Charles Cros
1842 -1888
Le Coffret de santal
1873
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DIVINATIONS
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Nocturne
À Arsène Houssaye
Bois frissonnants, ciel étoilé,Mon bien-aimé s'en est allé,Emportant mon coeur désolé!
Vents, que vos plaintives rumeurs,Que vos chants, rossignols charmeurs,Aillent lui dire que je meurs!
Le premier soir qu'il vint iciMon âme fut à sa merci.De fierté je n'eus plus souci.
Mes regards étaient pleins d'aveux.Il me prit dans ses bras nerveuxEt me baisa près des cheveux.
J'en eus un grand frémissement;Et puis, je ne sais plus commentIl est devenu mon amant.
Et, bien qu'il me fût inconnu,Je l'ai pressé sur mon sein nuQuand dans ma chambre il est venu.
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Je lui disais: «Tu m'aimerasAussi longtemps que tu pourras!»Je ne dormais bien qu'en ses bras.
Mais lui, sentant son coeur éteint,S'en est allé l'autre matin,Sans moi, dans un pays lointain.
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Puisque je n'ai plus mon ami,Je mourrai dans l'étang, parmiLes fleurs, sous le flot endormi.
Au bruit du feuillage et des eaux,Je dirai ma peine aux oiseauxEt j'écarterai les roseaux.
Sur le bord arrêtée, au ventJe dirai son nom, en rêvantQue là je l'attendis souvent.
Et comme en un linceul doré,Dans mes cheveux défaits, au gréDu flot je m'abandonnerai.
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Les bonheurs passés verserontLeur douce lueur sur mon front;Et les joncs verts m'enlaceront.
Et mon sein croira, frémissantSous l'enlacement caressant,Subir l'étreinte de l'absent.
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Que mon dernier souffle, emportéDans les parfums du vent d'été,Soit un soupir de volupté!
Qu'il vole, papillon charméPar l'attrait des roses de mai,Sur les lèvres du bien-aimé!
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Romance
À Philippe Burty
Le bleu matinFait pâlir les étoiles.Dans l'air lointainLa brume a mis ses voiles.C'est l'heure où vont,Au bruit clair des cascades,Danser en rond,Sur le pré, les Dryades.
Matin moqueur,Au dehors tout est rose.Mais dans mon coeurRègne l'ennui morose.Car j'ai parfoisÀ son bras, à cette heure,Couru ce bois.Seule à présent j'y pleure.
Le jour paraît,La brume est déchirée,Et la forêtSe voit pourpre et dorée.Mais, pour raillerLa peine qui m'oppresse,J'entends piaillerLes oiseaux en liesse.
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Rendez-vous
À J. Keck
Ma belle amie est morte,Et voilà qu'on la porteEn terre, ce matin,En souliers de satin.
Elle dort toute blanche,En robe de dimanche,Dans son cercueil ouvertMalgré le vent d'hiver.
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Creuse, fossoyeur, creuseÀ ma belle amoureuseUn tombeau bien profond,Avec ma place au fond.
Avant que la nuit tombeNe ferme pas la tombe;Car elle m'avait ditDe venir cette nuit,
De venir dans sa chambre:«Par ces nuits de décembre,Seule, en mon lit étroit,Sans toi, j'ai toujours froid.»
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Mais, par une aube grise,Son frère l'a surpriseNue et sur mes genoux.Il m'a dit: «Battons-nous.
Que je te tue. EnsuiteJe tuerai la petite.»C'est moi qui, m'en gardant,L'ai tué, cependant.
∗
Sa peine fut si forteQu'hier elle en est morte.Mais, comme elle m'a dit,Elle m'attend au lit.
Au lit que tu sais faire,Fossoyeur, dans la terre.Et, dans ce lit étroit,Seule, elle aurait trop froid.
∗
J'irai coucher près d'elle,Comme un amant fidèle,Pendant toute la nuitQui jamais ne finit.
