à Thécla.

Vous êtes obéie,

Madame, mais songez...

 

Thécla.

Revient-il?

Élise.

Le voici.

 

Wallstein.

Thécla!

 

Thécla.

Mon père... adieu... qu'Élise reste ici.

 

Pendant ces deux derniers vers, l'officier qui a suivi Élise rentre, et Wallstein sort.

 

 

 

Scène VI.

 

Thécla, Élise, l'officier.

 

L'officier,

s'avançant vers Thécla, avec embarras et tristesse.

Vous me voyez confus, madame; et j'ose à peine...

J'ai causé, malgré moi, votre frayeur soudaine...

Un hasard malheureux qu'on ne pouvait prévoir,

M'a forcé d'apporter...

 

Thécla,

avec dignité et douceur, et d'une manière contenue.

C'était votre devoir.

Après un court silence.

Vous avez de mon coeur pénétré le mystère:

Mais il faut m'accorder une grâce dernière.

 

L'officier.

Madame!

 

Thécla.

Poursuivez le récit commencé.

En s'efforçant de paraître encore plus calme:

Je saurai... vous entendre... et mon trouble est passé.

 

L'officier.

Par ces tristes détails votre ame déchirée...

 

Thécla.

Non... je vous les demande... et j'y suis préparée.

 

L'officier.

Appelé par Wallstein, dans Égra cette nuit

Son fidèle allié devait être introduit.

L'armée avait atteint la distance marquée,

Et nous nous reposions jusqu'à l'heure indiquée.

Un tourbillon épais frappe nos yeux surpris:

L'avant-garde recule et crie aux ennemis.

À ces cris imprévus, chacun de nous s'élance;

Mais, plus prompt que la foudre, un escadron s'avance,

Et, chassant, dispersant nos soldats sous ses coups,

Pénètre, avec son chef, jusqu'au milieu de nous.

Thécla fait un mouvement. L'officier s'arrête

Jusqu'à ce qu'elle lui fasse signe de continuer.

Une attaque si prompte un instant nous désarme:

Mais, surmontant bientôt cette subite alarme,

Nos cavaliers d'Arnim reçoivent le signal.

Rougissant de leur trouble et du nombre inégal,

Nos guerriers indignés, de tous côtés accourent,

Cernent les ennemis, les pressent, les entourent:

À leur retour enfin tout chemin est fermé.

De se rendre, leur chef par le nôtre est sommé.

On le reconnaissait à l'écharpe éclatante

Qui ceignait en longs plis son armure brillante.

Thécla chancèle et s'appuye sur le dos d'un fauteuil.

Il s'arrête, et d'un signe animant ses soldats,

Il les presse, il les force à marcher sur ses pas.

S'élançant au milieu de l'épaisse mêlée,

Ils percent de nouveau dans la foule ébranlée;

Un de nos bataillons s'entr'ouvre dispersé.

Mais du jeune guerrier le cheval est blessé,

Il se cabre, résiste à la main qui le guide,

Tombe. Ses compagnons, dans leur élan rapide,

Ne peuvent retenir leurs coursiers effrayés,

Poursuivent leur carrière... et le foulent aux piés.

Thécla, qui a écouté ces derniers vers avec une angoisse toujours croissante, est prête à tomber. Élise la soutient.

Ah! Madame.

 

Thécla,

rappelant sa force.

Achevez.

 

L'officier.

En le voyant sans vie,

Ses cuirassiers soudain redoublent de furie.

Un sombre désespoir s'est emparé d'eux tous.

Prodigues de leur sang, ils reviennent sur nous.

Ces tigres acharnés ne daignent rien entendre.

Accablé par le nombre, aucun ne veut se rendre,

Tous enfin ont péri.

 

Thécla,

après quelques momens de silence,

pendant lesquels l'officier veut s'éloigner.

Elle fait un geste pour le retenir, et reprend

d'une voix tremblante.

