Nina de Villard
1843 -1884
Feuillets parisiens
1885
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VMONOLOGUES
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Le clown
Mon cirque fait relâche, et j'en profite, amis,Me trouvant ce soir libre, et correctement mis,Pour vous dire en deux mots ma singulière histoire:J'ai commencé mes tours au bord d'un écritoire,– Ah! dame, vous savez, on commence où l'on peut,J'ai fait beaucoup de vers dont on se souvient peu,J'ai célébré l'éther, l'océan, la mouette,La forêt, l'arc-en-ciel, l'amour: j'étais poète!Vous avez feuilleté mes livres sur les quais,Ils sont tous entassés sur le quai Malaquais;J'ai rêvé des sommets altiers, des fières cimesQu'on peut escalader sur les ailes des rimes...De ma jeunesse en fleur tel fut le clair matin.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Mais la vie est un rink où souvent le patinNous emporte bien loin du but: erreur fatale!J'ai traîné l'habit noir du solliciteur pâleQui cache un manuscrit lourd, j'ai connu l'horreurDe l'antichambre où l'on attend qu'un directeurAit fini de causer avec des ingénues.J'ai vu naître et mourir bien des jeunes revuesEt j'ai noctambule triste, hagard, crotté,Vêtu pendant l'hiver de jaquettes d'été,Et d'ulsters poussiéreux pendant la canicule.Mais un jour lassé d'être un martyr ridicule,«Pour dompter le public, il faut, me suis-je dit,Employer quelque truc aussi fort qu'inédit.»Alors j'ai dédaigné les ornières connues,Que suivaient les anciens pour aller jusqu'aux nues,Et pour mieux m'écarter des vulgaires chemins,A la postérité j'ai marché sur les mains.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Je suis le clown moderne et froid, ma jambe maigre,Comme un piment confit longtemps dans du vinaigreA d'étranges zigzags où le songeur se plaît;Je sais poser mon front pensif sur mon mollet,En faisant de petits bonjours de ma bottineA la brune ambrée, aux senteurs de veloutine,Qui profile son galbe aimable aux promenoirs.Je vois s'illuminer les yeux verts, bleus ou noirs,Quand au son du hautbois, de mon orteil senestre,Je mouche élégamment le nez du chef d'orchestre.Je porte une perruque écarlate, un maillotTout zébré de dessins fantasques, dernier motDes gommeux du tremplin; un sourcil circonflexeAbrite mon regard, qui trouble l'autre sexe.Je suis le roi des désossés; comble de l'art,Je rase une table en faisant le grand écart,Comme un rameur véloce en une périssoire.J'improvise des pas sur une balançoire;Les applaudissements gantés me sont acquis,Quand je jongle avec des couteaux, d'un air exquisBrillant d'une gaîté féroce et japonaise,Tantôt guépard, tantôt boa, tantôt punaise,Je sais bondir, ramper, m'aplatir, chaque soir,Et ce qui sert aux autres hommes à s'asseoir,Me sert à moi, le clown rêveur, de mandoline,Pour ma chanson sans mot, sans notes, mais caline.C'est alors que je plane – et je reprends mon rangDe descendant direct du père orang-outang.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .D'être son petit-fils je sens si peu de honteQue vers ce grand aïeul fièrement je remonte.Loin de répudier sa haute parenté,Je le prends pour modèle, et c'est ma vanité,Qu'on dise quand, rasé de frais, galbeux, le lingeEclatant de blancheur, je parais: «Tiens! un singe!»
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L'accordeur
L'Accordeur, vêtu de noir, sans linge,s'assied au piano, l'ouvre et récite le monologue suivant,en le mêlant d'accords et de gammes.
