BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Jules Laforgue

1860 - 1887

 

Les Complaintes

 

1885

 

___________________________________________________________

 

 

 

COMPLAINTE

D'UNE CONVALESCENCE EN MAI

 

――――――

 

Nous n'avons su toutes ces choses,

qu'après sa mort.

Vie de Pascal par Mme Perier.

 

Convalescent au lit, ancré de courbatures,

Je me plains aux dessins bleus de ma couverture,

 

Las de reconstituer dans l'art du jour baissant

Cette dame d'en face auscultant les passants:

 

Si la Mort, de son van, avait chosé mon être,

En serait-elle moins, ce soir, à sa fenêtre?...

 

Oh! Mort, tout mort! Au plus jamais, au vrai néant

Des nuits où piaule en longs regrets un chant-huant!

 

Et voilà que mon Âme est tout hallucinée!

Mais s'abat, sans avoir fixé sa destinée.

 

Ah! Que de soirs de mai pareils à celui-ci,

Que la vie est égale; et le coeur endurci!

 

Je me sens fou d'un tas de petites misères.

Mais maintenant, je sais ce qu'il me reste à faire.

 

Qui m'a jamais rêvé? Je voudrais le savoir!

Elles vous sourient avec âme, et puis bonsoir,

 

Ni vu ni connu. Et les voilà qui rebrodent

Le canevas ingrat de leur âme à la mode;

 

Fraîches à tous, et puis reprenant leur air sec

Pour les christs déclassés et autres gens suspects

 

Et pourtant, le béni grand bol de lait de ferme

Que me serait un baiser sur sa bouche ferme!

 

Je ne veux accuser personne, bien qu'on eût

Pu, ce me semble, mon bon coeur étant connu...

 

N'est-ce pas; nous savons ce qu'il nous reste à faire,

Ô Coeur d'or pétri d'aromates littéraires,

 

Et toi, cerveau confit dans l'alcool de l'Orgueil!

Et qu'il faut procéder d'abord par demi-deuils...

 

Primo: mes grandes angoisses métaphysiques

Sont passées à l'état de chagrins domestiques;

 

Deux ou trois spleens locaux. – Ah! Pitié, voyager

Du moins, pendant un an ou deux à l'étranger...

 

Plonger mon front dans l'eau des mers, aux matinées

Torrides, m'en aller à petites journées,

 

Compter les clochers, puis m'asseoir, ayant très chaud,

Aveuglé des maisons peintes au lait de chaux...

 

Dans les Indes du Rêve aux pacifiques Ganges,

Que j'en ai des comptoirs, des hamacs de rechange!

 

– Voici l'oeuf à la coque et la lampe du soir.

Convalescence bien folle, comme on peut voir.