Charles Cros
1842 -1888
Le Coffret de santal
1879
|
|
__________________________________________________
| |
PASSÉ
―――――――――――――――
Sonnet cabalistique
Dans notre vie âcre et fiévreuseTa splendeur étrange apparaît,Phare altier sur la côte affreuse;Et te voir est joie et regret.
Car notre âme que l'ennui creuseCède enivrée à ton attrait,Et te voudrait la reine heureuseD'un monde qui t'adorerait.
Mais tes yeux disent, Sidonie,Dans leur lumineuse ironieLeur mélancolique fierté,
Qu'à ton front, d'où l'or fin rayonne,Il suffit d'avoir la couronneDe l'idéale royauté.
―――――
Matin
Voici le matin bleu. Ma rose et blonde amieLasse d'amour, sous mes baisers, s'est endormie.Voici le matin bleu qui vient sur l'oreillerÉteindre les lueurs oranges du foyer.
L'insoucieuse dort. La fatigue a fait taireLe babil de cristal, les soupirs de panthère,Les voraces baisers et les rires perlés.Et l'or capricieux des cheveux déroulésFait un cadre ondoyant à la tête qui penche.Nue et fière de ses contours, la gorge blancheOù, sur les deux sommets, fleurit le sang vermeil,Se soulève et s'abaisse au rythme du sommeil.
La robe, nid de soie, à terre est affaissée.Hier, sous des blancheurs de batiste froisséeLa forme en a jailli libre, papillon blanc,Qui sort de son cocon, l'aile collée au flanc.
À côté, sur leurs hauts talons, sont les bottinesQui font aux petits pieds ces allures mutines,Et les bas, faits de fils de la vierge croisés,Qui prennent sur la peau des chatoiements rosés.
Épars dans tous les coins de la chambre muetteJe revois les débris de la fière toiletteQu'elle portait, quand elle est arrivée hierTout imprégnée encor des senteurs de l'hiver.
―――――
Sonnet d'Oaristys
Tu me fis d'imprévus et fantasques aveuxUn soir que tu t'étais royalement paréeHaut coiffée, et ruban ponceau dans tes cheveuxQui couronnaient ton front de leur flamme dorée.
Tu m'avais dit «Je suis à toi si tu me veux»;Et, frémissante, à mes baisers tu t'es livrée.Sur ta gorge glacée et sur tes flancs nerveuxLes frissons de Vénus perlaient ta peau nacrée.
L'odeur de tes cheveux, la blancheur de tes dents,Tes souples soubresauts et tes soupirs grondants,Tes baisers inquiets de lionne joueuse
M'ont, à la fois, donné la peur et le désirDe voir finir, après l'éblouissant plaisir,Par l'éternelle mort, la nuit tumultueuse.
―――――
L'Heure verte
Comme bercée en un hamacLa pensée oscille et tournoie,À cette heure où tout estomacDans un flot d'absinthe se noie.
Et l'absinthe pénètre l'air,Car cette heure est toute émeraude.L'appétit aiguise le flairDe plus d'un nez rose qui rôde.
Promenant le regard savantDe ses grands yeux d'aigues-marines,Circé cherche d'où vient le ventQui lui caresse les narines.
Et, vers des dîners inconnus,Elle court à travers l'opaleDe la brume du soir. VénusS'allume dans le ciel vert-pâle.
―――――
Souvenir d'avril
Le rythme argentin de ta voixDans mes rêves gazouille et tinte,Chant d'oiseau, bruit de source au bois,Qui réveillent ma joie éteinte.
Mais les bois n'ont pas de frissons,Ni les harpes éoliennes,Qui soient si doux que tes chansons,Que tes chansons tyroliennes.
❦
Parfois le vent m'apporte encorL'odeur de ta blonde crinière,Et je revois tout le décorD'une folle nuit printanière;
D'une des nuits, où tes baisersS'entremêlaient d'historiettes,Pendant que de tes doigts rosésTu te roulais des cigarettes;
Où ton babil, tes mouvementsPrenaient l'étrange caractèreD'inquiétants miaulements,De mordillements de panthère.
❦
Puis tu livrais tes trésors blancsAvec des poses languissantes...Le frisson emperlait tes flancsÉmus des voluptés récentes.
❦
Ainsi ton image me suit,Réconfort aux heures glacées,Sereine étoile de la nuitOù dorment mes splendeurs passées.