Un homme s'est trouvé pour me prendre ma femme!Etre paradoxal que la laideur enflamme,Et que, pour ce haut fait, nos neveux chanteront,Il m'a pris le sein plat où je posais mon front!....Moi, néanmoins, je cours chaque jour, humble artiste,Consciencieusement remplir mon métier triste.Faisant des notes sur le pianoDo, mi, sol, do, ré, fa, la, ré, mi, sol, si, mi.C'est moi qui rends la vie au clavier endormi,Qui de l'aube au couchant m'acharne sur l'ivoire,Ressuscite les sons, soigne la touche noireEt la blanche.... je suis,plein d'un zèle grondeur;Je suis celui qui vient pour le sol, l'accordeur!Oh! le drôle de mot, la bizarre ironie!J'allais tous les matins rétablir l'harmonieDes instruments faussés par des doigts imprudents;Rentré, je n'entendais que des cris discordants;Ma femme remplissait les airs de sa voix aigre,Alors que je trimais comme un malheureux nègre,Pour, avec quelques sous gagnés péniblement,Rendre possible son hideux accoutrement.GammesDans la salle en désordre où l'on a fait la fête,Ramenant les bémols enrhumés à l'honnêteDiapason normal, on me voit arriver.Et Dieu sait ce que mon métier me fait rêver!O piano, témoin des nuits emparadisées,Je te sens imprégné des mains cent fois baisées,Moi l'obscur opprimé, morne et déshérité,Qui ne connus jamais luxe, amour, ni beauté!O piano, confident de tant de gais mystères,Je ne sais rien de toi, que les labeurs austères,Des beaux soirs je ne vois que les gris lendemains .Trouvant des morceaux de musique sur le pianoTenez! voici là des morceaux à quatre mains,– A deux sexes plutôt! – Lui, mettant les pédalesCouvre d'un trémolo ses paroles fatales,Tandis qu'elle, sous l'il indulgent des parents,Perd la tête, rougit, pâlit, tremble, se pâme,Fait les yeux doux et joue avec toute son âme,Et de son petit pied, très amoureusement,A son voisin témoigne un tendre égarement,Des valses de Métra! Blondes valseuses frêlesOnt rasé le parquet de leur vol d'hirondelles.....Oh!.... ces tailles, ployant dans les bras des valseurs!Ne chasserai-je pas ces rêves obsesseurs?....Ah! c'est que comparer ces mondaines orgiesOù flamboyaient les yeux, les bijoux, les bougies,A mes nuits..... cette foule à mon isolement!Il réfléchitJe suis moins malheureux, au fait que son amant.Car lui, le pauvre diable, au moins faut-il qu'il l'aimeQu'il contemple matin et soir sa face blême,Qu'il ait de petits soins et de grandes ardeurs.....Nous autres seuls, maris, pouvons être boudeurs.Examinant les morceauxDes couplets cascadeurs, des refrains d'opérettes....FuretantPrès d'un londrès défunt des bouts de cigarettes.GammesMoi, je prends mon tabac dans un cornet sans chic,Et je n'ai jamais vu ni Théo, ni Judic.PauseHélas! je n'ai connu qu'une femme, la mienne,Qui n'est pas belle, certe, il faut que j'en convienne,Mais je l'avais choisie exprès ainsi, car j'ai,Comme beaucoup de gens raisonnables, jugéQu'une épouse étant très repoussante est fidèle...Je ne soupçonnais pas ce laideron modèle.Gamme mineure tristeJ'ai cru, moi, naïf, qu'elle, horrible affreusement,Ne tenterait jamais le cur de nul amant.Autre gammeEh bien! non, la laideur pour les âmes mal nées,Ne fait point reculer les amours effrénées:Elle est partie un jour toutes voiles dehors,Emportant de chez moi, sans honte, ni remords,Mes faux-cols en papier, ma chaîne en chrysocale,Mes deux rasoirs tout neufs, mes chemises percale,Dévalisant de fond en comble la maison.....Tout! tout!! tout!!! jusqu'à mon pauvre diapason,Elle a tout mis au clou, tout mis dans mon ménage,Pour subvenir aux frais de son petit voyage.Et je suis obligé, maintenant aux abois,De remplacer l'ancien instrument par ma voix.Il fait une note cassée et fausseCette voix, à présent, comme elle est affaiblie!Avec un soupirAh! si du moins ma femme avait été jolie!Il se remet au travailAu fond, je suis trop bête et j'ai mépris de moiD'avoir, pour cette horreur absente de l'émoi.Il frappe à coups redoublés sur le pianoC'est égal, je suis très vexé.... la scélérate!Si jamais je te pince, il faut que j'e te batte!Nouveaux coupsJe sens grandir en moi tous les instincts mauvais;J'ai trop longtemps bêlé comme un agneau: je vaisDéchirer désormais et rugir comme un fauve.Coups redoublésTiens! tiens!! tiens!!!Très froidementJ'ai cassé le piano! je me sauve.
