Jules Sandeau
1811 - 1883
La Roche aux Mouettes
1871
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[183] |
XIV.Ou sont-ils?
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L'épouvante et la désolation n'éaient pas moindres au Pouliguen que sur le plateau de la Roche aux Mouettes; mais reprenons les choses de plus haut, à partir du moment où l'embarcation dirigée par maître Legoff avait quitté la baie. Le Pouliguen demeura quelque temps encore silencieux et désert. Mme Henry, en s'éveillant, n'avait été ni effrayée ni surprise de ne pas trouver son fils [184] auprès d'elle. Elle sortit du bois, chercha Marc des yeux, et, ne l'apercevant pas, elle supposa qu'il était à s'amuser avec les autres enfants le long du rivage. Cette supposition n'avait rien que de naturel: Marc en usait ainsi journellement. Elle acheva l'après-midi en compagnie des plus doux rêves: par un de ces jeux cruels où la destinée semble, se complaire, elle souriait aux promesses de l'avenir, alors que l'Océan emportait le dernier rameau de sa vie. Sur le soir, toute la population du bourg était rentrée, hormis les pêcheurs. Le Pouliguen avait repris peu à peu sa physionomie et son mouvement habituels; il n'y manquait que le bruit des enfants. Personne encore ne songeait à se préoccuper de leur absence; les mères elles-mêmes ne s'en faisaient nul souci, accoutumées qu'elles [185] étaient aux moeurs de ces petits bohémiens. Ils allaient accourir à l'heure de la soupe, comme une bande de moineaux affamés; car on se plaisait à le reconnaître, ils rachetaient leur peu d'exactitude à se rendre à l'école par une ponctualité scrupuleuse dans tous les exercices de la cuiller et de la fourchette. L'heure vint, la soupe était trempée: point d'enfants! Le cas parut étrange, ne s'étant jamais présenté jusque-là; mais les femmes qui voient leurs maris partir tous les jours à la mer, et leurs marmots à peine éclos s'ébattre au pied des dunes et trotter sur les grèves, ne se troublent pas pour si peu. Plus prompte à s'émouvoir, Mme Henry avait déjà battu les récifs en criant le nom de son fils. On essaya, pour la calmer, de lui faire entendre raison. Chacun s'en mêla, chacune y mit du [186] sien. Marc était entre bonnes mains, il ne courait aucun danger. Le pays était sûr, les gars n'étaient point sots, la côte et les brisants n'avaient pas de secrets pour eux. Ils étaient sans doute à la foire de Guérande, où une troupe de chiens savants attirait l'élite de la société circonvoisine, peut-être au bourg de Batz, où, s'il fallait en croire la publique rumeur, ils se livraient à de fréquentes orgies de pain d'épice et de macarons. Tout se terminerait par quelques gifles; c'était le pis qui pût leur arriver.
Cependant la nuit s'était faite, et les enfants n'avaient pas reparu. Les esprits commençaient à fermenter. Mme Henry ne tenait pas en place. Des paludiers, à sa prière, étaient partis dans toutes les directions. Les uns devaient pousser jusqu'à Guérande, les autres jusqu'au bourg de [187] Batz. D'autres avaient mission d'explorer les hameaux et les fermes du voisinage. Dans l'attente de leur retour, la population tout entière était rassemblée sur le quai. On s'agitait, on pérorait, on se perdait en conjectures sans approcher de la vérité. Des imprécations contre les absents éclataient dans le groupe des mères. Chacune s'en prenait au fils de sa voisine: je laisse à penser si Legoff, gardien du troupeau, était épargné!Les commentaires, les récriminations allaient leur train, quand un cri strident, aigre, inarticulé, s'éleva tout à coup du côté de la plage: les femmes se regardèrent avec effroi, quelquesunes d'entre elles se signèrent dévotieusement.«Bonne sainte Vierge! s'écria la mère Guillemin, c'est Bibia qui rit, il y a un malheur!» |