Benjamin Constant
1767 -1830
Wallstein
1809
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Acte troisième.
Scène I.
Wallstein.
Wallstein,seul, et se promenant à grands pas.Eh quoi! C'en est donc fait..... du sort inexorable,L'arrêt est prononcé..... l'arrêt irrévocable!Vers la rebellion son invisible brasA, presqu'à mon insçu, précipité mes pas.Ce n'étoit ce matin qu'une vague pensée,Et ce soir, malgré moi, tout-à-coup annoncée,Elle éclate au dehors, et d'un bruit menaçantVa porter l'épouvante au coeur de Ferdinand.Le ciel m'en est témoin. Jamais au fond de l'ameJe ne voulus ourdir cette coupable trame.À mon gré de l'Empire agiter les destins,Tenir d'un maître ingrat le sort entre mes mains,Pouvant la lui ravir, lui laisser la puissance;Flattoit de ma fierté la superbe imprudence.J'aimais, sans m'en servir, à sentir mon pouvoir,Je voyais près de moi le sentier du devoir,Encore ouvert! Soudain un mur d'airain s'élève,Ce projet si confus, il faut que je l'achève.Tout m'accuse, tout vient déposer contre moi.Plus je fus innocent, plus suspecte est ma foi.Ce qu'a pu me dicter la fougue, la colère,La confiance aveugle ou l'ardeur téméraire,Les désirs fugitifs, errans dans mon esprit,Ce qu'au hasard j'ai fait, ce qu'au hasard j'ai dit,Paraît un plan, s'unit, se combine, s'entasse,Et formant de soupçons une invincible masse,Obscurcit le passé, subjugue l'avenir,Semble prouver le crime et force à l'accomplir!
Scène II.
Wallstein, Tersky.
Tersky.L'envoyé Suédois vous demande audience.
Wallstein.Ah! Combien l'écouter me fait de violence,Et qu'il m'est dur de voir cet étranger hautainM'offrir comme un bienfait un secours incertain,Me vendre chèrement sa douteuse assistance,Prétendre, en m'offensant, à ma reconnaissance,Calculer à loisir nos dangers, nos besoins,Et s'applaudir des maux dont ses yeux sont témoins,Espérant, si le ciel me trompe en cette lutte,Comme de mes succès, profiter de ma chute!
Tersky.Eh! Laissez-lui, seigneur, s'il sert à vos projets,Son espoir, ses calculs et ses motifs secrets!Il saura mal, peut-être, en son âpre franchise,Ambassadeur guerrier, vous cacher sa surprise.Dès l'enfance asservi par un vain préjugé,Harald de vos desseins souvent a mal jugé.Son coeur, pour le héros que chérit sa patrie,Porta le dévoûment jusqu'à l'idolâtrie,Et, plein du souvenir d'un monarque adoré,Dans tous les souverains voit un objet sacré. 32)De Gustave, à ses yeux, l'éclat les environne,Dans Ferdinand lui-même il respecte le trône.Mais d'un agent aveugle et d'un obscur soldatDédaignez le suffrage, et songez à l'état.Votre gloire par lui ne peut être blessée;Il n'est qu'un instrument; qu'importe sa pensée?
Wallstein.Va. Je t'entends. Plus fier et plus heureux que moi,Fidèle à son pays et fidèle à son roi,Harald au fond du coeur nous méprise peut-être.En m'unissant à lui, je lui parais un traître.Après un silence.Que porte le traité qu'il me vient présenter?
Tersky.Si vous-même aujourd'hui vous daignez l'accepter,Si la triple alliance est par vous confirmée,Richelieu vous promet de solder votre armée,Et Bannier à votre aide envoie un corps nombreux.
Wallstein,avec amertume et défiance.Eh quoi! Ces étrangers n'exigent rien pour eux?Tersky se tait.Réponds.
Tersky.Vos longs retards leur ont fait quelqu'ombrage.Il faut de votre foi leur accorder un gage.
Wallstein.Quel est-il?
Tersky.Je l'ignore. Harald veut en ce jourSur ce point, à vous seul s'expliquer sans détour.