Source: Les Chansons et Monologue illustrées Nº 206 (1892)
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Le gommeuxdevant son conseil de famille
Mesdames et Messieurs, oncles, cousines, tantes,Comme un bouquet de fleurs aux couleurs éclatantes,Dont la rose est notaire et le bleuet docteur,Vous voilà tous groupés – spectacle séducteur –Pour me doter en votre humeur trop tracassièreD'un excellent conseil, tendre et judiciaire,Prolongeant – c'est dans l'intérêt de ma santé –Le charme adolescent de la minorité.Donc de me protéger il faut qu'on se soucie;C'est fort aimable à vous et je vous remercieD'un si doux intérêt; mais je n'ai pas besoinQue de me faire un sort on prenne tant de soin;Sachez-le, je suis très-content de l'existenceQue je mène, et je vais prendre un plaisir intenseA vous faire adopter mon avis, à vous tous...Vous verrez que je suis le plus sage des fous.Ayant dans mon berceau trouvé de la fortune,Fallait-il exploiter des mines dans la lune?Prendre des actions qu'oncques on ne payaOu créer des tramways Paris-Himalaya?...Fallait-il des chevaux cafres carder la laineMe consacrer à la bretelle américaine?Monter des opéras ou publier des vers?...Poser un téléphone entre les univers?Oui, j'aurais travaillé, mais j'aurais fait faillite!...Si vous croyez que c'est pour cela qu'on hérite.Quoi! j'irais m'abrutir dans un obscur emploi!Je ne suis fait pour rien, mais tout est fait pour moi.L'artiste, le marchand, l'ouvrier, l'ouvrière,L'usinier, le mineur, le fermier, la fermière...Ce monde qui se meut, et qui poursuit un but,C'est l'orchestre et je suis le ténor donnant l'Ut –Oh! ne me prenez pas pour un être inutile.Une prairie en fleurs vaut bien un champ fertile;Je ne travaille pas, mais je fais travailler.C'est pour moi que l'on voit les grands tailleurs taillerCes vestons à carreaux insensés qu'on raconteDans les journaux. Gilets très ouverts ou l'on compteLes battements cherchés d'un cur qui ne bat pas.Ces pantalons formant un gracieux compas.Le chemisier, ayant fait ma chemise, dîne.Le hâve jardinier qui tristement jardinePourrait-il vivre, si je lui manquais, hélas?Je suis sa providence en offrant ses lilas,Ses fraises, ses raisins, ses asperges en branches,En faisant croquer ses primeurs par des dents blanches.Je suis le protecteur des chemins de fer, car,Dans mes déplacements, j'use les sleeping-car.Si chauffent les vapeurs, si se gonflent les voiles,Si le marin pensif voit pâlir les étoiles,C'est pour qu'après souper je boive la liqueurAu parfum vanillé qui réjouit le cur,Et que je fume, à l'heure où le viveur se vanne,Les cigares dorés venus de la Havane.Pour moi, pour mes pareils la nature a tout fait:La neige tombe afin de glacer le parfait.Quand dans les claires eaux des grands fleuves ils glissent,C'est pour nous que la truite et le saumon s'unissent,Prenant pour rendez-vous les flots céruléens.Au légendaire abri des rochers vendéens,C'est pour nous seuls que les jeunes huîtres engraissent.C'est pour nous que la dinde et la truffe apparaissent.Les moutons sont flattés lorsque nous les mangeons,Les pigeons sont créés pour le tir aux pigeons.Je suis, convenez-en, le pivot du commerce.Si, très prochainement, monsieur de Lesseps perceAprès l'isthme de Suez, l'isthme de Panama,Question de chapeaux!... Non, jamais nul n'aimaAutant l'humanité, nul n'est moins égoïsteQu'un élégant gommeux, jeune, aux instincts d'artisteQui s'assied toujours plein d'appétit au banquet,Et cueille dans la vie un éternel bouquet.Ai-je fait, chers parents, enfin vibrer la corde?Vos curs sont-ils touchés? J'espère qu'on m'accordeLe mérite du moins d'avoir dans mon passéToujours fait quelque bien, alors que j'ai nocé.Que voulez-vous? Chacun doit suivre sa nature.L'un court le handicap et l'autre l'aventure.Tout être au fond de l'âme a son ambitionEt se doit d'obéir a sa vocation.L'un rêve les succès, il se fait acrobate,Ayant le goût du whist un autre est diplomate,Si l'on tient à ravir les femmes, on se faitChanteur, – et si l'on aime à voyager, préfet,Tel, futur avoué, se plaît dans le grabuge,Un homme très enclin au sommeil devient juge:Oh! laissez-moi rester, – cela me va si bien! –Celui qui parmi vous passe en ne faisant rien.Messieurs et chers cousins, mesdames et parentes.Laissez-moi sous le gai soleil manger mes rentes,Inscrivant sous les plis joyeux de mon drapeauCette devise fiêre et moderne: Etre beau.
