Charles Cros
1842 -1888
Paul Verlaine:Charles Cros
Texte:Paul Verlaine: Charles Crosdans: Les hommes d'aujourd'huiuvres complètes, 3e éd., pp. 384-397Paris: Vanier (Messein), 1905Source: Wikipédia
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Paul VerlaineCharles Cros
Charles Cros, poète français, né à Fabrezan près Narbonne (Aude), le 1er octobre 1842, n'a imprimé qu'un livre de vers grossi de fantaisies en prose: mais son oeuvre dans des journaux et revues, oeuvre non encore recueillie, est considérable dans la mesure de l'extrême talent déployé sous la dictée d'un génie aussi beau qu'incontestable. Génie, le mot ne semblera pas trop tort à ceux assez nombreux qui ont lu ses pages impressionnantes à tant de titres, et ces lecteurs, je les traite d'assez nombreux en vertu de la clarté, même un peu nette, un peu brutale, et du bon sens parfois aigu, paradoxalement dur, toujours à l'action, qui caractérise sa manière si originale d'ailleurs. De la taille des plus hauts entre les écrivains de premier ordre, il a parfois sur eux ce quasi-avantage et cette presque infériorité de se voir compris, mal à la vérité dans la plupart des cas, et c'est heureux et honorable, par des lecteurs d'ordinaire rebelles à telles oeuvres de valeur exceptionnelle en art et en philosophie. Et pourtant amère et profonde, ce qui est souvent, mais ici bien particulièrement synonyme, se manifeste en tout lieu la philosophie de Charles Cros, desservie par un art plutôt sévère sous son charme incontestable mais d'autant plus pénétrant. Lisez par exemple ces étranges nouvelles Correspondance interastrale, et surtout la Science de l'Amour, cruelle satire où toute mesure semble gardée dans la plaisanterie énorme. J'y relis avec joie ces vers colossaux d'une «romance» imaginée par l'auteur en gaieté au compte d'un bon jeune homme brûlant pour une pensionnaire moins naïve mais aussi férocement bête que son «amour» la lui montre, d'une flamme intelligente à la façon de celles de l'enfer, et qu'il lui soupire très sérieusement, en pleine soirée bourgeoise, en vue de les charmer, elle, ses parents et LA dot:
Auprès d'un bocal
Je le voyais en blanc faux-col.Frais substitut aux dignes poses:S'il n'était pas dans l'alcool,Comme il eût fait de crrandes choses!. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Lisez parmi ses Monologues (c'est lui, entre parenthèses, qui a créé, ou je me trompe fort, ce genre charmant, le Monologue, qu'on a sans doute Lien galvaudé postérieurement à lui et dont Coquelin Cadet fut l'impayable propagateur), lisez, dis-je, entre de nombreux chefs-d'oeuvre en l'espèce, le Bilboquet, flegme tout britannique, verve bien gauloise, exquis mélange d'humour féroce et de bon gros rire fin et sûr. Lisez encore ces choses, ni poèmes en prose (titre et forme bien affadis depuis ces maîtres, Aloysius Bertrand, Charles Baudelaire, Stéphane Mallarmé, Arthur Rimbaud), ni contes, nirécits,nimeme histoires, le Hareng saur, angélique enfantillage justement célèbre, et le Meuble, que j'ai toutes raisons d'environner de sympathies même intrinsèques pour ainsi parler, l'ayant possédé, ce meuble, du temps où je possédais quelque chose au soleil de tout le monde. Enfin, fouillez les publications, exclusivement consacrées aux belles et bonnes Lettres, d'il y a quelque temps, la Renaissance, la Revue du Monde nouveau, plus récemment, la Décadence, etc. Vous reviendrez charmés puissantment, délicieusement frappés de ce voyage au pays bleu. Car Charles Cros, il ne faut jamais l'oublier, demeure poète, et poète très idéaliste, très chaste, très