Son corps inanimé...

 

L'officier.

Dans un cloître voisin nous l'avons renfermé.

 

Thécla.

Ce cloître...

 

L'officier.

Est près d'ici.

 

Thécla.

Son nom?

 

L'officier.

Sainte Ildegonde.

 

Thécla.

Qui l'habite?

 

L'officier.

Des soeurs de piété profonde,

Et dont l'austérité...

 

Thécla.

Quelle porte y conduit?

 

L'officier.

Celle qui de ces lieux vers la Saxe...

 

Thécla.

Il suffit.

 

L'officier.

Le récit douloureux, arraché de ma bouche,

Madame, a ranimé...

 

Thécla,

d'une voix éteinte.

Votre intérêt me touche...

Oui... je le crois... mon sort... obtient votre pitié:

Mais allez.

 

L'officier sort.

 

 

 

Scène VII.

 

Thécla, Élise.

 

Thécla,

avec une extrême agitation.

Il me faut prouver ton amitié,

Élise: il faut partir, partir à l'instant même.

 

Élise.

Partir! Que dites-vous? Ciel! Dans ce trouble extrême!

Madame!

 

Thécla.

Il faut partir.

 

Élise.

Vous me glacez d'effroi.

Où voulez-vous aller?

 

Thécla.

Il n'est qu'un lieu pour moi,

Son tombeau... viens, Élise, il m'attend, il m'appelle.

 

Élise.

Thécla!

 

Thécla.

Tu fus toujours ma compagne fidèle.

Pour aller jusques là, prête-moi ton appui.

 

Élise.

Qu'y pouvez-vous chercher?

 

Thécla.

Ce qui reste de lui.

Hâte-toi. Prends pitié du tourment qui m'agite,

Prépare tout.

 

Élise.

Madame, une semblable fuite...

D'un monde soupçonneux redoutez les discours.

 

Thécla.

Est-ce donc dans ses bras, Élise, que je cours?

 

Élise.

À travers nos guerriers comment sortir des portes?

 

Thécla.

Un peu d'or aisément séduira ces cohortes.

 

Élise.

J'ignore les chemins.

 

Thécla.

Ma main te conduira.

 

Élise.

Dans cette obscurité...

 

Thécla.

La nuit nous cachera.

Élise.

Mais si l'on vous poursuit, si la garde attentive

Aperçoit, reconnaît...

 

Thécla.

Dans une fugitive,

Dans un être abattu, brisé par le destin,

Quel oeil reconnaîtrait la fille de Wallstein!

 

Élise.

Nous ne pourrons franchir une armée étrangère.

 

Thécla.

Le malheur librement peut parcourir la terre.

 

Élise.

L'orage nous menace, et le ciel à grands flots...

 

Thécla.

Était-il doucement sous les pieds des chevaux!

 

Élise.

J'embrasse vos genoux, songez à votre père.

 

Thécla.

Mon père!... il régnera.

 

Élise.

Redoutez sa colère.

 

Thécla.

Il a voulu régner: tout m'est indifférent:

De lui, de l'univers, qu'ai-je à craindre à présent?

Quelle douleur encor peut m'être réservée?

 

Élise.

Quand dans ce lieu fatal vous serez arrivée,

Que ferez-vous?

 

Thécla.

Peut-être il saura m'inspirer,

Peut-être, près de lui, je pourrai respirer.

Élise, un mouvement que je ne puis décrire,

Que je ne puis dompter, vers sa cendre m'attire.

 

Élise.

Ah! Du moins attendez, madame! Au nom du ciel!

Le tems... le repos...

 

Thécla.

Oui, le repos éternel,

Celui qu'il a trouvé... viens si je te suis chère;

Tes vains retardemens augmentent ma misère.

Chaque instant qui s'écoule ajoute à ma douleur.

Ses généreux amis accusent ma lenteur.