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Les adieux de la petite diva
Elle entre en cachant son visage avec des bouquets.Arrivée à l'avant-scène, elle les écarte, et sourit.
C'est moi!... Regardez-moi, cela vous est permisPour la dernière fois....Bonsoir, mes bons amis.Votre diva, votre bijou, votre chérieS'en va... Ne soyez pas fâchés.Joignant les mainsJe vous en prie!Que mon doux souvenir, dans vos âmes laissé,Soit comme un frais pastel par le temps effacé,Un arôme léger, une poussière rose.Envoyant un baiserO mon cher bon public, jamais froid, ni morose!. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Pour mes adorateurs fidèles, il n'y aPas de saison sans rose et sans magnolia.Pour parfumer ma loge avec des senteurs raresOn a fait voyager du printemps dans les gares.On a cueilli le jasmin d'or, cher à CarmenSur les sierras, sur les glaciers, le cyclamen;Désignant un de ses louquetsEt cette violette aux tons pâles est néeSur les bords qu'attiédit la Méditerranée.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Et pourtant, je m'en vais, ingrate, vous quitter.Je pars, – bien que je sache à n'en pouvoir douter,Que, dans la salle, il n'est pas un cur qui ne batte,Quand j'entre en scène avec des airs mignons de chatteA certains spectateursVous qui créez mes travestis exquis et fous.Vous, le grand financier, découvreur d'astres, vous,Messieurs du Strapontin, du couloir, de la loge,Qui remplissez votre journal de mon éloge,Laissez-moi vous conter, pour me justifier,Le rêve auquel je vais tous vous sacrifier.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Rêveuse, très lentementPouvoir tous les matins, sans qu'un filet la serre,Peigner ma chevelure opulente et sincère,N'aller pas emprunter à Madame LoyselCes frisons blonds, pareils aux plumes de l'oisel.Et, le soir, plus de Jabloschkoff, plus de bougie..La lampe avec son abat-jour, ô nostalgie!Avoir, (oh! si longtemps ce rêve m'a ravi!)Le droit d'être enchaînée et d'aimer son mari.
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La duchesse Diane
Parlant à une personne qu'on ne voit pas.Non, laissez-moi, marquis, je ne veux voir personne.J'ai besoin d'être seule, allez rejoindre YvonneAu croquet, ou Lansac et le prince au billard;Je veux me reposer, je reviendrai plus tardEcouter vos exquis concetti, mais, de grâce,Ne me poursuivez pas, je suis nerveuse et lasse.Entrant tout à fait en scène.Gentil, mais un peu fou, ce marquis Doria;On prétend qu'à son club, un soir, il pariaDe m'offrir à souper dans son palais de Gênes.C'est un sang azuré qui coule dans ses veines,Ses mains sont en ivoire et ses cheveux en or,Un César Borgia... qui serait un ténor.Il semble échappé d'un tableau du Veronèse,Mais, quand il va parler, on attend l'ut dièze;Pour causer avec lui chanter vaudrait bien mieux.Puis, en vocalisant, répondre à ses aveux...Il porte des parfums, des perles, une bagueDont le chaton contient du poison, une dague.Cet Italien blond, avec son air hautain,A le tort d'évoqué, la Porte-Saint-Martin.Par son charme exotique un instant amuséeJe l'ai regardé vivre et suis désabusée;A mon cur c'est en vain que je voudrais mentir,Hélas! ce n'est pas lui qui me fera sortirDe cette indifférence amère où je m'ennuieAffreusement, ainsi qu'une reine obéie...N'avoir pas un regret, n'avoir pas un désir,Ignorant le bonheur, vivre dans le plaisir;Rien, rien, pauvre Diane, oh! que ne donnerais-jePour voir fondre au soleil cette froideur de neige?Un peu tristement.J'avais fait au printemps un rêve bien bourgeois:Seule, avec mon mari, venir passer un moisA la mer, et qui sait? c'eût peut-être été drôle,Nouveau dans tous les cas, mais ce n'est pas le rôle,Je le