bibliotheca Augustana
BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

François Villon

1431 - vers 1470

 

Le Lais ou le Petit Testament

 

vers 1456

 

Texte:

Le Testament Villon,

édité par Jean Rychner

et Albert Henry

I: Texte. II: Commentaire,

Genève: Droz 1974

Source:

Textes de Villon (T. Sasaki)

 

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Le Lais ou le Petit Testament

 

Manuscrit (après 1477): Stockholm, Bibliothèque royale, ms. V.u.22 (BNF Gallica)

 

 

I

L'an quatre cens cinquante six,

Je, Françoy Villon, escollier,

Considerant, de sens rassis,

4

Le frain aux dens, franc au collier,

Qu'on doit ses euvres conseillier,

Comme Vegece le racompte,

Saige Rommain, grant conseillier,

8

Ou autrement on se mescompte . . .

 

II

En ce temps que j'ay dit devant,

Sur Noël, morte saison,

Que les loups se vivent du vent

12

Et qu'on se tient en sa maison,

Pour le frimas, pres du tyson,

Me vint ung vouloir de briser

La tres amoureuse prison

16

Qui faisoit mon cueur debriser.

 

III

Je le feiz en telle façon,

Voyant celle devant mes yeulx

Consentant a ma deffaçon

20

Sans ce que ja luy en fust mieulx;

Dont je me dueil et plains aux cieulx,

En requerant d'elle vengence

A tous les dieux venerïeux,

24

Et du grief d'amours allegence.

 

IV

Et se j'ay prins en ma faveur

Ses doulx regars et beaux semblans

De tres decevante saveur

28

Me tresparsans jusques aux flans,

Bien ils ont vers moy les piés blancs

Et me faillent au grant besoing:

Planter me fault aultres complans

32

Et frapper en ung aultre coing.

 

V

Le regart de celle m'a prins

Qui m'a esté felonne et dure;

Sans ce qu'en riens j'aye mesprins,

36

Veult et ordonne que j'endure

La mort, et que plus je ne dure.

Si n'y vois secours que fouïr;

Rompre veult la vive soudure

40

Sans mes piteulx regretz ouïr.

 

VI

Pour obvier a ses dangers,

Mon mieulx est, ce croy, de partir.

A Dieu! Je m'en vois a Angers,

44

Puis qu'el ne me veult impartir

Sa grace ne me departir.

Par elle meurs, les membres sains;

Au fort, je suys amant martir,

48

Du nombre des amoureux sains.

 

VII

Combien que le depart me soit

Dur, si fault il que je l'eslongne;

Comme mon povre sens consoit,

52

Aultre que moy est en quelongne,

Dont oncques soret de Boulongne

Ne fut plus alteré d'humeur.

C'est pour moy piteuse besongne:

56

Dieu en vueille ouÿr ma clameur!

 

VIII

Et puys que departir me fault

Et du retour ne suys certain

(Je ne suys homme sans deffault,

60

Ne qu'aultre d'assier ne d'estain;

Vivre aux humains est incertain

Et aprés mort n'y a relaiz)

- Je m'en vois en pays lointain -,

64

Si establis ce present laiz.

 

IX

Premierement, ou nom du Pere,

Du Filz et du Saint Esperit,

Et de sa glorïeuse Mere

68

Par qui grace riens ne perit,

Je laisse, de par Dieu, mon bruyt

A maistre Guillaume Villon,

Qui en l'onneur de son nom bruyt,

72

Mes tentes et mon pavillon.

 

X

Item, a celle que j'ay dit

Qui si durement m'a chassé

Que je suis de joye interdit

76

Et de tout plaisir dechassé,

Je lesse mon cueur enchassé,

Palle, piteux, mort et transy.

Elle m'a ce mal pourchassé,

80

Mais Dieu luy en face mercy!

 

XI

Item, a maistre Ytier Merchant,

Auquel je me sens tres tenu,

Laisse mon branc d'acier tranchant,

84

Et a maistre Jehan le Cornu,

Qui est en gaige detenu

Pour ung escot sept solz montant;

Je veul, selon le contenu,

88

Qu'on leur livre . . . en le rachetant!

