BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Jules Laforgue

1860 - 1887

 

Le Sanglot de la terre

 

4° RÉSIGNATIONS INFINIES

 

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ENFER

 

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Quand je regarde au ciel, la rage solitaire

De ne pouvoir toucher l'azur indifférent

D'être à jamais perdu dans l'immense mystère

De me dire impuissant et réduit à me taire,

La rage de l'exil à la gorge me prend!

 

Quand je songe au passé, quand je songe à l'histoire,

À l'immense charnier des siècles engloutis,

Oh! je me sens gonflé d'une tristesse noire

Et je hais le bonheur, car je ne puis plus croire

Au jour réparateur des futurs paradis!

 

Quand je vois l'Avenir, l'homme des vieilles races

Suçant les maigres flancs de ce globe ennuyé

Qui sous le soleil mort se hérissant de glaces

Va se perdre à jamais sans laisser nulles traces,

Je grelotte d'horreur, d'angoisse et de pitié.

 

Quand je regarde aller [le] troupeau de mes frères

Fourmilière emportée à travers le ciel sourd

Devant cette mêlée aux destins éphémères,

Devant ces dieux, ces arts, ces fanges, ces misères,

Je suis pris de nausée et je saigne d'amour!

 

Mais si repu de tout je descends en moi-même,

Que devant l'Idéal, amèrement moqueur,

Je traîne l'Etre impur qui m'écoeure et que j'aime,

Étouffant sous la boue, et sanglote et blasphème,

Un flot de vieux dégoûts me fait lever le coeur.

 

Mais, comme encor pourtant la musique me verse

Son opium énervant, je vais dans les concerts.

Là, je ferme les yeux, j'écoute, je me berce.

En mille sons lointains mon être se disperse

Et tout n'est plus qu'un rêve, et l'homme et l'univers.