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Aquarelle
À Henry Cros
Au bord du chemin, contre un églantier,Suivant du regard le beau cavalierQui vient de partir, Elle se repose,Fille de seize ans, rose, en robe rose.
Et l'Autre est debout, fringante. En ses yeuxBrillent les éclairs d'un rêve orgueilleux...Diane mondaine à la fière allure,Corps souple, front blanc, noire chevelure.
Tandis que sa blonde amie en rêvantÉcoute les sons qu'apporte le vent,Bruits sourds de galop, sons lointains de trompe,
Diane se dit: «Rosette se trompe.Quand Il est parti tout pâle d'émoi,Son dernier regard n'était que pour moi.»
―――――L'Orgue
À André GillMusique de Armand Gouzien
Sous un roi d'Allemagne, ancien,Est mort Gottlieb le musicien.On l'a cloué sous les planches.Hou! hou! hou!Le vent souffle dans les branches.
Il est mort pour avoir aiméLa petite Rose-de-Mai.Les filles ne sont pas franches.Hou! hou! hou!Le vent souffle dans les branches.
Elle s'est mariée, un jour,Avec un autre, sans amour.«Repassez les robes blanches!»Hou! hou! hou!Le vent souffle dans les branches.
Quand à l'église ils sont venus,Gottlieb à l'orgue n'était plus,Comme les autres dimanches.Hou! hou! hou!Le vent souffle dans les branches.
Car depuis lors, à minuit noir,Dans la forêt on peut le voirÀ l'époque des pervenches.Hou! hou! hou!Le vent souffle dans les branches.
Son orgue a les pins pour tuyaux.Il fait peur aux petits oiseaux.Morts d'amour ont leurs revanches.Hou! hou! hou!Le vent souffle dans les branches.
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Ronde flamande
Si j'étais roi de la forêt,Je mettrais une couronneToute d'or; en velours bleuetJ'aurais un trône,
En velours bleu, garni d'argentComme un livre de prière,J'aurais un verre en diamantRempli de bière,
Rempli de bière ou de vin blanc.Je dormirais sur des roses.Dire qu'un roi peut avoir tantDe belles choses.
∗
Dire qu'un roi prend quand il veutLa plus belle fille au mondeDont les yeux sont du plus beau bleu,Et la plus blonde,
Avec des tresses comme en aJusqu'aux genoux, Marguerite.Si j'étais roi, c'est celle-làQue j'aurais vite.
∗
J'irais la prendre à son jardin,Sur l'eau, dans ma barque noire,Mât de nacre et voile en satin.Rames d'ivoire.
Satin blanc, nacre et câbles d'or...Des flûtes, des mandolinesPour bercer la belle qui dortSur des hermines!
∗
Hermine, agrès d'or et d'argent,Doux concert, barque d'ébène,Couronne et verre en diamant...J'en suis en peine.
Je n'ai que mon coeur de garçon.Marguerite se contenteD'être ma reine en la chansonQue je lui chante.
―――――Roses et MuguetsRonde
Au comte Charles de MontblancMusique de Cressonnois
Dans le vallon qu'arroseL'eau courante, j'allaisUn jour cueillir la rose,La rose et les muguets.
Mon amoureux qui n'oseRien me dire, y passait;Moi je cueillais la rose,La rose et le muguet.
«Oh vilain! oh morose!»Au nez je lui riais,Tout en cueillant la rose,La rose et les muguets.
Sur l'herbe je me poseEn jetant mon bouquet,Mon beau bouquet de rose,De rose et de muguet.
«Dis-moi donc quelque chose!Les oiseaux sont plus gaisGazouillant à la rose,Becquetant les muguets.
N'aye pas peur qu'on glose.Le lézard fait le guetCouché sur une rose,Caché dans le muguet.»
Mais sur ma bouche closeSon baiser me narguait.«Tes lèvres sont de roseEt tes dents de muguet.»