Dans la nuit du trépas ils ont voulu le suivre,

À la mort de son chef aucun n'a pu survivre.

Ce qu'ils ont fait, ces coeurs endurcis aux combats,

Ces soldats, ces guerriers, je ne le ferais pas!

Oui, je cours te rejoindre, ombre chère et fidèle.

 

Thécla sort.

 

Élise.

Elle m'échappe... on vient... grand Dieu! Prends pitié d'elle.

 

Élise sort à la suite de Thécla.

 

 

 

Scène VIII.

 

Buttler, ensuite Isolan.

 

Buttler.

Quel bruit s'est fait entendre?... écoutons... tout se tait...

Isolan ne vient pas. L'heure fuit, tout est prêt.

Qui le retient?

Isolan paraît.

C'est lui. J'attendais ta présence.

Les saxons vont entrer dans nos murs sans défense.

Alfred, vaincu par eux, n'a pu leur échapper.

Il faut cette nuit même, ou périr ou frapper.

 

Isolan,

étonné.

Frapper! Et qui?

 

Buttler.

Wallstein.

 

Isolan.

Que dis-tu?

 

Buttler.

Dans une heure,

Pour nous sauver tous deux, il faut que Wallstein meure.

Isolan recule d'horreur.

Tu promis d'obéir. C'est à moi d'ordonner.

J'ai promis de combattre, et non d'assassiner.

Voilà donc tes projets! Quelle entreprise impie!

Tout couvert de ses dons, tu veux trancher sa vie!

 

Buttler.

De la reconnaissance il oublia les lois,

À la reconnaissance il a perdu ses droits.

 

Isolan.

Notre chef!

 

Buttler.

Il le fut.

 

Isolan.

Un bienfaiteur!

 

Buttler.

Un traître.

 

Isolan.

Un grand homme!

 

Buttler.

Un rebelle, ennemi de son maître.

 

Isolan.

Ton coeur ne frémit pas?

 

Buttler.

Wallstein seul doit trembler.

Son arrêt est porté.

 

Isolan.

Qui voudra l'immoler?

 

Buttler.

Mes guerriers.

 

Isolan.

Leur valeur abjecte et mercenaire,

Du trépas d'un héros dévore le salaire!

Mais nous, Buttler!... abjure un si lâche dessein;

Rejoignons près d'ici Gallas et Géraldin.

Leurs soldats sont cachés dans la forêt prochaine.

Nous pourrons dans ces murs les faire entrer sans peine.

Les postes occupés par nos secrets amis

S'ouvriront devant nous.

 

Buttler.

Si nos voeux sont trahis,

Si Wallstein nous prévient?

 

Isolan.

Disputant la victoire

Nous combattrons alors sans flétrir notre gloire.

 

Buttler.

C'est risquer trop de sang pour quelques vains lauriers.

 

Isolan.

Mourir dans les combats est le sort des guerriers,

Et mieux vaut mille fois leur trépas légitime

Que d'épargner ainsi leur sang au prix d'un crime.

 

Buttler.

Un crime! Je punis un soldat révolté.

 

Isolan.

Oui, mais par un forfait cent fois plus détesté.

 

Buttler.

Un serment solennel à Ferdinand me lie.

Enfin, tout est permis à qui sert la patrie.

 

Isolan.

La patrie! Ainsi donc ce titre respecté

Couvre tes attentats d'un voile d'équité!

Repousser loin du trône une race avilie,

Couronner un héros, c'est servir la patrie,

Nous disais-tu jadis. Par la cour regagné,

Tu prétends aujourd'hui qu'il meure assassiné:

Ton poignard est levé sur sa tête blanchie,

Et c'est encor, dis-tu, pour servir la patrie!

 

Buttler.

À quoi bon du passé ce tardif souvenir?

Le présent nous commande, il lui faut obéir.

Tout est prêt, suis-moi.

Il aperçoit Wallstein qui entre.

Ciel!

 

 

 

Scène IX.