naïf, même dans ses fantaisies les plus apparemment terre-à-terre, cela d'ailleurs saute aux yeux dès les premières lignes de n'importe quoi de lui.Mais pour le juger, pour l'admirer dans toute sa puissance de bon et très bon poète, es menester, comme dit l'Espagnol, de se procurer l'unique recueil de vers de Charles Cros, le Coffret de Santal et de se l'assimiler d'un bout à l'autre, besogne charmante mais bien courte, car le volume est matériellement mince et l'auteur n'y a mis que ce que, bien trop modeste, il a cru être tout le dessus de son magique panier. Vous y trouverez, sertissant des sentiments tour à tour frais à l'extrême et raffinés presque trop, des bijoux tour à tour délicats, barbares, bizarres, riches et simples comme un coeur d'enfant et qui sont des vers, des vers ni classiques, ni romantiques, ni décadents 1) bien qu'avec une pente à être décadents, s'il fallait absolument mettre un semblant d'étiquette sur de la littérature aussi indépendante et primesautière. Bien qu'il soit très soucieux du rythme et qu'il ait réussi à merveille de rares et précieux essais, on ne peut considérer en Cros un virtuose en versification, mais sa langue très ferme, qui dit haut et loin ce qu'elle veut dire, la sobriété de son verbe et de son discours, le choix toujours rare d'épithètes jamais oiseuses, des rimes excellentes sans l'excès odieux, constituent en lui un versificateur irréprochable qui laisse au thème toute sa grâce ingénue ou perverse.Au surplus, voici quelques exemples qui «en diront plus que tout commentaire».
L'Orgue 2)Musique d'Armand Gouzien
À André Gill.
Sous un roi d'Allemagne ancien,Est mort Gottlieb le musicien.On l'a cloué sous les planches.Hou! Hou! Hou!Le vent souffle dans les branches
Il est mort pour avoir aiméLa petite Rose-de-Mai.Les filles ne sont pas franches.Hou! Hou! Hou!Le vent souffle dans les branches.
Elle s'est mariée, un jour.Avec un autre, sans amour.«Repassez les robes blanches!»Hou! hou! hou!Le vent souffle dans les branches.
Quand à l'église ils sont venus,Gottlieb à l'orgue n'était plus,Comme les autres dimanches.Hou! hou! hou!Le vent souffle dans les branches.
Car depuis lors, à minuit noir,Dans la forêt on peut le voirÀ l'époque des pervenches.Hou! hou! hou!Le vent souffle dans les branches.
Son orgue a les pins pour tuyaux.Il fait peur aux petits oiseaux.Morts d'amour ont leurs revanches.Hou! hou! hou!Le vent souffle dans les branches.
Le Hareng saur 3)
À Guy.
Il était un grand mur blanc – nu, nu, nu.Contre le mur une échelle – haute, haute, haute,Et, par terre, un hareng saur – sec, sec, sec.
Il vient, tenant dans ses mains – sales, sales, sales.Un marteau lourd, un grand clou – pointu, pointu, pointu,Un peloton de ficelle – gros, gros, gros.
Alors il monte à l'échelle – haute, haute, haute,Et plante le clou pointu – toc, toc, toc,Tout en haut du grand mur blanc – nu, nu, nu.
Il laisse aller le marteau – qui tombe, qui tombe, qui tombe,Attache au clou la ficelle – longue, longue, longue.Et, au bout, le hareng saur – sec, sec, sec.
Il redescend de l'échelle – haute, haute, haute,L'emporte avec le marteau – lourd, lourd, lourd,Et puis, il s'en va ailleurs, – loin, loin, loin.
Et, depuis, le hareng saur – sec, sec, sec,Au bout de cette ficelle – longue, longue, longue,Très lentement se balance – toujours, toujours, toujours.
J'ai composé cette histoire, – simple, simple, simple,Pour mettre en fureur les gens – graves, graves, graves,Et amuser les enfants – petits, petits, petits,
L'Archet 4)Musique de Cabaner
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