Jules Laforgue
1860 - 1887
Les Complaintes
1885
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PRÉLUDESAUTOBIOGRAPHIQUES
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Soif d'infini martyre? Extase en théorèmes? Que la création est belle, tout de même!
En voulant mettre un peu d'ordre dans ce tiroir,Je me suis perdu par mes grands vingt ans, ce soirDe Noël gras.Ah! Dérisoire créature!Fleuve à reflets, où les deuils d'Unique ne durentPas plus que d'autres! L'ai-je rêvé, ce NoëlOù je brûlais de pleurs noirs un mouchoir réel,Parce que, débordant des chagrins de la TerreEt des frères Soleils, et ne pouvant me faireAux monstruosités sans but et sans témoinDu cher Tout, et bien las de me meurtrir les poingsAux steppes du cobalt sourd, ivre-mort de doute,Je vivotais, altéré de Nihil de toutesLes citernes de mon Amour?Seul, pur, songeur,Me croyant hypertrophique! Comme un plongeurAux mouvants bosquets des savanes sous-marines,J'avais roulé par les livres, bon misogyne.Cathédrale anonyme! En ce Paris, jardinObtus et chic, avec son bourgeois de JourdainÀ rêveurs, ses vitraux fardés, ses vieux dimanchesDans les quartiers tannés où regardent des branchesPar-dessus les murs des pensionnats, et sesCiels trop poignants à qui l'Angélus fait: assez!
Paris qui, du plus bon bébé de la Nature,Instaure un lexicon mal cousu de ratures.
Bon Breton né sous les tropiques, chaque soirJ'allais le long d'un quai bien nommé mon rêvoir,Et buvant les étoiles à même: «ô Mystère!Quel calme chez les astres! Ce train-train sur terre!Est-il Quelqu'un, vers quand, à travers l'infini,Clamer l'universel lamasabaktani?Voyons; les cercles du Cercle, en effets et causes,Dans leurs incessants vortex de métamorphoses,Sentent pourtant, abstrait, ou, ma foi, quelque part,Battre un coeur! Un coeur simple, ou veiller un Regard!Oh! Qu'il n'y ait personne et que Tout continue!Alors géhenne à fous, sans raison, sans issue!Et depuis les Toujours, et vers l'Éternité!Comment donc quelque chose a-t-il jamais été?Que Tout se sache seul au moins, pour qu'il se tue!Draguant les chantiers d'étoiles, qu'un Cri se rue,Mort! Emballant en ses linceuls aux clapotisIrrévocables ces sols d'impôts abrutis!Que l'Espace ait un bon haut-le-coeur et vomisseLe Temps nul, et ce Vin aux geysers de justice!Lyres des nerfs, filles des Harpes d'IdéalQui vibriez, aux soirs d'exil, sans songer à mal,Redevenez plasma! Ni Témoin, ni spectacle!Chut, ultime vibration de la Débâcle,Et que Jamais soit Tout, bien intrinsèquement,Très hermétiquement, primordialement!»
Ah! – le long des calvaires de la Conscience,La Passion des mondes studieux t'encense,Aux Orgues des Résignations, Idéal,Ô Galathée aux pommiers de l'Éden-Natal!
Martyres, croix de l'Art, formules, fugues douces,Babels d'or où le vent soigne de bonnes mousses;Mondes vivotant, vaguement étiquetésDe livres, sous la céleste Éternullité:Vanité, vanité, vous dis-je! – oh! Moi, j'existe,Mais où sont, maintenant, les nerfs de ce Psalmiste?Minuit un quart; quels bords te voient passer, aux nuitsAnonymes, ô Nébuleuse-Mère? Et puis,Qu'il doit agoniser d'étoiles éprouvées,À cette heure où Christ naît, sans feu pour leurs couvées,Mais clamant: ô mon Dieu! Tant que, vers leur ciel mort,Une flèche de cathédrale pointe encorDes polaires surplis! – ces Terres se sont tues,Et la création fonctionne têtue!Sans issue, elle est Tout; et nulle autre, elle est Tout.X en soi? Soif à trucs! Songe d'une nuit d'août?Sans le mot, nous serons revannés, ô ma Terre!Puis tes soeurs. Et nunc et semper, Amen. Se taire.
Je veux parler au Temps! Criais-je. Oh! Quelque engraisAnonyme! Moi! Mon Sacré-Coeur! – j'espéraisQu'à ma mort, tout frémirait, du cèdre à l'hysope;Que ce Temps, déraillant, tomberait en syncope,Que, pour venir jeter sur mes lèvres des fleurs,Les Soleils très navrés détraqueraient leurs choeurs;Qu'un soir, du moins, mon Cri me jaillissant des moelles,On verrait, mon Dieu, des signaux dans les étoiles?
Puis, fou devant ce ciel qui toujours nous bouda,Je rêvais de prêcher la fin, nom d'un Bouddha!Oh! Pâle mutilé, d'un: qui m'aime me suive!Faisant de leurs cités une unique Ninive,Mener ces chers bourgeois, fouettés d'alléluias,Au Saint-Sépulcre maternel du Nirvâna!
Maintenant, je m'en lave les mains (concurrenceVitale, l'argent, l'art, puis les lois de la France...)
Vermis sum, pulvis es! Où sont mes nerfs d'hier?Mes muscles de demain? Et le terreau si fierDe Mon âme, où donc était-il, il y a milleSiècles! Et comme, incessamment, il file, file!...Anonyme! Et pour Quoi? – Pardon, Quelconque Loi!L'être est forme, Brahma seul est Tout-Un en soi.
Ô Robe aux cannelures à jamais doriquesOù grimpent les Passions des grappes cosmiques;Ô robe de Maïa, ô Jupe de Maman,Je baise vos ourlets tombals éperdument!Je sais! La vie outrecuidante est une trêveD'un jour au Bon Repos qui pas plus ne s'achèveQu'il n'a commencé. Moi, ma trêve, confiant,Je la veux cuver au sein de l'Inconscient.
Dernière crise. Deux semaines errabundes,En tout, sans que mon Ange Gardien me réponde.Dilemme à deux sentiers vers l'Éden des Élus:Me laisser éponger mon Moi par l'Absolu?Ou bien, élixirer l'Absolu en moi-même?C'est passé. J'aime tout, aimant mieux que Tout m'aime.Donc Je m'en vais flottant aux orgues sous-marins,Par les coraux, les oeufs, les bras verts, les écrins,Dans la tourbillonnante éternelle agonieD'un Nirvâna des Danaïdes du génie!Lacs de syncopes esthétiques! Tunnels d'or!Pastel défunt! Fondant sur une langue! MortMourante ivre-morte! Et la conscience uniqueQue c'est dans la Sainte Piscine ésotériqueD'un lucus à huis-clos, sans pape et sans laquais,Que j'ouvre ainsi mes riches veines à Jamais.
En attendant la mort mortelle, sans mystère,Lors quoi l'usage veut qu'on nous cache sous terre.
Maintenant, tu n'as pas cru devoir rester coi;Eh bien, un cri humain! S'il en reste un pour toi. |