 

Les précédens, Wallstein.

 

Pendant cette scène, Isolan reste constamment les yeux baissés, pensif, et comme agité intérieurement. Buttler, au contraire, se fait violence, pour paraître sans inquiétude.

 

Wallstein

à Buttler, qui veut sortir.

Un destin trop sévère

A d'un héros naissant terminé la carrière.

Je veux que mon armée, imitant mes douleurs,

Rende aux restes d'Alfred les funèbres honneurs.

Amis, vous l'aviez vu, dès sa plus tendre enfance,

Auprès de votre chef signaler sa vaillance:

Toujours aux premiers rangs il avait combattu.

Que n'espérions-nous pas de sa jeune vertu!

Hélas! Un vain scrupule égara son courage;

Mais sa valeur encor mérite notre hommage.

Des fautes qu'il commit n'accusons que le sort.

Il n'est point de courroux que n'appaise la mort.

 

Buttler.

Aux cendres d'un transfuge, accorder tant de gloire!

 

Wallstein.

D'un soldat qui n'est plus respectez la mémoire.

 

Buttler.

Il quitta vos drapeaux.

 

Wallstein.

Il ne m'a point trahi.

 

Buttler.

Il abjura son chef.

 

Wallstein.

Il pleura son ami.

Que ne peut-on me rendre un coeur aussi fidèle!

 

Buttler.

Seigneur, tous vos guerriers...

 

Wallstein.

Oui... je connais leur zèle.

Pour m'obéir, Buttler, c'est vous que j'ai nommé.

Rapportez dans ces lieux ce corps inanimé.

Hâtez-vous de partir. Demain avant l'aurore

Trouvez-vous près de moi.

 

Buttler.

Seigneur, plutôt encore.

À Isolan, à voix basse.

Viens.

 

Isolan.

Non, dans tes forfaits je ne veux point tremper.

Je vais trouver Gallas.

 

Buttler,

à part.

Et moi, je vais frapper.

 

Buttler et Isolan sortent.

 

 

 

Scène X.

 

Wallstein, seul.

 

Wallstein

La pitié n'entre point dans leur coeur implacable.

Mobile est leur amour, leur haine inexorable.

Après un silence et quelques momens de méditation.

Tandis qu'ils m'écoutaient, leurs fronts étaient baissés. –

Ils détournoient de moi leurs yeux embarrassés. –

Ils s'observaient l'un l'autre, et semblaient se contraindre. –

Quelle secrète voix m'avertit de les craindre?

Dois-je vous écouter, vagues pressentimens?

Vous m'avez sur Gallas abusé quarante ans.

Instinct confus, faut-il te prendre encor pour guide?

Es-tu la voix du ciel? Non, le ciel est perfide.

L'amitié m'a trahi. Les astres m'ont trompé.

D'une éternelle nuit l'homme est enveloppé.

On interroge en vain l'inflexible nature.

Il faut donc marcher seul dans cette route obscure,

Seul, et sans un ami qui, me servant d'appui,

D'un trône solitaire adoucisse l'ennui!

Alfred est mort. Thécla, repoussant ma tendresse,

Me reproche en secret la douleur qui l'oppresse.

Les avides soldats sur mes pas empressés

Disputent les honneurs par mes mains dispensés.

J'aimais Gallas: le sort me l'a rendu parjure.

En vain d'un voile épais je couvre ma blessure;

Pour oublier Gallas il faut tout oublier;

C'est la moitié de moi qu'il faut sacrifier.

Chacun de mes exploits le retrace à ma vue.

Notre longue carrière ensemble parcourue,

Tant de nobles desseins ensemble exécutés,

Tant de maux, de périls avec lui supportés,

Tout nous était commun: sa lâche perfidie

De tous mes souvenirs a dépouillé ma vie.

Le passé tout entier semble m'abandonner.

Ce n'était pas ainsi que je comptais régner!