Ainsi, dans les pays fictifsOù mon âme erre vagabonde,Les fonds noirs de cyprès et d'ifs,S'égayent de ta beauté blonde.
❦
Et, dans l'écrin du souvenirPrécieusement enfermée,Perle que rien ne peut ternir,Tu demeures la plus aimée.
―――――
Triolets fantaisistes
Sidonie a plus d'un amant,C'est une chose bien connueQu'elle avoue, elle, fièrement.Sidonie a plus d'un amantParce que, pour elle, être nueEst son plus charmant vêtement.C'est une chose bien connue,Sidonie a plus d'un amant.
Elle en prend à ses cheveux blondsComme, à sa toile, l'araignéePrend les mouches et les frelons.Elle en prend à ses cheveux blonds.Vers sa prunelle ensoleilléeIls volent, pauvres papillons.Comme, à sa toile, l'araignéeElle en prend à ses cheveux blonds.
Elle en attrape avec les dentsQuand le rire entrouvre sa boucheEt dévore les imprudents.Elle en attrape avec les dents.Sa bouche, quand elle se couche,Reste rose et ses dents dedans.Quand le rire entrouvre sa boucheElle en attrape avec les dents.
Elle les mène par le nez,Comme fait, dit-on, le crotaleDes oiseaux qu'il a fascinés.Elle les mène par le nez.Quand dans une moue elle étaleSa langue à leurs yeux étonnés,Comme fait, dit-on, le crotaleElle les mène par le nez.
Sidonie a plus d'un amant,Qu'on le lui reproche ou l'en loueElle s'en moque également.Sidonie a plus d'un amant.Aussi, jusqu'à ce qu'on la cloueAu sapin de l'enterrement,Qu'on le lui reproche ou l'en loue,Sidoine aura plus d'un amant.
―――――
Scherzo
Sourires, fleurs, baisers, essences,Après de si fades ennuis,Après de si ternes absences,Parfumez le vent de mes nuits!
Illuminez ma fantaisie,Jonchez mon chemin idéal,Et versez-moi votre ambroisie,Longs regards, lys, lèvres, santal!
❦
Car j'ignore l'amour caduqueEt le dessillement des yeux,Puisqu'encor sur ta blanche nuqueL'or flamboie en flocons soyeux.
Et cependant, ma fière amie,Il y a longtemps, n'est-ce pas?Qu'un matin tu t'es endormie,Lasse d'amour, entre mes bras.
❦
Ce ne sont pas choses charnellesQui font ton attrait non pareil,Qui conservent à tes prunellesCes mêmes rayons de soleil.
Car les choses charnelles meurent,Ou se fanent à l'air réel,Mais toujours tes beautés demeurentDans leur nimbe immatériel.
❦
Ce n'est plus l'heure des tendressesJalouses, ni des faux serments.Ne me dis rien de mes maîtresses,Je ne compte pas tes amants.
❦
À toi, comète vagabondeSouvent attardée en chemin,Laissant ta chevelure blondeFlotter dans l'éther surhumain,
Qu'importent quelques astres pâlesAu ciel troublé de ma raison,Quand tu viens à longs intervallesEnvelopper mon horizon?
❦
Je ne veux pas savoir quels pôlesTa folle orbite a dépassés,Tends-moi tes seins et tes épaules;Que je les baise, c'est assez.
―――――
Sonnet
À Mme N.
Je voudrais, en groupant des souvenirs divers,Imiter le concert de vos grâces mystiques.J'y vois, par un soir d'or où valsent les moustiques,La libellule bleue effleurant les joncs verts;
J'y vois la brune amie à qui rêvait en versCelui qui fit le doux cantique des cantiques;J'y vois ces yeux qui, dans des tableaux encaustiques,Sont, depuis Cléopâtre, encore grands ouverts.
Mais, l'opulent contour de l'épaule ivoirine,La courbe des trésors jumeaux de la poitrine,Font contraste à ce frêle aspect aérien;
Et, sur le charme pris aux splendeurs anciennes,La jeunesse vivante a répandu les siennesAuprès de qui cantique ou tableau ne sont rien.<
―――――
Madrigalsur un carnet d'ivoire
Mes vers, sur les lames d'ivoireDe votre carnet, font semblantD'imiter la floraison noireDes cheveux sur votre cou blanc.
