Jules Laforgue
1860 – 1887
Le Sanglot de la terre
5° SPLEEN
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INCURABLEMENT
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Ne pleure pas ainsi pauvre orgue monotone,Il neige, tout est clos, il fait un froid de loup,Qui se dérangerait pour te jeter un sou?Ravale tes sanglots, n'attends rien de personne.
Va-t-en là-bas plutôt, dans ces quartiers perdusOù l'on entend l'enfer des marteaux sur l'enclume,Où claironnent des coqs, où rêvent dans la brumeLes bouleaux souffreteux par la bise tordus –
Non, tiens! reste avec moi. Coeur trop plein d'amour, crève,Dégonfle-toi, dis-moi tout; gémis-moi tes cris,Et les plus douloureux et les plus incompris,Que j'y brode les fleurs malades de mon rêve.
Oh! qui m'emportera bien loin en un moment,Dans des pays, là-bas, au soleil du Tropique,Où je serais aimé comme un enfant phtisique,Aimé bien doucement, bien maternellement!
Ou même, pas si loin, dans un coin bien tranquilleDe province, où j'aurais mon chez moi loin du bruitOu plutôt, pour rêver dans mes longs jours d'ennuiSeul, devant l'Océan vaste et gris, dans quelque île.
Mais non, tout m'est dégoût, je voudrais me soûlerDe parfums trop exquis, d'essences dangereuses,Voir sur des tapis bleu[s] tournoyer des danseuses,Et ne plus rien savoir, m'endormir, et rouler.
C'est Vrai, la vie est plate. Et tout devient vulgaire.L'azur sans coeur sourit, nous lui montrons les poings;Puis nous râlons d'ennui. – Si le miracle au moinsEtait possible, un peu, l'on pourrait se distraire.
O pauvre orgue tais-toi, tais-toi, les cieux sont sourds,Et le maître, ici-bas, c'est la Bêtise humaine;Couchons-nous dans un coin; le Soleil nous entraîne,Et, stupide à jamais, le temps poursuit son cours – |