Jules Laforgue
1860 - 1887
Le Sanglot de la terre
2° ANGOISSES
|
|
___________________________________________________________
|
|
[À C. FLAMMARION]FANTAISIE
――――――
Pourquoi pas? Ah! Dieu! Dieu! l'universelle MèreSe tient devant ses fils en adorationL'idéal vers qui râle obstinément la terre,Est l'état naturel de la création.
Quel rêve! de partout, par le noir sans limite,Que pour l'éternité son sang illumina,Ne montent vers ce Coeur, où l'univers palpite,Que les coeurs consolés d'un unique hosannah!
Dans l'extase sans but, d'amour rassasiée,Qui consume à jamais l'univers simple et pur,Seule, on ne sait comment, la terre est oubliée,La terre, si timide en sa ouate d'azur.
Mais il est temps encor! Ah! trouvons quelque chose.Laissons tout, nos amours, nos rêves, nos travaux,Hurlons, perçons la nuit, que rien ne se reposeAvant qu'un cri suprême ait trouvé des échos.
Oh! l'on finira bien pourtant par nous entendre!On verra des signaux, et les Soleils un jourArrivant des lointains bénis viendront nous prendreEt nous emporteront dans la Fête d'amour.
Comme on s'empressera devant ces pauvres frères!Oh! que de questions! et nous leur dirons tout,La mort, nos dieux, nos arts, nos fanges, nos misères,Et que sans moi la Terre eût souffert jusqu'au bout.
Et tout nous gâtera: bêtes, fleurs, êtres, choses.Tous les morts renaîtront à l'unique aujourd'hui,Croyant avoir rêvé, dans ces apothéosesLes mondes au complet s'aimeront sans ennui.
Oh! spasme universel des uniques vendanges!Dans ce baiser qui fond le tout dans l'ldéal,Moi je me sens plus triste encor parmi ces anges,Moi, devenu de Christ humain Christ sidéral.
Car il faut que je saigne et toujours et quand même,Mais on n'en saura rien, je vivrai dans les bois,Évitant les vivants de peur que quelqu'un m'aime:Et seul, je pleurerai les choses d'autrefois. |