Il faudrait d'immortelles strophesÀ votre charme triomphal,Quand dans un tourbillon d'étoffesVous entrez follement au bal.
Le sein palpite sous la gazeEt, fermés à demi, les yeuxVoilent leurs éclairs de topazeSous la frange des cils soyeux.
Willis parisienne, empreinteD'un charme inquiétant, mais doux,J'attends, voluptueuse crainte,La mort, si je valse avec vous.
―――――
Soir
Je viens de voir ma bien-aiméeEt vais au hasard, sans desseins,La bouche encor tout embauméeDu tiède contact de ses seins.
Mes yeux voient à travers le voileQu'y laisse le plaisir récent,Dans chaque lanterne une étoile,Un ami dans chaque passant.
Chauves-souris disséminées,Mes tristesses s'en vont en l'airSe cacher par les cheminées,Noires, sur le couchant vert-clair.
Le gaz s'allume aux étalages...Moi, je crois, au lieu du trottoir,Fouler sous mes pieds les nuagesOu les tapis de son boudoir.
Car elle suit mes courses folles,Et le vent vient me caresserAvec le son de ses parolesEt le parfum de son baiser.
―――――
Réponse
Ce que je te suis te donne du doute?Ma vie est à toi, si tu la veux, toute.Et loin que je sois maître de tes voeux,C'est toi qui conduis mon rêve où tu veux.
Avec la beauté du ciel, en toi vibreUn rythme fatal; car mon âme librePasse de la joie aux âpres soucisSelon que le veut l'arc de tes sourcils.
Que j'aye ton coeur ou que tu me l'ôtes,Je te bénirai dans des rimes hautes,Je me souviendrai qu'un jour je te plusEt que je n'ai rien à vouloir de plus.
―――――
À une attristée d'ambition
Comme hier, vous avez les souplesses étrangesDes tigresses et des jaguars,Vos yeux dardent toujours sous leurs ombreuses frangesL'or acéré de leurs regards.
Vos mains ont, comme hier, sous leurs teintes d'auroresLeur inexplicable vigueur;Elles trouvent encor sur les touches sonoresDes accords qui frôlent le coeur.
Comme hier, vous vivez dans les fécondes fièvresEt dans les rêves exaltés,Les mots étincelants s'échappent de vos lèvres,Échos des intimes clartés.
Trop heureuse en ce monde et trop bien partagée,Idéal et charnel pouvoir,Vous avez tout, et vous êtes découragée,Comme un ciel d'automne, le soir.
❦
Ne rêvez pas d'accroître et de parfaire encoreLes dons que vous a faits le ciel.Ne changez pas l'attrait suprême, qui s'ignore,Pour un moindre, artificiel.
Il faut que la beauté, vivante, écrite ou peinteN'ait rien des soucis du chercheur.Et si la rose avait à composer sa teinteElle y perdrait charme et fraîcheur.
Dites-vous, pour chasser la tristesse rebelle,En ornant de fleurs vos cheveux,Que, sans peine pour vous, ceux qui vous trouvent belleSauront le dire à nos neveux.
―――――
Coin de tableau
Sensation de haschisch
Tiède et blanc était le sein.Toute blanche était la chatte.Le sein soulevait la chatte.La chatte griffait le sein.
Les oreilles de la chatteFaisaient ombre sur le sein.Rose était le bout du sein,Comme le nez de la chatte.
Un signe noir sur le seinIntrigua longtemps la chatte;Puis, vers d'autres jeux, la chatteCourut, laissant nu le sein.
―――――
Sur un miroir
Toutes les fois, miroir, que tu lui servirasÀ se mettre du noir aux yeux ou sur sa joueLa poudre parfumée, ou bien dans une moueCharmante, son carmin aux lèvres, tu diras:
«Je dormais reflétant les vers, que sur l'ivoireIl écrivit... Pourquoi de vos yeux de velours,De votre chair, de vos lèvres, par ces atours,Rendre plus éclatante encore la victoire?»
Alors, si tu surprends quelque regard pervers,Si de l'amour présent elle est distraite ou lasse,Brise-toi, mais ne lui sers pas, petite glace,À s'orner pour un autre, en riant de mes vers.
―――――
Croquis
Sonnet
Beau corps, mais mauvais caractère.Elle ne veut jamais se taire,Disant, d'ailleurs d'un ton charmant,Des choses absurdes vraiment.
