BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Jules Laforgue

1860 – 1887

 

Le Sanglot de la terre

 

Poèmes contemporains

du «Sanglot de la Terre»

 

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APOTHÉOSE

 

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I

Ô rêve éblouissant (où ma mort se pressent!)

J'ai vu la chapelle,

Toute d'ivoire et d'or, douloureuse d'essor,

Gigantesque et frêle!

Aux délicats festons brodant les clochetons,

Aux roses fleuries,

Aux arcades à jour, partout, brûlaient d'amour

Mille pierreries!

Et partout aux vitraux ruisselants, des joyaux:

Ors, saphirs, topazes,

Émeraudes, rubis, palpitaient éblouis

D'uniques extases!

Et parmi tous ces feux, jaunes, verts, rouges, bleus,

– Morne apothéose, –

J'ai reconnu, pareil à l'ostensoir vermeil

Que le prêtre impose,

Mon Coeur énorme et lourd qui ruisselait d'amour

Au fond d'une châsse,

Mon Coeur gonflé, sanglant, noir, meurtri, pantelant,

Mais toujours vivace!

Autour de ce Trésor, tout flambait en essor!

Et les mille ogives

Voulaient jaillir plus haut, vers mon coeur chaste et chaud,

Boire aux sources vives!

Et l'or, les feux, l'encens, les cierges pâlissant,

Les Cloches en fête,

L'orgue éperdu tremblant ses appels, ou roulant

Comme une tempête,

Tout délirait en choeur, vers mon si morne coeur,

Mon Coeur égoïste:

Alléluia! Noël! – et c'était éternel!,

Solennel et triste!

 

II

Oh! lorsqu'au dehors, memento des morts,

Pleure et beugle la bise,

Oubliant Paris, ses vices, ses cris,

Seul au fond une église,

Dans un coin désert, je pleure au concert

Des orgues éternelles,

Devant les vitraux douloureux et beaux

Des ardentes chapelles!

Dans l'encens nuageux, tremblent mille feux

Et, triste, ma Madone

Tient, les yeux ravis, un Coeur de rubis,

Qui brûle et rayonne,

Un Coeur ruisselant, un Coeur tout en sang

Qui, du soir à l'aurore,

Saigne, sans espoir, de ne pas pouvoir

Saigner, oh! saigner plus encore!