Trop aveugles humains! Déçus par la distance,

Nous lassons de nos voeux l'avenir qui s'avance.

Il se venge de nous, même en nous exauçant;

Il trompe nos désirs, même en les remplissant,

Et nos regards, à peine, en le voyant paraître,

Sous des traits si changés le peuvent reconnaître.

N'importe. Ces regrets qui viennent m'égarer,

Ces faiblesses du coeur, il les faut abjurer,

Ne voir dans les mortels qu'un instrument qu'on brise

Et qui sert d'autant mieux que plus on le méprise.

Impérieux destin, ton ordre est satisfait!

Tu m'entraînais au trône et j'y monte en effet.

Mais je sens dans mon coeur se flétrir l'espérance.

Je ne t'invoque plus. Je cède à ta puissance.

Comme un poids étranger je reçois tes bienfaits

Et me livre en aveugle à tes sombres décrets.

Rentrons. La nuit s'avance, et dans ce jour d'orage,

Trop de coups ont usé ma force et mon courage.

Le repos chassera ce trouble de mon sein:

Qui sait ce que l'aurore éclairera demain!

 

Wallstein sort.

 

 

 

Scène XI.

 

Thécla, Élise, entrant par la porte opposée.

 

Thécla.

Il s'éloigne: avançons. à peine je respire:

Où donc est le soldat qui nous devait conduire?

 

Élise.

Il s'est placé, madame, aux portes du palais.

 

Thécla.

Je crains de m'égarer dans ces détours secrets;

Va le chercher, Élise: ici je puis t'attendre.

À cette heure, en ces lieux, nul ne peut nous surprendre.

Cours et reviens.

Élise sort.

Ô vous, vous que je vais quitter,

Pardonnez. à mon sort je n'ai pu résister.

Au coup qu'elle a reçu votre fille succombe.

Vous marchez vers un trône et je cherche une tombe:

Je dérobe à vos yeux l'ennui de ma douleur.

Je vous laisse entouré de pompe et de splendeur.

Puisse le ciel du moins, content de mes misères,

Veiller avec bonté sur vos destins prospères!

 

Élise,

revenant effrayée.

Ah! Madame! D'effroi mon esprit éperdu...

Qu'allons-nous devenir! Hélas! Tout est perdu.

Du palais assiégé gardant les avenues,

De farouches guerriers en ferment les issues.

J'ai, de loin, entendu les clameurs des soldats,

Le nom de l'Empereur et celui de Gallas.

On dit que par la ruse il a surpris nos portes,

Qu'Isolan contre nous a guidé ses cohortes:

On dit que de son fils ignorant le destin,

Il le veut arracher au pouvoir de Wallstein.

Il s'avance au milieu de la garde séduite:

Il va bientôt lui-même empêcher notre fuite.

J'ai vainement cherché quelques détours obscurs,

Déjà son nom partout commande dans ces murs.

 

Thécla.

Ciel! Mon père est trahi. Viens.

 

Élise.

Que voulez-vous faire?

Thécla.

Élise, à ce perfide on va livrer mon père.

On entend du bruit derrière le théâtre.

Courons le prévenir. Hâtons-nous: soutiens-moi.

Dieux! C'est Gallas.

 

 

 

Scène XII.

 

Les précédens, Gallas, Géraldin, officiers, soldats.

 

Gallas

à Thécla.

Restez et calmez votre effroi.

Je ne viens point, vengeur inflexible et sévère,

Dans un ancien ami poursuivre votre père.

Fidèle, contre lui j'ai défendu l'état,

Mais j'ai su le sauver d'un horrible attentat.

L'auguste Ferdinand, qu'en ces lieux je remplace,

De ce peuple égaré daigne accorder la grâce.

Sa clémence pardonne aux citoyens soumis.

Ce pardon généreux à mes voeux fut promis.

J'exerce en cet instant l'autorité suprême,

Et Wallstein, avec vous, peut quitter la Bohême.