N'ayant presque rien de la terre,Douce au tact comme une panthère.Il est dur d'être son amant;Mais, qui ne s'en dit pas fou, ment.
Pour dire tout ce qu'on en penseDe bien et de mal, la scienceEssaie et n'a pas réussi.
Et pourquoi faire? Elle se moqueDe ce qu'on dit. Drôle d'époqueOù les anges sont faits ainsi.
―――――
À une chatte
Chatte blanche, chatte sans tache,Je te demande, dans ces vers,Quel secret dort dans tes yeux verts,Quel sarcasme sous ta moustache.
Tu nous lorgnes, pensant tout basQue nos fronts pâles, que nos lèvresDéteintes en de folles fièvres,Que nos yeux creux ne valent pas
Ton museau que ton nez termine,Rose comme un bouton de sein,Tes oreilles dont le dessinCouronne fièrement ta mine.
Pourquoi cette sérénité?Aurais-tu la clé des problèmesQui nous font, frissonnants et blêmes,Passer le printemps et l'été?
Devant la mort qui nous menace,Chats et gens, ton flair, plus subtilQue notre savoir, te dit-ilOù va la beauté qui s'efface,
Où va la pensée, où s'en vontLes défuntes splendeurs charnelles?...Chatte, détourne tes prunelles;J'y trouve trop de noir au fond.
―――――
Excuse
Aux arbres il faut un ciel clair,L'espace, le soleil et l'air,L'eau dont leur feuillage se mouille.Il faut le calme en la forêt,La nuit, le vent tiède et discretAu rossignol, pour qu'il gazouille.
Il te faut, dans les soirs joyeux,Le triomphe; il te faut des yeuxÉblouis de ta beauté fière.Au chercheur d'idéal il fautDes âmes lui faisant là-hautUne sympathique atmosphère.
Mais quand mauvaise est la saison,L'arbre perd fleurs et frondaison.Son bois seul reste, noir et grêle.Et sur cet arbre dépouillé,L'oiseau, grelottant et mouillé,Reste muet, tête sous l'aile.
Ainsi ta splendeur, sur le fondQue les envieuses te font,Perd son nonchaloir et sa grâce.Chez les nuls, qui ne voient qu'hier,Le poète, interdit et fier,Rêvant l'art de demain, s'efface.
Arbres, oiseaux, femmes, rêveursPerdent dans les milieux railleursFeuillage, chant, beauté, puissance.Dans la cohue où tu te plais,Regarde-moi, regarde-les,Et tu comprendras mon silence.
―――――
Plainte
Vrai sauvage égaré dans la ville de pierre,À la clarté du gaz je végète et je meurs.Mais vous vous y plaisez, et vos regards charmeursM'attirent à la mort, parisienne fière.
Je rêve de passer ma vie en quelque coinSous les bois verts ou sur les monts aromatiques,En Orient, ou bien près du pôle, très loin,Loin des journaux, de la cohue et des boutiques.
Mais vous aimez la foule et les éclats de voix,Le bal de l'Opéra, le gaz et la réclame.Moi, j'oublie, à vous voir, les rochers et les bois,Je me tue à vouloir me civiliser l'âme.
Je m'ennuie à vous le dire si souvent:Je mourrai, papillon brûlé, si cela dure...Vous feriez bien pourtant, vos cheveux noirs au vent,En clair peignoir ruché, sur un fond de verdure!
―――――
Lento
Je veux ensevelir au linceul de la rimeCe souvenir, malaise immense qui m'opprime.
❦
Quand j'aurai fait ces vers, quand tous les auront lusMon mal vulgarisé ne me poursuivra plus.
❦
Car ce mal est trop grand pour que seul je le gardeAussi, j'ouvre mon âme à la foule criarde.
❦
Assiégez le réduit de mes rêves défunts,Et dispersez ce qu'il y reste de parfums.
Piétinez le doux nid de soie et de fourrures;Fondez l'or, arrachez les pierres des parures.
Faussez les instruments. Encrassez les lambris;Et vendez à l'encan ce que vous aurez pris.
Pour que, si quelque soir l'obsession trop forteM'y ramène, plus rien n'y parle de la morte.
Que pas un coin ne reste intime, indéfloré.Peut-être, seulement alors je guérirai.
❦
(Avec des rythmes lents, j'endors ma rêverieComme une mère fait de son enfant qui crie.)
❦
Un jour, j'ai mis mon coeur dans sa petite mainEt, tous en fleur, mes chers espoirs du lendemain.
