Jules Laforgue
1860 – 1887
Le Sanglot de la terre
Poèmes contemporainsdu «Sanglot de la Terre»
|
|
___________________________________________________________
|
|
DERNIERS SOUPIRSD'UN PARNASSIEN
――――――
I
Klop, klip, klop, klop, klip, klop.Goutte à goutte égrenant son rythmique sanglotAux vasques du bassin où l'eau dort immobileUn jet d'eau trouble seul la nuit calme et tranquille.Quel silence! On dirait que ce globe assoupiSur des flots de velours glisse dans l'infini.Là-haut, criblant l'Espace à des milliards de lieues,Pèlerins ennuyés des solitudes bleues,Sans souci des martyrs qui grouillent sur leurs flancs,Enchevêtrant sans fin leurs orbes indolents,– Oasis de misère ou cadavres de mondes –Les sphères d'or en choeur circulent vagabondes.Mon être, oublions tout! lâchons les rênes d'orAux contemplations éployant leur essorLes strophes en mon sein battent déjà de l'aile...À quoi bon les plier dans un mètre rebelle!Je ne veux rien savoir, le vertige énervantMe berce dans les plis de son gouffre mouvant...Je me fonds doucement.., je suis mort, rien.., je douteSi j'entends le jet d'eau ponctuer goutte à goutteLe silence éternel d'un rythmique sanglotKlop, klip, klop, klop, klip, klop...
Bibliothèque Sainte-Geneviéve, 21 avril 1880.
――――――――――――
FLEUR DE RÊVE(Variante)
――――――
Klop, Klip, Klop, Klop, Klip, Klop,Goutte à goutte égrenant son rythmique sanglot,Aux vasques du bassin où l'eau rêve immobile,Un jet d'eau trouble seul la grande Nuit tranquille.Quel silence! On dirait que le monde assoupiSur des flots de velours roule dans l'infini.Là-haut, criblant l'Espace à des milliards de lieues,Pèlerins ennuyés des Solitudes bleues,Enchevêtrant sans fin leurs orbes indolents,Sans soucis des martyrs qui grouillent sur leurs flancs,Les étoiles en choeur circulent vagabondes– Oasis de misère ou cadavres de mondes.Je veux oublier tout, lâcher les rênes d'orAux contemplations éployant leur essor.Des strophes en mon sein déjà battent de l'aile,A quoi bon les plier dans un rythme rebelle?Je ne veux rien savoir, le vertige énervantMe roule dans les plis de son gouffre mouvant.Doucement, je me fonds, je suis mort et je douteSi j'entends le Jet d'eau ponctuer goutte à goutteLe silence éternel d'un rythmique sanglot,Klop, Klip, Klop, Klop, Klip, Klop. |