Jules Laforgue
1860 – 1887
Le Sanglot de la terre
Poèmes contemporainsdu «Sanglot de la Terre»
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POUR LE LIVRE D'AMOUR
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Je puis mourir demain et je n'ai pas aimé.Mes lèvres n'ont jamais touché lèvres de femme,Nulle ne m'a donné dans un regard son âme,Nulle ne m'a tenu contre son coeur pâmé.
Je n'ai fait que souffrir, pour toute la nature,Pour les êtres, le vent, les fleurs, le firmament,Souffrir par tous mes nerfs, minutieusementSouffrir de n'avoir pas d'âme encore assez pure.
J'ai craché sur l'amour et j'ai tué la chair!Fou d'orgueil, je me suis roidi contre la vie!Et seul sur cette Terre à l'Instinct asservieJe défiais l'Instinct avec un rire amer.
Partout, dans les salons, au théâtre, à l'église,Devant ces hommes froids, les plus grands, les plus fins,Et ces femmes aux yeux doux, jaloux ou hautainsDont on redoraient chastement l'âme exquise,
Je songeais: tous en sont venus là! J'entendaisLes râles de l'immonde accouplement des brutes!Tant de fanges pour un accès de trois minutes!Hommes, soyez corrects! ô femmes, minaudez! |