Wallstein.Un gage! Il m'ose ainsi montrer sa défiance!Tout mon coeur contre lui se révolte d'avance.Après un silence et avec effort.N'importe... il peut venir.Tersky sort.Je sens rougir mon front.Apprends-moi donc, ô sort! à porter cet affront!Tu me tiens malgré moi sous ton joug despotique,J'obéis en esclave à ta loi tyrannique,Mais cette loi de fer indigne ma fierté.Ah! Sévère est l'aspect de la nécessité.
Scène III.
Wallstein, Harald.
Wallstein,avec un embarras qu'il cherche à cacher.Vous venez de la part d'un sage et d'un grand homme. *)J'honore en vous son choix. C'est Harald qu'on vous nomme...
Harald.Oui, seigneur.
Wallstein.Votre nom ne m'est pas inconnu.
Harald.Ce nom jusques à vous peut être parvenu.Près du roi, qu'à Lutzen frappa la mort cruelle,Autant que je l'ai pu, j'ai signalé mon zèle.
Wallstein.Sans doute. Il m'en souvient. Pour venger son trépas,Votre ardente valeur s'acharna sur mes pas.Vous me surprîtes seul; l'attaque était soudaine:À vos guerriers nombreux j'échappai, mais à peine.
Harald.Je suis fier d'avoir vu, par un sort glorieux,Reculer un instant un héros si fameux.
Wallstein.Votre main fit tomber mon casque de ma tête.
Harald.Pour vous, par cette main, la couronne s'apprête.
Wallstein.Vos pouvoirs?
Harald.Les voici.Il lui remet une lettre, et, après un moment de silence pendant lequel Wallstein lit, il continue d'un ton froid et contenu.Mais avant de finir,Que de points importans il nous faut éclaircir!
Wallstein lui fait signe de s'asseoir. Ils s'asseyent tous les deux.
Wallstein,après avoir lu.Votre maître avec moi bannit tout artifice.Pour monter sur le trône il m'offre son service,Et croit, par ce secours à ma grandeur prêté,Du roi que vous pleurez remplir la volonté.
Harald.Il est vrai. Ce grand roi, durant sa noble vie,Toujours de son suffrage honora le génie,Et se plut, devant tous, à louer vos exploits.À régner, disait-il, les héros ont des droits.
Wallstein.Lui-même eut seul le droit de tenir ce langage.En prenant tout à coup le ton de la plus grande confiance.Harald, nous poursuivons un commun avantage.Ennemi généreux, Wallstein, plus d'une fois,A d'un péril pressant sauvé les Suédois.Souvent de mes guerriers j'arrêtai la furie.Vos bataillons épars aux champs de Franconie,Me durent, vers Gustave, un facile retour...De là vient contre moi la haine de la cour. 33)Formons donc désormais une étroite alliance,Et qu'entre nous enfin règne la confiance.
Harald,froidement.Seigneur, la confiance est l'ouvrage du tems,Et déjà nous traitons sans fruit depuis deux ans. 34)
Wallstein,avec embarras.Je vois dans ce discours un soupçon que j'excuse.Contraint par l'injustice à descendre à la ruse,Entraîné malgré moi... dominé par le sort...Je... trahis l'Empereur... je pourrais sans remordTromper un ennemi comme je trompe un maître...Répondez... c'est ainsi que me jugeant peut-être...
Harald,toujours plus froidement.Le chancelier, seigneur, a daigné me chargerDe traiter avec vous et non de vous juger.
Wallstein.Ferdinand me poursuit. Sa noire ingratitudeS'est fait de m'offenser une constante étude;Deux fois à ses sermens je me suis confié,Je me suis vu deux fois proscrit, sacrifié.Il m'outrage innocent, qu'il me craigne rebelle.Tout de le devenir me fait la loi cruelle,Ma gloire, mon honneur, mes droits, ma sûreté:Si je trahis enfin, c'est par nécessité.
Harald.Je le crois. Autrement, qui pourrait s'y résoudre?Après un silence.Mais ce n'est point à nous de blâmer ou d'absoudre.À vos secrets motifs nous sommes étrangers,Seigneur: vous connaissez vos devoirs, vos dangers.C'est à vous de juger quel dessein vous anime,Si l'entreprise est juste ou bien illégitime;Pour nous, à force ouverte ici nous combattons.Une occasion s'offre, et nous en profitons.Ainsi donc, si tous deux, sûrs enfin l'un de l'autre...