Le méchant! Il est cause(Moi qui tant me moquais!)Que dans l'eau court ma rose,Ma rose et mes muguets.
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La Dame en pierre
À José Maria de Hérédia
Sur ce couvercle de tombeauElle dort. L'obscur artisteQui l'a sculptée a vu le beauSans rien de triste.
Joignant les mains, les yeux heureuxSous le voile des paupières,Elle a des rêves amoureuxDans ses prières.
Sous les plis lourds du vêtement,La chair apparaît rebelle,N'oubliant pas complètementQu'elle était belle.
Ramenés sur le sein glacéLes bras, en d'étroites manches,Rêvent l'amant qu'ont enlacéLeurs chaînes blanches.
Le lévrier, comme autrefoisAttendant une caresse,Dort blotti contre les pieds froidsDe sa maîtresse.
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Tout le passé revit. Je voisLes splendeurs seigneuriales,Les écussons et les pavoisDes grandes salles,
Les hauts plafonds de bois, bordésD'emblématiques sculptures,Les chasses, les tournois brodésSur les tentures.
Dans son fauteuil, sans nul souciDes gens dont la chambre est pleine,À quoi peut donc rêver ainsi,La châtelaine?
Ses yeux où brillent par momentLes fiertés intérieures,Lisent mélancoliquementUn livre d'heures.
ↂ
Quand une femme rêve ainsiFière de sa beauté rare,C'est quelque drame sans merciQui se prépare.
∗
Peut-être à temps, en pleine fleur,Celle-ci fut mise en terre.Bien qu'implacable, la douleurEn fut austère.
L'amant n'a pas vu se ternir,Au souffle de l'infidèle,La pureté du souvenirQu'il avait d'elle.
La mort n'a pas atteint le beau.La chair perverse est tuée,Mais la forme est, sur un tombeau,Perpétuée.
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Destinée
À Leconte de Lisle
Quel est le but de tant d'ennuis?Nous vivons fiévreux, haletants,Sans jouir des fleurs au printemps,Du calme des nuits.
Pourquoi ces pénibles apprêts,Ces labeurs que le doute froidTraverse, où nous trouvons l'effroi?Pour mourir après?
Mais non. L'éternelle beautéEst le flambeau d'attractionVers qui le vivant papillonSe trouve emporté.
Mais souvent le papillon d'orTrouve la mort au clair flambeau,C'est ainsi qu'en plus d'un tombeauLa vérité dort.
Ceux qui suivent retrouvent-ilsCes pensers éteints au berceau?Quel ruisseau redit du ruisseauLes rythmes subtils?
―――――L'Archet
Musique de Ernest Cabaner
Elle avait de beaux cheveux, blondsComme une moisson d'août, si longsQu'ils lui tombaient jusqu'aux talons.
Elle avait une voix étrange,Musicale, de fée ou d'ange,Des yeux verts sous leur noire frange.
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Lui, ne craignait pas de rival,Quand il traversait mont ou val,En l'emportant sur son cheval.
Car, pour tous ceux de la contrée,Altière elle s'était montrée,Jusqu'au jour qu'il l'eut rencontrée.
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L'amour la prit si fort au coeur,Que pour un sourire moqueur,Il lui vint un mal de langueur.
Et dans ses dernières caresses:«Fais un archet avec mes tresses,Pour charmer tes autres maîtresses.»
Puis, dans un long baiser nerveux,Elle mourut. Suivant ses voeux,Il fit l'archet de ses cheveux.
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Comme un aveugle qui marmonne,Sur un violon de CrémoneIl jouait, demandant l'aumône.
Tous avaient d'enivrants frissonsÀ l'écouter. Car dans ces sonsVivaient la morte et ses chansons.
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Le roi, charmé, fit sa fortune.Lui, sut plaire à la reine bruneEt l'enlever au clair de lune.
