BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Jules Laforgue

1860 - 1887

 

Le Sanglot de la terre

 

4° RÉSIGNATIONS INFINIES

 

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DÉSOLATION

 

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Vertiges des Soleils! musiques infinies!

Mon Coeur saigne d'amour et se fond de douceur,

Ô rondes d'astres d'or, bercez mes insomnies;

Dans un rythme très-lent, magique et guérisseur

Bercez la Terre, votre soeur.

 

Aimez-moi, bercez-moi. Le Coeur de l'oeuvre immense

Le coeur de l'univers est né; c'est moi qui l'ai,

Je suis le coeur de Tout! et je saigne en démence,

Je déborde d'amour par l'azur étoilé,

Je veux que tout soit consolé!

 

La Nature est en moi. J'ai levé tous les voiles;

Je sais l'Ennui des grands nuages voyageurs,

Je palpite la nuit dans l'ardeur des étoiles,

Mon sang teint les couchants aux tragiques splendeurs,

Je pleure dans les vents rageurs!

 

Je comprends la tristesse éternelle des bêtes,

La méditation des boeufs, du marabout,

Et l'effort du tronc d'arbre et le spleen des tempêtes,

L'amour de tous les coeurs en mon coeur se résout,

Venez! Je suis le Coeur de tout!

 

Je suis le Bien-Aimé, le Triste. Que tout m'aime.

votre océan d'amour ma Douleur l'a tari,

J'ai fait de vos sanglots un long sanglot suprême

Que je couve en ce coeur de tous les coeurs pétri;

Soleils! je puis pousser le Cri!

 

Vos rondes henniront d'angoisse et d'épouvante;

Des signes flamboieront aux cieux; l'Humanité

S'assoira sur les monts écoutant dans l'attente

Le cri d'amour rouler sans fin répercuté

Aux échos de l'éternité.

 

Mais non! je ne sais rien. – Je suis la Douleur même

Je souffre d'aimer trop; je sais que c'est mon sort,

Mais j'en veux épuiser la douceur; j'aime, j'aime,

Je veux saigner pour tout, saigner, toujours, encor..,

Pour être épargné de la mort.

 

 

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HYPERTROPHIE

(Variante 1903)

 

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Astres lointains des soirs, musiques infinies,

Ce Coeur universel ruisselant de douceur

Est le coeur de la Terre et de ses insomnies.

En un pantoum sans fin, magique et guérisseur

Bercez la Terre, votre soeur.

 

Le doux sang de l'Hostie a filtré dans mes moelles,

J'asperge les couchants de tragiques rougeurs,

Je palpite d'exil dans le coeur des étoiles,

Mon spleen fouette les grands nuages voyageurs.

Je beugle dans les vents rageurs.

 

Aimez-moi. Bercez-moi. Le coeur de l'oeuvre immense

Vers qui l'océan noir pleurait, c'est moi qui l'ai.

Je suis le coeur de tout, et je saigne en démence

Et déborde d'amour par l'azur constellé,

Enfin! que tout soit consolé.

 

 

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DÉSOLATIONS

(Variante)

 

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Dans ces jours de grand vent où rage tout l'automne,

Loin des nefs aux vitraux plaintifs, loin des concerts,

Je m'en vais par les bois solennels et déserts,

Chantant des vers d'adieu d'une voix monotone.

 

Des vers, des vers d'adieu qui disent en rêvant

Les spleens chastes du Christ et des grandes victimes,

Aux chênes incompris échevelant leurs cimes

Dans la plainte éternelle et les grands deuils du vent.

 

Oh! qu'il est éternel le vent dans les grands chênes!

C'est comme un hosannah de désolations

Qui passe, puis s'apaise en lamentations

Sans fin, dans des rumeurs de cascades lointaines,

 

Si lointaines! Et moi, je ne veux pas savoir

Que ces sabbats rageurs sont mon apothéose,

Et que tous ces sanglots cherchent le coeur des choses,

Et, ne le trouvant pas, hurlent leur désespoir.

 

Mais qui m'aime? Seul, seul. Ô psaumes de rafales,

Prenez-le donc mon coeur! et, plus haut que l'écho,

Brisez ce violon du terrestre sanglot

Dans vos déchaînements de clameurs triomphales!