BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Jules Laforgue

1860 - 1887

 

Le Sanglot de la terre

 

3° POEMES DE LA MORT

VARIATIONS SUR LA MORT

 

___________________________________________________________

 

 

 

[JE N'OSE M'ENDORMIR]

RÊVE

 

――――――

 

Je ne puis m'endormir; je songe, au bercement

De l'averse emplissant la nuit et le silence.

On dort, on aime, on joue. Oh! par la Terre immense,

Est-il quelqu'un qui songe à moi, dans ce moment?

 

Le Témoin éternel qui trône au firmament,

Me voit-il? me sait-il? Qui dira ce qu'il pense?

Tout est trop triste et sale. – À quoi bon l'Existence?

Si ce Globe endormi gelait subitement?

 

Si rien ne s'éveillait demain! Oh! quel grand rêve!

Plus qu'un stupide bloc sans mémoire et sans sève

Qui sent confusément le Soleil et le suit.

 

Les siècles passent. Nul n'est là. Pas d'autre bruit

Que le vent éternel et l'eau battant les grèves....

Rien qu'un Cercueil perdu qui flotte dans la Nuit.

 

 

――――――――――――

 

 

RÊVE

Sonnet

(Variante)

 

――――――

 

Je ne puis m'endormir, je rêve, au bercement

De l'averse emplissant la nuit et le silence.

Tout dort, aime, boit, joue, – oh! par la terre immense,

Qui songe à moi, dans la nuit noire, en ce moment ?

 

Le Témoin éternel qui trône au firmament,

Me voit-il ? m'entend-il ? – oh! savoir ce qu'il pense!...

Comme la vie est triste... – à quoi bon l'Existence?...

– Si ce globe endormi mourait subitement!...

 

Si rien ne s'éveillait demain! – oh! quel grand rêve!...

Plus qu'un bloc sans mémoire et sans coeur et sans sève

Qui sent confusément le Soleil et le suit...

 

– Les siècles passent, nul n'est là; plus d'autre bruit

Que la plainte du vent et du flot sur la grève,

Rien qu'un cercueil perdu qui roule par la Nuit.