L'amour paye si bien des trésors qu'on lui donne!Et l'amoureuse était si frêle, si mignonne!
Si mignonne, qu'on l'eût prise pour une enfantTrop tôt belle et que son innocence défend.
Mais, elle m'a livré sa poitrine de femme,Dont les soulèvements semblaient trahir une âme.
Elle a baigné mes yeux des lueurs de ses yeux,Et mes lèvres de ses baisers délicieux.
❦
(Avec des rythmes doux, j'endors ma rêverieComme une mère fait de son enfant qui crie.)
❦
Mais, il ne faut pas croire à l'âme des contours,À la pensée enclose en deux yeux de velours.
❦
Car un matin, j'ai vu que ma chère amoureuseCachait un grand désastre en sa poitrine creuse.
J'ai vu que sa jeunesse était un faux dehors,Que l'âme était usée et les doux rêves morts.
J'ai senti la stupeur d'un possesseur avideQui trouve, en s'éveillant, sa maison nue et vide.
❦
J'ai cherché mes trésors. Tous volés ou brisés!Tous, jusqu'au souvenir de nos premiers baisers!
Au jardin de l'espoir, l'âpre dévastatriceN'a rien laissé, voulant que rien n'y refleurisse.
J'ai ramassé mon coeur, mi-rongé dans un coin,Et je m'en suis allé je ne sais où, bien loin.
❦
(Avec des rythmes sourds, j'endors ma rêverieComme une mère fait de son enfant qui crie.)
❦
C'est fièrement, d'abord, que je m'en suis alléPensant qu'aux premiers froids, je serais consolé.
❦
Simulant l'insouci, je marchais par les rues.Toutes, nous les avions ensemble parcourues!
Je n'ai pas même osé fuir le mal dans les bois.Nous nous y sommes tant embrassés autrefois!
Fermer les yeux? Rêver? Je n'avais pas dans l'âmeUn coin qui n'eût gardé l'odeur de cette femme.
❦
J'ai donc voulu, sentant s'effondrer ma raison,La revoir, sans souci de sa défloraison.
Mais, je n'ai plus trouvé personne dans sa forme.Alors le désespoir m'a pris, lourd, terne, énorme.
Et j'ai subi cela des mois, de bien longs mois,Si fort, qu'en trop parler me fait trembler la voix.
❦
Maintenant c'est fini. Souvenir qui m'opprimes,Tu resteras, glacé, sous ton linceul de rimes.
―――――
Rancoeur lasse
Malgré sa folle trahisonN'est-elle pas encor la même?La fierté n'est plus de saison.Je l'aime.
❦
Je sais qu'elle reste, malgréD'impurs contacts, vierge éternelle,Qu'aucun venin n'a pénétréEn elle,
Marbre trop charnel qui subitToutes souillures, mais les brave;Puisque la pluie, en une nuit,Le lave.
❦
Même au temps des premiers regards,Je la savais vaine et perverse.Mais l'âme aux menaçants hasardsSe berce.
Fermant les yeux, je me livraisÀ sa suavité malsaine,Pensant bien que j'en porteraisLa peine.
❦
Mordu, mourant, d'avoir serréSur ma poitrine la panthère,J'en veux rester fier, et sauraiMe taire.
❦
Ce mois d'avril, je veux bannirDe mon coeur les rêves moroses.Je veux orner son souvenirDe roses.
❦
Et je reprends la libertéD'adorer sa grâce suprême.Tel que j'étais je suis resté.Je l'aime.
―――――
Diamant enfumé
Il est des diamants aux si rares lueursQue, pris par les voleurs ou perdus dans la rue,Ils retournent toujours aux rois leurs possesseurs.Ainsi j'ai retrouvé ma chère disparue.
Mais quelquefois, brisée, à des marchands diversLa pierre est revendue, à moins qu'un aspect rareNe la défende. En leurs couleurs, en leurs éclairs,Ses débris trahiraient le destructeur barbare.
Aussi, je n'ai plus peur, diamant vaguementEnfumé, mais unique en ta splendeur voilée,De te perdre. Toujours vers moi, ton seul amant,Chère, tu reviendras des mains qui t'ont volée.
―――――
Sonnet
À Mlle S. de L. C.