Wallstein.Eh bien! Qu'exigez-vous? Et quel doute est le vôtre?Votre maître peut tout. Voici l'instant fatal.Je suis prêt. Il n'a plus qu'à donner le signal,Qui l'arrête?
Harald.Seigneur, vos exploits, votre gloire,Les palmes, dont cent fois vous ceignit la victoire,Mansfeld vaincu par vous, et Tilly surpassé, 35)Le Danois fugitif, de l'Empire chassé, 36)Par un soudain prodige une invincible arméeTout-à-coup et d'un signe à votre voix formée,Tous ces faits sont présens à notre souvenir:Cependant... (Il hésite.)
Wallstein,avec impatience.Cependant?
Harald.S'il en faut convenir,Nous pensons... (Il s'arrête encore.)
Wallstein,vivement.Finissez un détour inutile.Harald.Nous pensons, pardonnez, qu'il est moins difficileDe rassembler d'un mot, d'entraîner aux combats,À la mort, des milliers d'intrépides soldats,Que d'en conduire un seul... excusez ma franchise.
Il s'arrête de nouveau.
Wallstein.Achevez.
Harald.À fausser la foi qu'il a promise.
Wallstein,après un mouvement violent qu'il contient, et d'unton calme et indifférent, en apparence.Suédois, protestant, l'on doit penser ainsi.Par un zèle sincère entraîné jusqu'ici,Chacun de vos guerriers, armé pour sa croyance,Fait avec le ciel même une auguste alliance,Combat pour son pays, pour son dieu, pour sa foi,Et marche, encor guidé par l'ombre de son roi.Mais d'un culte ébranlé défenseurs mercenaires,Mes soldats, rassemblés des rives étrangères,Sont un amas confus de mille nations,Soulevé par le trouble et les séditions.Les uns, du fond du nord, viennent pour le pillage.D'autres ont vu le jour dans cette île sauvageOù le peuple sans frein, foulant aux pieds les lois,Se plaît à mépriser la majesté des rois. 37)Quelques-uns dans la Gaule ont reçu la naissance,Et dans les factions nourris dès leur enfance,Proscrits ou fugitifs, ils cherchent en ce lieuL'impunité qu'ailleurs leur ravit Richelieu.D'autres sont accourus des champs de l'Italie.Tous n'ont que leurs drapeaux pour dieux et pour patrie.À leur seul intérêt consacrant leur valeur,Ils servent ma fortune, et non pas l'Empereur.Des sermens oubliés n'ont rien qui les arrête.Qui veut régner sur eux doit marcher à leur tête.Jamais, devant un front dépouillé de lauriers,L'on ne verra fléchir l'orgueil de mes guerriers;Et tous, de Ferdinand abjurant la mémoire,N'attendent que de moi leur grandeur et leur gloire.Voulez-vous un garant de leur fidélité?Lisez l'engagement que leur zèle a dicté.
Il remet à Harald l'engagement signé par les généraux.
Harald,après l'avoir lu.Je me rends, et je vais m'expliquer sans mystère.Je puis conclure un pacte à tous deux salutaire,Seigneur, vous accorder le secours le plus promptEt du bandeau royal décorer votre front.Je le puis d'un seul mot: mais, par ce traité même,Telle est du chancelier la volonté suprême,Il faut que, nous prouvant votre sincérité,Entre nous tout soupçon soit par vous écarté.
Wallstein.Comment?Harald.Bientôt l'Autriche, un instant ébranlée,Dirigera sur vous sa force rassemblée.Prévenez sa vengeance, et jusqu'en ses étatsConduisez sans retard vos valeureux soldats.Détournez loin d'ici l'orage qui s'apprête.Allez de l'Allemagne achever la conquête.La bohême est soumise à votre autorité:Que ses forts, en nos mains, soient gages du traité,Jusqu'au jour où la paix, notre commun ouvrage,Nous aura de l'Empire assuré le partage.Notre appui, nos secours, nos bras sont à ce prix.Prononcez à présent. Mes ordres sont remplis.Au nom du chancelier, votre allié, mon maître,Pour roi, dès aujourd'hui, je vous puis reconnaître.