 

 

 

Scène XIII.

 

Les précédens, Isolan, soldats, Buttler, désarmé.

 

Gallas.

Isolan! Quel effroi j'aperçois dans vos yeux!

 

Isolan,

avec trouble.

Ne m'interrogez pas.

 

Gallas.

Wallstein?

 

Isolan.

N'est plus!

 

Thécla,

en levant les mains au ciel, et tombant ensuite

sans connaissance dans un fauteuil.

Grands dieux!

 

Isolan.

Par votre ordre, empressé de prévenir le crime,

J'allois aux meurtriers arracher leur victime.

Plein d'un espoir trompeur, de loin je les suivais

Dans les sombres détours de ce vaste palais.

J'entendais résonner sous ces voûtes funèbres

Leurs pas précipités au milieu des ténèbres.

J'appelle: mais en vain. Dans la profonde nuit,

De mes cris impuissans l'écho seul retentit.

Je parviens jusqu'au seuil. La garde était forcée,

Les soldats massacrés et la porte enfoncée.

J'entre: mais avant moi Buttler a pénétré.

J'aperçois le héros d'assassins entouré,

Immobile, intrépide, opposant pour défense

À ses vils meurtriers son auguste silence.

Je redouble d'efforts, je crie... il est trop tard.

Le féroce Buttler saisissant son poignard...

Je n'ai pu de ce monstre arrêter la furie.

Il frappe, et sous son bras Wallstein tombe sans vie.

Mais à peine le coup a-t-il été porté,

Que chacun du forfait paraît épouvanté.

Un désespoir soudain saisit la troupe ingrate.

En longs gémissemens le repentir éclate,

L'un tombant à genoux, de remords dévoré,

Arrose de ses pleurs ce corps défiguré.

L'autre de ses bienfaits rappelle la mémoire,

Et couvert de son sang redit encor sa gloire.

Leurs larmes, leurs sanglots redemandent au ciel

Leur chef, leur bienfaiteur atteint d'un trait mortel,

Et dans l'affreux Buttler détestant leur complice

Ils allaient de ce traître abréger le supplice.

J'ai suspendu leurs coups. On le traîne en ces lieux:

Qu'il reçoive le prix de son crime odieux.

 

Gallas

à Buttler.

Malheureux! Qu'as-tu fait? Oses-tu bien, perfide,

Offrir à mes regards ton aspect parricide?

Monstre né des enfers! Dans ce coeur révéré

De quel droit plongeais-tu ton bras dénaturé?

 

Buttler.

Vous-même, de quel droit me prodiguer l'outrage?

Qu'ai-je fait, après tout, qu'achever votre ouvrage?

Tous deux contre Wallstein nous avons conspiré:

Par tous deux à la fois le coup fut préparé.

Osez-vous à ma vue affecter l'innocence?

Entre Buttler et vous quelle est la différence?

Wallstein était mon chef, mais non pas mon ami.

Mon bras l'a poignardé, mais vous l'aviez trahi.

Qu'importe qu'à présent, mortel pusillanime,

Complice de son sort, vous pleuriez ma victime?

À Géraldin.

Ministre de l'état que Buttler sut venger,

Votre ennemi n'est plus: sachez me protéger.

 

Gallas

à Géraldin.

Vous, contre ma fureur, défendrez-vous ce traître?

 

Géraldin.

Que Ferdinand prononce: il est seul notre maître.

 

Il fait signe à Buttler de s'éloigner. Buttler sort.

 

Gallas.

Ô remords! ô douleur! Triste fidélité,

Dans quel abîme affreux m'as-tu précipité!

À Thécla.

Et vous, qu'à peine ici j'ose nommer encore,

Pourriez-vous m'imputer un forfait que j'abhorre?

À veiller sur ses jours j'avais mis tous mes soins:

Isolan, ces soldats, ce peuple en sont témoins.