Les saphirs durs et froids, voilés par la buéeDe l'orgueilleuse chair, ressemblent à ces yeuxD'où jaillissent de bleus rayons silencieux,Inquiétants éclairs d'un soir chaud, sans nuée.
Couvrant le front, comme au hasard distribuée,La chevelure flotte en tourbillons soyeux.La bouche reste grave et sans moue, aimant mieuxS'ouvrir un peu, de sa fraîcheur infatuée.
Cette bouche immuable et ces cheveux châtains,Ces yeux, suivant dans l'air d'invisibles lutins,Ont l'implacable attrait du masque de la Fable.
Mais non; car dans ces traits placides rien ne ment;Et parfois ce regard révèle, en un moment,La vérité suprême, absolue, ineffable.
―――――
À une jeune fille
Pourquoi, tout à coup, quand tu joues,Ces airs émus et soucieux?Qui te met cette fièvre aux yeux,Ce rose marbré sur les joues?
Ta vie était, jusqu'au momentOù ces vagues langueurs t'ont prise,Un ruisseau que frôlait la brise,Un matinal gazouillement.
❦
Comme ta beauté se révèleAu-dessus de toute beauté,Comme ton coeur semble emportéVers une existence nouvelle,
Comme en de mystiques ardeursTu laisses planer haut ton âme.Comme tu te sens naître femmeÀ ces printanières odeurs,
Peut-être que la destinéeTe montre un glorieux chemin;Peut-être ta nerveuse mainMènera la terre enchaînée.
❦
À coup sûr, tu ne seras pasÉpouse heureuse, douce mère;Aucun attachement vulgaireNe peut te retenir en bas.
❦
As-tu des influx de victoireDans tes beaux yeux clairs, pleins d'orgueil,Comme en son virginal coup d'oeilJeanne d'Arc, de haute mémoire?
Dois-tu fonder des ordres saints,Être martyre ou prophétesse?Ou bien écouter l'âcre ivresseDu sang vif qui gonfle tes seins?
Dois-tu, reine, bâtir des villesAux inoubliables splendeurs,Et pour ces vagues airs boudeursFaire trembler les foules viles?
❦
Va donc! tout ploiera sous tes pas,Que tu sois la vierge idéaleOu la courtisane fatale...Si la mort ne t'arrête pas.
―――――
Sur un éventail
Sonnet
J'écris ici ces vers pour que, le soir, songeantÀ tous les rêves bleus que font les demoiselles,Vous laissiez sur vos yeux, placides lacs d'argent,Tournoyer ma pensée et s'y mouiller les ailes.
Peut-être, près de vous assis, se rengorgeant,Quelque beau cavalier vous dit des choses telles,Qu'à votre indifférence une fois dérogeantVous laisseriez faiblir vos froideurs immortelles.
Mais sur votre éventail, voici que par hasardIncertain et distrait tombe votre regard;Et vous lisez mes vers dont pâlit l'écriture.
Oh! ne l'écoutez pas celui qui veut ployerVotre divinité froide aux soins du foyerEt faire de Diane une bourgeoise obscure!
―――――
Vers amoureux
Comme en un préau d'hôpital de fousLe monde anxieux s'empresse et s'agiteAutour de mes yeux, poursuivant au gîteLe rêve que j'ai quand je pense à vous.
Mais n'en pouvant plus, pourtant, je m'isoleEn mes souvenirs. Je ferme les yeux;Je vous vois passer dans les lointains bleus,Et j'entends le son de votre parole.
❦
Pour moi, je m'ennuie en ces temps railleurs.Je sais que la terre aussi vous obsède.Voulez-vous tenter (étant deux on s'aide)Une évasion vers des cieux meilleurs?
―――――
Supplication
Sonnet
Tes yeux, impassibles sondeursD'une mer polaire idéale,S'éclairent parfois des splendeursDu rire, aurore boréale.
Ta chevelure, en ces odeursFines et chaudes qu'elle exhale,Fait rêver aux tigres rôdeursD'une clairière tropicale.
Ton âme a ces aspects divers:Froideur sereine des hivers,Douceur trompeuse de la fauve.
Glacé de froid, ou déchiréÀ belles dents, moi, je mourraiÀ moins que ton coeur ne me sauve.
―――――
Possession
Puisque ma bouche a rencontréSa bouche, il faut me taire. TrêveAux mots creux. Je ne montreraiRien qui puisse trahir mon rêve.
