Nina de Villard
1843 -1884
Feuillets parisiens
1885
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IVDIXAINS
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A maman
Va, n'espère jamais ressembler à ces mèresQui font verser à l'Ambigu larmes amères;Tu n'es pas solennelle et tu ne saurais pasMaudire, avec un geste altier de l'avant-bras;Tu n'as jamais cousu, jamais soigné mon linge,Tu t'occupes bien moins de moi que de ton singe;Mais, malgré tout cela, les soirs de bonne humeur,C'est avec toi que je rirai de meilleur cur;Ensemble nous courrons premières promenades,Car je te trouve le plus chic des camarades.
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Intérieur
Quand la lampe Carcel sur la table s'allume,Le bouilli brun parait, escorté du légume,Blanc navet, céleri, carotte à la rougeurD'aurore, et doucement, moi je deviens songeur;Ce plat fade me plaît, me ravit; il m'enchante:C'est son jus qui nous fait la soupe succulente;En la mangeant, je pense, avec recueillement,A l'épouse qui, pour nourrir son rose enfant,Perd sa beauté, mais gagne à ce labeur austèreUn saint rayonnement trop pur pour notre terre.
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Préférence
Dans les salons corrects, joyeux comme la pluieDans le dos, malgré moi, (j'en rougis) je m'ennuie.Sur le marbre, le cliquetis des dominosMe plaît mieux que le son mollasse des pianosJouant Indiana, sans souci des mesures,Pour que dansent en rond les demoiselles mures.Je préfère au goût fade et sucré de l'orgeatL'absinthe aigue-marine, et le bitter grenat,Et le garçon frisé qui dit: «Servez terrasse!»Au conducteur de cotillon tout plein de grace.
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Souhait
Je la voyais souvent au bureau d'omnibus,A l'heure de l'absinthe, après tous les bocks bus,Quand je rentrais troublé, fiévreux de la journée,Et c'était un repos pour mon âme fanéeDe rencontrer parfois cet ange en waterproof.Sa forme jeune et pure, ignorante du pouf,Ses tresses, sans chignon, son front sans maquillageEt les réalités chastes de son corsageM'ont fait rêver, portant le bouquet nuptialA la vierge qui lit mon nom dans un journal.
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Le petit marchand
Ce pauvre enfant vend des jouets à bon marché,Les gamins du faubourg, après avoir marché,Après avoir, aux verts buissons, usé leurs vestes,Viennent se reposer près des splendeurs modestesA l'étalage où tout excite leur désir:Mais le petit marchand seul n'y prend pas plaisir,Car lui, c'est son métier, de lancer la ficelleDe la toupie, et l'aigre bruit de la crécelleLe crispe; le pantin lui fait, naïf bourreau,L'horreur qu'à l'employé fait son chef de bureau.
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Octobre
L'été meurt, sur les ceps pendent les grappes mûres,Hors de l'armoire on va secouer les fourruresQu'embaumait la senteur faible du vétiver.Allons pour la dernière fois dans le bois vertOù nous avons rêvé, sur un tapis de menthes,Dans la sérénité des chaleurs endormantes.J'accrocherai les plis neigeux de mes juponsAux ronces du sentier poudreux, grêles harpons.Accordons-nous le doux sursis d'une journée,Nous ferons ramoner demain la cheminée.
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Le fiacre
Le grand fiacre roulait avec un bruit berceur.Il était à ses pieds, perdu dans la douceurDes frou-frous parfumés de sa robe de faille;Elle dit: «De bonheur, cher, mon âme défaille».Il faisait nuit; la lune évitait déclairerCette idylle! – «N'avez-vous rien à déclarer?»Dit la voix. On était devant une barrière,Et le douanier stupide, entr'ouvrant la portière,Ramena dans l'horreur de la réalitéCe beau couple emporté vers un monde enchanté.
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L'employé
Le petit employé de la poste restanteVient tard à son bureau, son allure est très lente.Il s'assied renfrogné sur son fauteuil en cuir,Car il sait qu'aux clients il lui faudra servirLes lettres, les journaux à timbre coloristeEt même les mandats! – Cet homme obscur est triste.Il se dit, en flairant un billet parfumé,Qu'il ne voyage pas, et qu'il n'est pas aimé,Que son nom composé de syllabes comiquesN'est jamais imprimé dans les feuilles publiques.
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Journaux illustrés
Les journaux illustrés, chaque samedi soir,Aux lecteurs qui, dans les gais cafés, vont s'asseoir,Content avec des mots, des dessins et des rimes,Les succès, les combats, les malheurs et les crimes.On y voit des héros et des soldats vainqueurs,Des poètes laurés, des croqueuses de curs,Des sous-préfets corrects, saluant la statueD'un inventeur honni, mort dans l'oubli qui tue.On y voit les heureux, les puissants et les forts,Et les plus arrivés de tous, – ceux qui sont morts.
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La tête de cire
Dans l'étalage chic de mode et de coiffures,Où ruissellent les ors vivants des chevelures,Une tête de cire au sourire vainqueurApparaît, captivant et les yeux et le cur.Par un infernal truc, le bandeau se soulèveSur un front dénudé; la blonde fille d'EveN'est plus qu'un monstre chauve avec son crâne nu;Le bandeau redescend et l'ange est revenu...On passe en emportant dans l'âme une détresse,Et l'on s'en va maussade, aimant moins sa maîtresse.
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Regrets filiaux
Tandis que sur les quais flânent les paresseuses,Je regarde les lourds bateaux de blanchisseuses.Il en sort des chansons comme d'un nid d'oiseaux.Les robustes bras blancs, en plongeant dans les eauxQue bleuit l'indigo, tordent le linge paleEt le ciel au-dessus prend des lueurs d'opale.Moi, tout pensif, je rentre en murmurant tout bas:«Ma mère n'est plus là pour repriser mes basEt mettre un chapelet d'iris dans mon armoire.»Les nuages sur l'eau font des dessins de moire.
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Le soir
On allume les becs de gaz: dans la nuit bleueLes étoiles aussi s'enflamment; l'on fait queueDevant les guichets des théâtres à succèsQui font aux lycéens rêver tous les excès;Dans les kiosques, on voit s'installer les marchandesD'oranges, de journaux et de croquets d'amandes.Et déjà vient s'asseoir aux tables des cafés,Cachant son front sous des frisons ébouriffés,Péchant les amoureux comme on pêche à la ligneLa promeneuse du boulevard, fleur maligne. |