Mais, chaque fois qu'il y touchaitPour plaire à la reine, l'archetTristement le lui reprochait.
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Au son du funèbre langage,Ils moururent à mi-voyage.Et la morte reprit son gage.
Elle reprit ses cheveux, blondsComme une moisson d'août, si longsQu'ils lui tombaient jusqu'aux talons.
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Chant éthiopien
À Émile Wroblewski
Apportez-moi des fleurs odorantes,Pour me parer, compagnes errantes,Pour te charmer, ô mon bien-aimé.Déjà le vent s'élève embaumé.
Le vent du soir fait flotter vos pagnes.Dans vos cheveux, pourquoi, mes compagnes,Entrelacer ces perles de lait?Mon cou – dit-il – sans perles lui plaît.
Mon cou qu'il prend entre ses bras souplesFrémit d'amour. Nous voyons par couples,Tout près de nous, entre les roseaux,Dans le muguet, jouer les oiseaux.
Le blanc muguet fait des perles blanches.Mon bien-aimé rattache à mes hanchesMon pagne orné de muguet en fleur;Mes dents – dit-il – en ont la pâleur.
Mes blanches dents et mon sein qui cèdeMes longs cheveux, lui seul les possède.Depuis le soir où son oeil m'a lui,Il est à moi; moi je suis à lui.
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Li-taï-pé
À Ernest Cabaner
Mille étés et mille hiversPasseront sur l'univers,Sans que du poète-dieuLi-taï-pé meurent les vers,Dans l'Empire du milieu.
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Sur notre terre exilé,Il contemplait désoléLe ciel, en se souvenantDu beau pays étoiléQu'il habite maintenant.
Il abaissait son pinceau;Et l'on voyait maint oiseauÉcouter, en voletantParmi les fleurs du berceau,Le poète récitant.
Sur le papier jaune et vertDe mouches d'argent couvert,Fins et noirs pleuvaient les traits.Tel, sur la neige, en hiver,Le bois mort dans les forêts.
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Il n'est de soupirs du vent,De clameurs du flot mouvantQui soient si doux que les sonsQue le poète, rêvant,Savait mettre en ses chansons.
Aromatiques senteursDont s'embaument les hauteurs,Thym, muguet, roses, jasmin,Comme en des rêves menteurs,Naissaient sous sa longue main.
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À présent, il est auprèsDe Fo-hi, dans les prés frais,Où les sages s'en vont tous,À l'ombre des grands cyprès,Boire et rire avec les fous.
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L'Été
À Catulle Mendes
C'est l'été. Le soleil dardeSes rayons intarissablesSur l'étranger qui s'attardeAu milieu des vastes sables.
Comme une liqueur subtileBaignant l'horizon sans borne,L'air qui du sol chaud distilleFait trembloter le roc morne.
Le bois des arbres éclate.Le tigre rayé, l'hyène,Tirant leur langue écarlate,Cherchent de l'eau dans la plaine.
Les éléphants vont en troupe,Broyant sous leurs pieds les haiesEt soulevant de leur croupeLes branchages des futaies.
Il n'est pas de grotte creuseOù la chaleur ne pénètre,Aucune vallée ombreuseOù de l'herbe puisse naître.
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Au jardin, sous un toit lisseDe bambou, Sitâ sommeille;Une moue effleure et plisseParfois sa lèvre vermeille.
Sous la gaze, d'or rayée,Où son beau corps s'enveloppe,En s'étirant, l'ennuyéeOuvre ses yeux d'antilope.
Mais elle attend, sous ce voileQui trahit sa beauté nue,Qu'au ciel la première étoileAnnonce la nuit venue.
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Déjà le soleil s'inclineEt dans la mer murmuranteVa, derrière la colline,Mirer sa splendeur mourante.
Et la nature brûléeRespire enfin. La nuit bruneRevêt sa robe étoilée,Et, calme, apparaît la lune. |