❦
Il faut que je ne dise rienDe l'odeur de sa chevelure,De son sourire aérien,Des bravoures de son allure,
Rien des yeux aux regards troublants,Persuasifs, cabalistiques,Rien des épaules, des bras blancsAux effluves aromatiques.
❦
Je ne sais plus faire d'ailleursUne si savante analyse,Possédé de rêves meilleursOù ma raison se paralyse.
Et je me sens comme emporté,Épave en proie au jeu des vagues,Par le vertige où m'ont jetéSes lèvres tièdes, ses yeux vagues.
❦
On se demandera d'où vientL'influx tout-puissant qui m'oppresse,Mais personne n'en saura rienQue moi seul... et l'Enchanteresse.
―――――
∗ ∗ ∗
Elle s'est endormie un soir, croisant ses bras,Ses bras souples et blancs sur sa poitrine frêle,Et fermant pour toujours ses yeux clairs, déjà lasDe regarder ce monde, exil trop lourd pour Elle.
Elle vivait de fleurs, de rêves, d'idéal,Âme, incarnation de la Ville éternelle.Lentement étouffée, et d'un semblable mal,La splendeur de Paris s'est éteinte avec Elle.
Et pendant que son corps attend pâle et glacéLa résurrection de sa beauté charnelle,Dans ce monde où, royale et douce, Elle a passé,Nous ne pouvons rester qu'en nous souvenant d'Elle.
―――――
Ballade du dernier amour
Mes souvenirs sont si nombreuxQue ma raison n'y peut suffire.Pourtant je ne vis que par eux,Eux seuls me font pleurer et rire.Le présent est sanglant et noir;Dans l'avenir qu'ai-je à poursuivre?Calme frais des tombeaux, le soir!...Je me suis trop hâté de vivre.
Amours heureux ou malheureux,Lourds regrets, satiété pire,Yeux noirs veloutés, clairs yeux bleus,Aux regards qu'on ne peut pas dire,Cheveux noyant le démêloirCouleur d'or, d'ébène ou de cuivre,J'ai voulu tout voir, tout avoir.Je me suis trop hâté de vivre.
Je suis las. Plus d'amour. Je veuxVivre seul, pour moi seul décrireJusqu'à l'odeur de tes cheveux,Jusqu'à l'éclair de ton sourire,Dire ton royal nonchaloir,T'évoquer entière en un livrePur et vrai comme ton miroir.Je me suis trop hâté de vivre.
Envoi
Ma chanson, vapeur d'encensoir,Chère envolée, ira te suivre.En tes bras j'espérais pouvoirAttendre l'heure qui délivre;Tu m'as pris mon tour. Au revoir.Je me suis trop hâté de vivre.
―――――
Villégiature
Fragment
C'est moi seul que je veux charmer en écrivantLes rêves bienheureux que me dicte le vent,Les souvenirs que j'ai des baisers de sa bouche,De ses yeux, ciels troublés où le soleil se couche,Des frissons que mon cou garde de ses bras blancs,De l'abandon royal qui me livrait ses flancs.Or que le vent discret fait chuchoter les chênes
Et que le soleil soûle, aux clairières prochaines,Vipères et lézards endormis dans le thym,Couché sur le sol sec, je pense au temps lointain.Je me dis que je vois encor le ciel, et qu'ElleÂme superbe, fleur de beauté, splendeur frêle,Arrivée après moi, s'en est allée avant.
Et j'écoute les chants tristes que dit le vent.
La mouche désoeuvrée et la fourmi hâtiveNe veulent pas qu'aux bois l'on rêve et l'on écrive;Aussi les guêpes, les faucheux, les moucherons...Je vais, le long des blés, cueillir des liseronsÀ la suavité mystérieuse, amère,Comme le souvenir d'une joie éphémère.
Les champs aussi sont pleins d'insectes affairés,Foule de gens de tous aspects, de tous degrés.Noir serrurier, en bas, le grillon lime et grince.Le frelon, ventru comme un riche de province,Prend les petites fleurs entre ses membres courts.Les papillons s'en vont à leurs brèves amoursSous leurs manteaux de soie et d'or. La libelluleEffleure l'herbe avec un dédain ridicule.C'est la ville.Et je pense à la ville, aux humains,Aux fiers amis, aux bals où je pressais ses mains;Malgré que la bêtise et l'intrigue hâtiveN'y souffrent pas non plus qu'on rêve et qu'on écrive. |