Wallstein,avec une indignation contenue.Mais à laquelle il se livre par degrés.Harald, je vous écoute, et je crois m'abuser.Quel indigne traité m'osez-vous proposer?Pour prix de vos secours, vous céder mes provinces!Tout chargé de vos fers, m'asseoir parmi nos princes,Abandonner mon peuple, et pour premiers bienfaitsPermettre à l'étranger d'opprimer mes sujets!À tant d'abaissement si je pouvais souscrire,De quel oeil, justes dieux, verraient-ils mon Empire!De quel oeil verraient-ils un monarque avili,Les placer lâchement sous le joug ennemi!Je prétends qu'à mes lois la Bohême obéisse,Mais j'étendrai sur elle une main protectrice:Je n'y veux commander que pour la mieux servir,Et Ferdinand ni vous n'oserez l'envahir.Je vois trop vos projets. Tour-à-tour nous abattre,Par des traités adroits conquérir sans combattre,Sur nos divisions fonder votre pouvoir,Et nous accabler tous, oui, voilà votre espoir.
Harald.Ces transports imprévus excitent ma surprise;Mais j'y vais, sans courroux, répondre avec franchise.Appelés par les cris des peuples opprimés,Pour défendre leurs droits, nos bras se sont armés.Nous avons traversé l'orageuse Baltique:Notre sang a fondé la liberté publique.Le germain nous doit tout. Mais il voudrait bannirDe nos bienfaits passés l'importun souvenir.Il voit avec envie, au sein de l'Allemagne,Nos guerriers, que partout la victoire accompagne.Au fond de nos forêts il nous veut renvoyer.Un peu d'or, à ses yeux, suffit pour nous payer.Nous n'accepterons point cet indigne salaire,Notre prince a péri sur la terre étrangère;Nous voulons de sa cendre assurer les honneurs,Et rester citoyens où nous fûmes vainqueurs.Et qui nous dit qu'un jour, trompant notre espérance,Vous-même ne rompiez une courte alliance,Et grâce à nos efforts, vainqueur de Ferdinand,Ne tourniez contre nous votre pouvoir naissant?Je parle sans détour. De notre confianceLa Bohême en nos mains doit être l'assurance.Mais nos secours alors, secondant votre bras,Pourront sous votre joug mettre d'autres états;Et nous consentirons qu'un échange facileRende, pour tous les deux, notre victoire utile.
Wallstein.J'ai conquis mes états: je les saurai garder.Auprès du chancelier retournez sans tarder.Portez-lui ma réponse. à cet opprobre insigneIl s'est en vain flatté que Wallstein se résigne.Je ne livrerai point mon pays malheureuxPour en tenir de vous quelques débris honteux.Non. Non. Jamais.
Harald.Seigneur, je vois avec estimeCes éclats d'un courroux peut-être magnanime.Au scrupule tardif qui vous vient retenir,Avant de conspirer il fallait réfléchir.Qui prétend usurper la grandeur souveraineEn doit payer le prix au destin qui l'entraîne.De vos propres succès vous êtes l'ennemi.Le devoir ne se peut accomplir à demi.
Harald sort.
Wallstein,après un assez long silence, pendant lequel ilsuit Harald des yeux jusqu'à sa sortie.Voilà ces alliés dont on vantait le zèle!Qu'aisément se trahit leur amitié cruelle!S'ils m'offrent leur secours, c'est pour me dépouiller:De mes propres états ils veulent m'exiler.Ah! Que plutôt cent fois tout mon espoir s'écroule!Que plutôt tout mon sang en longs torrens s'écoule,Avant que l'étranger, par Wallstein déchaîné,Profane insolemment le sol où je suis né!
Illo entre précipitamment.
Scène IV.
Wallstein, Illo, ensuite Tersky.
Wallstein.Illo, que voulez-vous?
