Charles Cros
1842 -1888
Le Collier de griffes
posthume 1908
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Tendresse
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Sonnet
Il y a des moments où les femmes sont fleurs;On n'a pas de respect pour ces fraîches corolles…Je suis un papillon qui fuit des choses folles,Et c'est dans un baiser suprême que je meurs.
Mais il y a parfois de mauvaises rumeurs;Je t'ai baisé le bec, oiseau bleu qui t'envoles,J'ai bouché mon oreille aux funèbres paroles;Mais, Muse, j'ai fléchi sous tes regards charmeurs.
Je paie avec mon sang véritable, je paieEt ne recevrai pas, je le sais, de monnaie,Et l'on me laissera mourir au pied du mur.
Ayant traversé tout, inondation, flamme,Je ne me plaindrai pas, délicieuse femme,Ni du passé, ni du présent, ni du futur!
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Sonnet
Je ne vous ferai pas de vers,Madame, blonde entre les blondes,Vous réduiriez trop l'univers,Vous seriez reine sur les mondes.
Vos yeux de saphir, grands ouverts,Inquiètent comme les ondesDes fleuves, des lacs et des mersEt j'en ai des rages profondes.
Mais je suis pourtant désarméPar la bouche, rose de mai,Qui parle si bien sans parole,
Et qui dit le mot sans pareil,Fleur délicieusement folleÉclose à Paris, au soleil.
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Cueillette
C'était un vrai petit voyou,Elle venait on ne sait d'où,Moi, je l'aimais comme une bête.Oh! la jeunesse, quelle fête.
Un baiser derrière son couLa fit rire et me rendit fou.Sainfoin, bouton d'or, pâquerette,Surveillaient notre tête à tête.
La clairière est comme un salonTout doré; les jaunes abeillesVont aux fleurs qui leur sont pareilles;
Moi seul, féroce et noir frelon,Qui baise ses lèvres vermeilles,Je fais tache en ce fouillis blond.
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Aux femmes
Noyez dans un regard limpide, aérien,Les douleurs.Ne dites rien de mal, ne dites rien de bien,Soyez fleurs.Soyez fleurs: par ces temps enragés, enfumésDe charbon,Soyez roses et lys. Et puis, aimez, aimez!C'est si bon!…
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Il y a la fleur, il y a la femme,Il y a le bois où l'on peut courirIl y a l'étang où l'on peut mourir.Alors, que nous fait l'éloge ou le blâme?
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L'aurore naît et la mort vient.Qu'ai-je fait de mal ou de bien?Je suis emporté par l'orage,Riant, pleurant, mais jamais sage.
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Ceux qui dédaignent les amoursOnt tort, ont tort,Car le soleil brille toujours;La Mort, la MortVient vite et les sentiers sont courts.
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Comme tu souffres, mon pays,Ô lumineuse, ô douce France,Et tous les peuples ébahisNe comprennent pas ta souffrance.
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Tableau de sainteté
La mère et l'enfant, éternel objetDe tout philosophe et de tout artiste!Chasser ta pensée ou féroce ou triste,Sans la mère et sans l'enfant, qui le fait?
Un chapeau trop grand, un verre de lait,C'est l'enfant content. Et la mère insistePour le faire boire. Oh! la grâce existeAu milieu du crime, au milieu du laid.
Le ton rouge et frais des mignonnes lèvresNous font oublier nos malsaines fièvres.Oh! les petits mots qu'on ne comprend pas.
La mère, charmante, hésite à sourire,Elle sait l'amour qu'on ne peut pas direTenant doucement son fils dans ses bras.
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Paroles d'un miroir à une belle dame
Belle, belle, belle, belle!Que voulez-vous que je diseÀ votre frimousse exquise?Riez, rose, sans cervelle.
Je suis un petit miroir,Je suis de glace et d'étain;Mais vos yeux et votre teintS'illuminent à vous voir.
Les douleurs, les ennuis pires,Je chasse tout penser triste;Je ne veux (un tic d'artiste)Refléter que vos sourires.
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Lilas
Ma maîtresse me fait des scènes.Paradis fleuri de lilasSe viens humer tes odeurs saines.
Les moribonds disent: Hélas!Les vieux disent des mots obscènesPour couvrir le bruit de leurs glas.
Dans le bois de pins et de chênesLes obus jettent leurs éclats.Victoire? Défaite? Phalènes.
Pluie améthyste les lilas,Sans souci d'ambitions vaines,Offrent aux plus gueux leurs galas.
La mer, les montagnes, les plaines,Tout est oublié. Je suis las,Las de la bêtise et des haines.
Mais mon coeur renaît aux lilas.
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Testament
Si mon âme claire s'éteintComme une lampe sans pétrole,Si mon esprit, en haut, déteintComme une guenille folle,
Si je moisis, diamantin,Entier, sans tache, sans vérole,Si le bégaiement bête atteintMa persuasive parole,
Et si je meurs, soûl, dans un coinC'est que ma patrie est bien loinLoin de la France et de la terre.
Ne craignez rien, je ne maudisPersonne. Car un paradisMatinal, s'ouvre et me fait taire.
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À ma femme endormie
Tu dors en croyant que mes versVont encombrer tout l'universDe désastres et d'incendies;Elles sont si rares pourtantMes chansons au soleil couchantEt mes lointaines mélodies.
Mais si je dérange parfoisLa sérénité des cieux froids,Si des sons d'acier et de cuivreOu d'or, vibrent dans mes chansons,Pardonne ces hautes façons,C'est que je me hâte de vivre.
Et puis tu m'aimeras toujours.Éternelles sont les amoursDont ma mémoire est le repaireNos enfants seront de fiers gasQui répareront les dégâts,Que dans ta vie a fait leur père.
Ils dorment sans rêver à rien,Dans le nuage aérienDes cheveux sur leurs fines têtes;Et toi, près d'eux, tu dors aussi,Ayant oublié le souciDe tout travail, de toutes dettes.
Moi je veille et je fais ces versQui laisseront tout l'universSans désastre et sans incendie;Et demain, au soleil montantTu souriras en écoutantCette tranquille mélodie.
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Almanach
Les fillettes sont bien grandiesQu'on faisait sauter dans ses mains!Que de cendres sont refroidies!Voici refleuris les jasmins.
Il est un charme aux lendemains,Un bercement aux maladies.Les roses perdent leurs carminsMais restent de nobles ladies.
Sans être ni riche ni fortOn attend doucement la mortEn contemplant le ciel plein d'astres.
Mais il vient des mots étouffants;On laissera les chers enfantsLivrés à de vagues désastres.
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Sonnet
Moi, je vis la vie à côté,Pleurant alors que c'est la fête.Les gens disent: «Comme il est bête!»En somme, je suis mal coté.
J'allume du feu dans l'été,Dans l'usine je suis poète;Pour les pitres je fais la quête.Qu'importe! J'aime la beauté.
Beauté des pays et des femmes,Beauté des vers, beauté des flammes,Beauté du bien, beauté du mal.
J'ai trop étudié les choses;Le temps marche d'un pas normal:Des roses, des roses, des roses! |