J'apportais son pardon. Le ciel, dans sa vengeance,

A trompé sans pitié ma plus chère espérance.

 

Thécla.

Qui me parle?... quel bruit me poursuit en ces lieux?

Elle regarde autour d'elle avec égarement.

Quelles traces de sang viennent frapper mes yeux?

Elle se lève.

Laissez, laissez-moi fuir... leur tombe est mon asile...

Là... le trépas m'attend sur leur pierre immobile...

J'entends la voix des morts qui m'appelle auprès d'eux...

Oui, mon oeil t'aperçoit, héros majestueux,

Toi que je vis toujours, guidé par la victoire,

Comme un astre éclatant répandre au loin ta gloire...

Un instant t'a plongé dans l'éternelle nuit!...

Tu fais signe à ta fille, et ta fille te suit.

Prophétique terreur, tu m'avais avertie.

Même heureuse, en tremblant je contemplais la vie.

Mon coeur, plein d'un effroi qu'il ne pouvait bannir,

Sentait peser sur lui le funèbre avenir.

Bonheur, espoir, amour, décevantes images,

Pourquoi m'entouriez-vous de vos trompeurs nuages?...

Ils ne sont point trompeurs... dans les cieux réunis,

Mon père, Alfred...

 

Gallas,

avec étonnement.

Quel trouble égare ses esprits?

À Isolan.

Que dit-elle d'Alfred?

 

Isolan se tait.

 

Thécla.

Maître des destinées,

Tu défends d'avancer le terme des années.

Par des coups redoublés me consacrant à toi,

Sans rival ici-bas tu veux régner sur moi.

Quand j'aspire au trépas, ta volonté m'arrête.

Sous ton joug redouté tu fais courber ma tête.

Mon ame vainement veut prendre son essor.

Ton ordre la retient: il faut attendre encor.

Mais aux pieds des autels, dans les larmes plongée,

Entre les morts et toi ma vie est partagée.

Je dois, en te servant, désarmer ton arrêt,

Et de la mort ainsi mériter le bienfait.

À Gallas.

Vous, si pour tant de maux quelque pitié vous reste,

Ne me retenez pas dans ce séjour funeste.

Ne me séparez plus du tombeau qui m'attend.

Un autre près de lui s'élève maintenant.

Laissez-moi réunir au nom de ma misère

À la cendre d'Alfred la cendre de mon père.

 

Gallas.

Alfred! Dit-elle encore! Isolan! Dieux! Mon fils!

Parlez!

 

Isolan.

Il est trop vrai, seigneur, et vos amis

Vous dérobaient en vain cette triste nouvelle.

Frappé dans un combat d'une atteinte mortelle,

Alfred...

 

Gallas.

Mon fils est mort! Sous le fer ennemi

Moi-même j'ai traîné mon fils et mon ami!

Alfred, unique espoir d'un coeur flétri par l'âge,

C'est moi qui t'ai frappé. Ta mort est mon ouvrage.

Trop malheureux ami que j'avais outragé,

Wallstein! Wallstein! Hélas! Le ciel t'a trop vengé.

 

Thécla,

à Gallas, qui paraît abîmé dans le désespoir.

Ce ciel, à mon insçu, vous punit par ma bouche.

Père de mon Alfred, votre douleur me touche,

Vous le pleurez: mon coeur ne sauroit vous haïr.

Ce coeur, déjà soumis au dieu qu'il va servir,

Ce coeur, rempli d'Alfred, vous plaint... et vous pardonne.

Méritez ce pardon. Défendez près du trône

De mon père expiré les malheureux amis.

Ils errent dans ces murs, menacés et proscrits.

Sauvez-les des fureurs d'une cour ennemie.

Rendez ce dernier culte à l'amitié trahie:

Je vais d'un dieu sévère appaiser le courroux,

Et pleurer sur Alfred, sur mon père et sur vous.

 

 

Fin.