Illo.Tersky vers vous m'envoie:À des troubles soudains votre armée est en proie.De mouvemens confus vos soldats agitésPromènent au hasard des regards irrités.Leurs nombreux bataillons, entr'eux d'intelligence,Armés, d'un air farouche et d'un profond silence,Auprès de leurs drapeaux courent se réunir.À des ordres secrets tous semblent obéir.On dirait au combat que chacun se dispose.Nous tentons vainement d'en pénétrer la cause,Aucun ne veut nous suivre, aucun ne veut parler.
Wallstein.Qui donc à mon insçu les a pu rassembler?Où sont leurs généraux?
Illo.En ce désordre extrêmeJe croyais les trouver en votre palais même.Buttler, le seul Buttler, secondant nos efforts,Des soldats avec nous appaise les transports.Nous avons admiré son crédit salutaire.Il parle aux plus mutins, les flatte, les modère.Un regard, un coup-d'oeil les ramène au devoir.
Wallstein.Et d'où vient que sur eux il a tant de pouvoir?
Illo.Nous l'ignorons, seigneur; mais ce guerrier fidèleDans ce péril subit nous a prouvé son zèle.
Wallstein.Gallas?
Illo.Partout en vain nos regards l'ont cherché.Ce timide vieillard est en fuite ou caché.
Wallstein.Se pourrait-il?... mais non. Et vos propres cohortes?
Illo.De la ville, seigneur, elles gardent les portes.
Wallstein.Les soldats de Murray?
Illo.Veillent sur les remparts.
Wallstein.Les flamands, les wallons?
Illo.Près de leurs étendarts,Sur la place attroupés ils restent immobiles.
Wallstein.Allez. De mes guerriers ce sont les moins dociles.De la cour en secret leur chef est l'instrument.Que le corps de Buttler les dissipe à l'instant.
Illo sort par un des côtés. Dans le même moment Tersky entre par le côté opposé.
Tersky.Avez-vous ordonné que les houlans partissent?
Wallstein.Je n'ai rien ordonné.
Tersky.Seigneur, ils nous trahissent.Les postes avancés sont délaissés par eux.À peine on voit encor leurs escadrons nombreuxQui, suivant loin d'Égra leur rapide carrière,Rejettent derrière eux des torrens de poussière.
Wallstein.Palfy qui les commande?
Tersky.Eh! Ne savez-vous pas?Vers Tabor, par votre ordre, il a porté ses pas.
Wallstein.Par mon ordre! Perçons ce mystère coupable.Viens, suis-moi.
Il veut sortir avec Tersky. Illo rentre.
Illo.Trahison! Perfidie exécrable!
Wallstein.Que dis-tu?
Illo.Les mutins refusent d'obéir,Seigneur; tous mes efforts n'ont pu les contenir.Ils déclarent Gallas seul chef de cette armée.
Wallstein.Gallas!
Tersky.Ciel!
Wallstein.Sa puissance est partout proclamée.
Tersky.Le traître!
Wallstein se couvre le visage de ses mains, et se laisse tomber dans un fauteuil.
Illo.Il a lui-même, en partant de ces lieux,Montré de l'Empereur l'ordre mystérieux.La révolte par lui préparée et conduite...
Wallstein,avec anxiété.Alfred?
Illo.Sans doute Alfred l'a suivi dans sa fuite.Ensemble ils ont tramé ce perfide dessein.
Tersky.Ah! Mon pressentiment n'était que trop certain!Seigneur, si repoussant une aveugle tendresse...
Wallstein,avec désespoir.Gallas! Alfred! Grands dieux!... étouffons ma faiblesse.En se levant, et d'un ton ferme.Amis! C'est pour moi seul que ce jour est affreux.Loin de vous tout effroi. Nos efforts généreuxSont en vain traversés par un ami coupable.Voyez... j'ai surmonté la douleur qui m'accable.Le trait qui m'a percé ne m'affaiblira pas:Il a doublé plutôt la force de mon bras.Je tournerai contr'eux ce trait qui me déchire.Oui; je les veux punir de l'avoir pu séduire.Ils paîront les tourmens qu'ils me font éprouver.D'un appui, dans l'ingrat, ils ont cru me priver;Mais son crime a rendu ma victoire infaillible,Et le lion blessé n'en est que plus terrible.Il veut sortir avec Illo et Tersky.
Scène V.