vois bien, qui m'est par le sort dévolu,Car le duc...Avec ironie.Oh! bien malgré lui, n'a pas voulu,N'a pas pu, veux-je dire; un travail d'importanceExtrême tout l'été rétient son ExcellenceA Paris, et tous ces messieurs, que je fuyais,Sont arrivés chez la baronne de Maillais.Heureuse comme tout, cette chère baronne;Son cur est débordant de plaisir, car personne,Pas même la Patti, n'a rempli ses salonsAutant que moi. Vrai, c'est un succès. Nous allonsAmener tout Paris de Trouville à Deauville.Une procession depuis huit jours défileDans la Villa Marine; on n'a jamais tant ri,Tant soupe, tant dansé.Pendant toute cette scène, elle s'est approchée du miroir.Très lentemnt elle a ôté son chapeau, ses gants,arrangé ses cheveux; ses yeux s'arrêtent sur le bouquet.Elle dit, avec un peu d'émotion:Le bouquet d'Aimery!Oh! oui, c'est bien de lui. Doux poète, il exprimeL'amour par un bouquet comme par une rime.Harmonieusement il sait grouper les fleursComme une symphonie exquise de couleurs.Quel frais parfum d'aurore et de sentes mouillées!Il ne ressemble guère à ces roses payées,Banales come l'or, qu'on offre sans amour.Il s'est levé pour le cueillir avant le jour.Quand l'aube dans le ciel met des blancheurs de perles,Ecoutant les chansons des pinsons et des merles,Il a marché longtemps dans le bois tout fleuri;Il a dû mal dormir cette nuit. J'ai meurtriSans pitié sa pauvre âme, hier; j'étais méchante,Et pourtant je sens bien, malgré moi, qu'il m'enchanteCe doux être pensif, ployant sous mon regard,Comme un lys sous l'orage; il est déjà trop tardPour m'en défendre; j'ai presque de la tendressePour lui; je lui fais mal, mais son amour caresseMon orgueil par ses vers qui sont remplis de moi;Il attendrit mon cur par son naïf émoi...Tout, en respirant et touchant le bouquet,elle y trouve une lettre.Un billet! oh! c'est mal, tromper ma confiance,Non, rien n'autorisait pareille impertinence...Ce n'est plus l'Aimery rêvé, s'il est pervers;Qu'il ne paraisse plus devant moi.Ouvrant la lettre, avec une voixsubitement calmée.Tiens, des vers!Duchesse, quand vient le jour,Je vais, dans le grand bois sourd,Dire aux oiseaux ma détresse;Je songe, quand vous dormez,A votre front parfuméOmbré d'une lourde tresse.Madame, au soleil couchant,Quand, dans les blondeurs d'un champ,L'astre-roi semble descendre,Alors chante le bouvreuil,Et moi je contemple, en deuil,Mes espoirs réduits en cendre.Diane, je suis triste et seulDans mes draps, cruel linceul!Torturé par l'insomnie.Doux songe, sylphe léger,Près d'elle va voltiger,Toi que j'aime, sois bénie.Avec un sourire indulgentIl faut lui pardonner, car il souffre vraiment;Et puis son madrigal, après tout, est charmant.Le pauvre, il brisera ses ailes à me suivreDans mon fier tourbillon. Ce qu'il faudrait pour vivreHeureux, à cet enfant, c'est une femme surQui marcherait avec des pas pleins de douceurAutour de lui, pendant qu'il écrirait, très-bonne;C'est une femme enfin dans le genre d'Yvonne,Ma petite cousine... Hélas! la pauvre enfantL'aime, et c'est pour cela qu'elle dit qu'au couventElle veut retourner, qu'elle abhorre le monde,Le mariage, et tout; pauvre petite blonde!Seule, j'ai le secret de son cur ingénu.Chère enfant, de l'amour tu n'as jamais connuQue les pleurs, les tourments, la triste jalousie;Tu veux t'ensevelir, vivante poésie,Tu veux prier pour lui, toujours; il serait mieuxEncore de l'aimer et de le rendre heureux.Dieu ne m'en voudrait pas de lui ravir cette âmeQui ferait une mère adorable, une femmeConsolatrice et douce, ainsi qu'un bel ange. Oui,Je lui ferai comprendre au poète, aujourd'hui,Tout de suite pendant que j'en ai le courage,Qu'il doit m'oublier; je ferai ce mariage.M'oublier, et pourquoi? L'idéal sentimentQui nous unit peut bien subsister; oui, vraiment,Son cur si tourmenté trouvera l'accalmie;Entre sa femme, Yvonne, et Diane, son amie.Sa voix s'est voilée; en prononçant ces dernièresparoles, ses yeux se sont mouillés. Elle dit:La duchesse a pleuré, la duchesse a du cur.Voilà qui surprendrait Lansac, le chroniqueur;Il le raconterait pour sûr dans l'Etincelle;Cette chronique-là me plairait moins que celleQu'il fit sur mon habit couleur regard-du-roy,En satin merveilleux, chaque pan très-étroit,Brodé de vieil argent, d'or et de perles fines,Ouvrant sur des volants coquilles de malines.Ce soir-là, j'ai, je crois, régné sur tout Paris,Dans ce beau palazzo, vrai rêve de houris,Où les esprits vainqueurs, les beautés qu'on redouteSe coudoyaient, fiers et charmés, à la RedouteQue le prince donna pour me faire la cour.C'était Venise au parc Monceau. Dieu, que d'amourDans les parfums troublants des emparadisées!Que de Champagne au fond des coupes irisées?Comme sous les loups noirs les rires se perlaient!Qu'ils étaient berceurs les orchestres qui jouaientA la sourdine, au loin, cette valse des roses!Le Jabloschkoff, par des lueurs d'apothéoses,Eclairait les valseurs et les couples furtifsQui s'enfuyaient, joyeux, dans l'ombre des massifs.Avec ses airs charmants de grand seigneur-poète,Le prince me faisait les honneurs de sa fête,Régal qu'il donnait à ma curiosité.Son automne a gardé des flamboiements d'été,Et puis, que voulez-vous? il aura du prestige,Toujours, parce qu'on l'a beaucoup aimé; vertigeAttirant vers l'abîme où d'autres ont sombré.Celui pour qui des yeux bleus ou noirs ont pleuréNous préoccupe, ainsi qu'une énigme vivante.Toujours nous roulerons sur l'éternelle penteOù d'autres ont glissé. Don Juan nous fascinaDe tout temps: nous avons des Dona Juana.Dans l'amour, chercher l'infini, c'est bien en somme;Cet idéal fuyant peut bien tenter un homme.Quel poème plus beau, plus varié que nous?N'est-ce pas se grandir que vivre à nos genoux?..Il était séduisant, contant d'une voix basseSes tant belles amours du passé; que de grâceDisparue, et d'éclairs éteints par le tombeau!Funèbre, mais charmeur, il me paraissait beau,Ce sultan d'un sérail de belles trépassées.Je sentais des frissons exquis, et mes penséesSe troublaient dans l'air capiteux qui me grisait.C'est amusant d'avoir un peu peur; il disaitTout le décaméron amoureux de sa vie;Un ensorcellement où la femme ravie,Se couronnant de rose, accepte le cyprès;Où comme dans Boccace, on sent la mort tout près.Heureusement, pour m'arracher au sortilège,J'avais tous mes suivants, Lansac et puis Helphège,Le grand commentateur du Mahabaratha,Qui pour être galant, me compare à Sita,Et prenant des airs fats en regardant la foule,Se rengorgeant ainsi qu'un pigeon qui roucoule,Vient, au milieu d'un bal, tirer un manuscrit.Pour débiter un madrigal, en pur sanscrit.Puis Lansac me disait la chronique légèreDe ce monde interlope, où j'étais étrangère;Ses racontars spirituels m'amusaient fort.Certes, venir à la Redoute était un tort,Une quasi coupable et perverse équipée.Si le duc l'avait su!.. J'étais préoccupée,Inquiète, vraiment; ce n'était pas banalD'avoir presque un remords sans rien faire de mal.Ces dames me lorgnaient: je crois que ma toiletteA triomphé dans la passe d'armes coquette.Mais, mon plus grand succès ne fut pas celui-là.Dans les splendeurs de ce moderne WalhallaOn vit paraître Franz Haller, le pianiste;Et ce monde blasé, ce monde fantaisiste,Espérant se griser d'harmonie et d'accords,Voulut absolument l'entendre. Franz alors,Entouré d'un essaim de modernes sirènes,Qui l'enlaçaient avec des grâces souveraines,Resta froid, dédaigneux, semblant