Les précédens, Thécla, Élise.
Thécla,effrayée.Mon père!
Wallstein.Malheureuse! Ah! Que veux-tu de moi?À quel traître, à quel lâche as-tu donné ta foi!Gallas nous a trahis; Alfred est son complice:Alfred a partagé son horrible artifice.Laisse-moi.
Pendant ces vers de Wallstein, Illo sort.
Thécla.Dans ce crime Alfred n'a point trempé.Jamais, jamais Alfred ne vous aurait trompé;Jamais sans me revoir il ne m'aurait quittée:J'en atteste le ciel.
Illo,rentrant, à Wallstein.Toujours plus irritéeLa foule des mutins...
Wallstein.Je les vais disperser.Ne tardons plus, allons.
Wallstein sort. Illo et Tersky le suivent.
Scène VI.
Thécla, Élise.
Thécla.Qu'ose-t-on m'annoncer?Alfred, me disent-ils, est un traître, un parjure.De ces bruits odieux je connais l'imposture.Ce n'est pas là ma crainte; et mon coeur rassuréPar ces affreux soupçons ne peut être égaré.Mais d'où vient qu'il nous fuit!... si son père l'abuse,Si lui-même est trompé... si quelqu'indigne ruse...De cette obscurité ne me puis-je affranchir?Grand dieu! Sur son destin daigne enfin m'éclaircir!J'ignore tout, hélas! Tout, hors son innocence.
Scène VII.
Les précédens, Alfred.
Théclas'élançant vers Alfred.Alfred... c'est toi... le ciel m'a rendu ta présence.Elle s'appuye sur le bras d'Alfred, et s'arrête, ne pouvant parler.De mon saisissement je ne puis revenir...Alfred... ils t'accusaient de tromper... de trahir...Que ne soupçonnait pas leur fureur insensée!...J'ai rejeté bien loin leur coupable pensée.Thécla pas un instant de ton coeur n'a douté.En se remettant, et avec plus de calme.Je ne sais quel tumulte a soudain éclaté.Des factieux, dit-on, répandus dans l'arméeL'agitaient. Mais peut-être elle est déjà calmée.Mon père à leurs regards vient de se présenter:À son ordre, à sa voix nul ne peut résister.De te revoir ici quelle sera sa joie!Cher Alfred, c'est un dieu qui vers nous te renvoie.Je retrouve avec toi l'espoir et le bonheur.
Alfred.Il n'en est plus: dissipe une trop douce erreur.Ton amant, ton Alfred n'est que le fils d'un traître.Honteux à tous les yeux je voulais disparaître,Loin de ce lieu fatal chercher un prompt trépas,Je partais. Tout à coup j'apprends que nos soldats,Par mon père excités, oh comble de misère!Non loin de ce palais, s'arment contre ton père.Je ressaisis ma force et viens le secourir,Te revoir, te quitter, le sauver et mourir.Adieu.
Il sort avec impétuosité.
Thécla.Non, je te suis.
Elle veut sortir.
Scène VIII.
Thécla, Élise.
Élise,en retenant Thécla.Quel effroi vous égare!N'affrontez pas, madame, une foule barbare.Le duc a sur l'armée un absolu pouvoir.Vous la verrez bientôt, rentrant dans le devoir,Et confuse et soumise, à l'envi reconnaîtreUn chef qui fut toujours son sauveur et son maître.
Thécla.Va, tu combats en vain mon noir pressentiment,Élise; si l'espoir me ranime un moment,Bientôt il disparaît, et la nuit plus épaisseRedouble dans mon sein le tourment qui m'oppresse.Tout est perdu. Ce jour ne sépare-t-il pasLa fille de Wallstein et le fils de Gallas?Entre nos deux maisons la guerre est déclarée.Pour jamais contre nous leur haine est conjurée.Ô toi, dont les regards contemplent tes enfans,Toi qui daignas sourire à leurs feux innocens,Prends pitié de ta fille en un lieu si funeste,Ô ma mère, et du haut de ton séjour céleste,Contre un destin cruel qui nous frappe aujourd'hui,Que ton bras nous protège et nous serve d'appui.
Fin du troisième acte.
―――――――― *) Oxenstiern. |