n'entendre rien;Mais tout à coup, plongeant son regard dans le mien –Qu'il avait reconnu, je crois bien, sous le masque –Il me dit: – (Un artiste est toujours très fantasque)– «Voulez-vous?» Je fis «oui», comme ça, sans parler;Il s'assit au piano, puis fit d'abord roulerUn prélude onduleux, rhythmé comme une vague,Qui s'éteignit en un murmure doux et vague;Alors fixant sur moi ses yeux, il m'adressaSon poème d'amour, le rêve commença:Tout en parlant, elle a marché vers le piano et s'y est assise.Si l'actrice est pianiste, elle exécutera, en sourdine,pendant la tirade suivante, une mazurka de Chopin, si elle ne l'est pas,on jouera dans la coulisse; enfin, s'il n'y a pas de pianiste,elle s'accoudera sur le clavier.On n'est plus à Paris, on n'est plus à Venise;C'est le Nord très lointain, dans sa blancheur exquise,C'est la steppe neigeuse où glissent les traîneaux:Le ciel gris traversé par des vols de corbeaux.Frileusement j'étais blottie, – âpre délice! –Tout près de lui, dans les tiédeurs de ma pelisseDe loutre, jusqu'aux yeux ayant bien enfoncéCette petite toque en velours vert foncéQui me va bien, dit-on, à cause de l'aigretteD'émeraudes; le vent tout autour de sa tèteSoulevait ses cheveux. Parfois on rencontraitDes Tziganes errants; une femme lisaitUn avenir d'amour dans nos mains enlacées,Oh, quelle rhythme bizarre en leurs chansons dansées!Comme leurs fiers talons tapaient sur le sol durDans ces pays tout blancs ignorés de l'azur!Pour moi seule chantait cet instrument magique.Par les enchantements ailés de la musiqueTous les cerveaux étaient troublés divinement;Comme Orphée il chantait..! Mais il vint un momentOù la foule oublia l'étrange virtuose,Quand, dans cette gaîté de fête bleue et rose,Parut Max de Loris, le superbe orateur,Puissant comme un lion, calme triomphateur,Un frisson de respect secoua ces frivoles;C'est que l'écho vibrait encore des parolesQu'à la Chambre il avait dites si fièrement.Dompter les femmes, c'est un passetemps charmant,Qui prouve du talent, mais dominer les hommesC'est plus fort et, ma foi! voilà comment nous sommes,Nous autres, nous aimons la force; les soumisNous attendrissent un instant, sont nos amis,Mais l'amant préféré, toujours, sera le maître;L'homme à la volonté ferme et douce, enfin l'êtreA qui l'on obéit délicieusement.C'est si bon de n'avoir pas à penser, vraiment.Être libre, c'est ennuyeux... Être captive,Heureuse, et se laisser aller à la dérive,Quand sur le gouvernail on sent un bras très-fort,N'est-ce pas l'idéal? Vivre sans nul effort,Confiante en celui qui même votre barqueVers les clairs horizons lumineux! Je remarqueQue seules ici-bas les femmes sans beautéRéclament la maussade et triste liberté.Cet homme peut manquer à la galanterieParfois; c'est que son temps se doit à la patrie,C'est qu'au bonheur de tous il sait sacrifierTout, même les douceurs exquises du foyer.Sa femme doit comprendre, étant intelligente,La grandeur de son rôle; on peut être indulgentePour l'être honnête et pur qui n'a jamais menti,Certe, il faudrait qu'elle eût un esprit perverti,Celle qu'il a choisie et qu'il a faite sienne,Pour trahir son honneur, dont elle est la gardienne!Comme elle doit se dire avec tranquillité:Avec un enthousiasme croissantSa haute confiance et sa calme bontéMe font une bien noble et bien douce existence;Je suis l'inspiratrice et chère providenceDe cet homme si bon, grand parmi les humains,Qui mit sa main loyale en mes petites mains...Ah! cette femme est une heureuse...Elle éclate d'un rire prolongéCette femme,Mais, c'est moi! Plus de trouble et plus de vague à l'âme:Vous seul vous régnerez sur mon cur bien guéri,Monsieur le duc Max de Loris, mon cher mari. |