 

XII

Item, je laisse a Sainct Amant

Le Cheval blanc avec la Mule,

Et a Blaru mon dÿamant

92

Et l'Asne royé qui recule.

Et le decret qui articule

Omnis utriusque sexus

Contre la Carmeliste bulle

96

Laisse aux curés pour mettre sus.

 

XIII

Et a maistre Robert Valee,

Povre clergon en Parlement,

Qui n'entent ne mont ne valee,

100

J'ordonne principalement

Qu'on luy baille legierement

Mes brayes, estans aux Trumillieres,

Pour coyffer plus honnestement

104

S'amye Jehanne de Millieres.

 

XIV

Pour ce qu'il est de lieu honneste

Fault qu'il soit mieulx recompensé,

Car le Saint Esperit l'admoneste,

108

Obstant ce qu'il est insensé.

Pour ce, je me suis pourpensé,

Puis qu'il n'a sens ne qu'une aulmoire,

De recouvrer sur Mau Pensé,

112

Qu'on luy baille, l'Art de memoire.

 

XV

Item, pour assigner la vie

Du dessus dit maitre Robert,

Pour Dieu, n'y aiés point d'envye,

116

Mes parents, vendés mon haubert,

Et que l'argent, ou la plus part,

Soit emploié dedens ces Pasques

A acheter a ce poupart

120

Une fenestre emprés Sainct Jacques.

 

XVI

Item, laisse et donne en pur don

Mes gans et ma houcque de soye

A mon amy Jacques Cardon,

124

Le glan aussi d'une saulsoye,

Et tous les jours une grasse oye

Et ung chappon de haulte gresse,

Dix muys de vin blanc comme croye,

128

Et deux procés, que trop n'engresse.

 

XVII

Item, je lessë a noble homme

Regnier de Montigny trois chiens;

Aussi a Jehan Raguier la somme

132

De cent frans prins sur tous mes biens;

Mais quoy? Je n'y comprens en riens

Ce que je pourray acquerir:

L'en ne doit trop prendre des siens,

136

Ne ses amys trop surquerir.

 

XVIII

Item, au seigneur de Grigny

Laisse la garde de Nygon

Et six chiens plus qu'a Montigny,

140

Vicestre, chastel et donjon;

Et a ce malostru changon,

Moutonnier, qui le tient en procés,

Laisse troys coups d'un escourgon

144

Et coucher paix et aise es ceps.

 

XIX

Item, au Chevalier du guet,

Le Hëaulme luy establis,

Et aux pietons qui vont d'aguet

148

Tastonnans par ces establis,

Je leur laissë ung beau riblis,

La Lanterne a la Pierre au Let,

Voire, mes j'aray les Troys Lis,

152

S'ilz me mainent en Chastellet.

 

XX

Et a maistre Jaques Raguier

Laisse l'Abeuvroir Popin,

Perches, poiré; au Gros Figuier

156

Tous jours le choiz d'un bon loppin,

Le trou de la Pomme de Pin,

Cloz et couvert, au feu la plante,

Emmaillotté en jacopin,

160

Et qui vouldra planter si plante!

 

XXI

Item, a maistre Jehan Mautaint

Et maistre Pierre Basannier,

Le gré du seigneur qui attainct

164

Troubles, forfaiz, sans espargnier;

Et a mon procureur Fournier,

Bonnetz cours, chausses semelees

Taillees sur mon cordouennier,

168

Pour porter durant ces gelees.

 

XXII

Item, a Jehan Trouvé, boucher,

Laisse le Mouton, franc et tendre,

Et ung tacon pour esmouchier

172

Le Beuf couronné qu'on veult vendre,

Et la Vache, qui pourra prendre

Le villain qui la trousse au col:

S'il ne la rend, qu'on le puist pendre

176

Et estrangler d'un bon licol!

 

XXIII

Item, a Perrenet Merchant,

Qu'on dit le Bastard de la Barre,

Pour ce qu'il est ung bon merchant,

180

Luy laisse troys gluyons de feurre

Pour estendre dessus la terre

A faire l'amoureux mestier,

Ou il luy fauldra sa vie querre,

184

Car il ne scet autre mestier.

 

XXIV

Item, au Loup et a Cholet

Je laisse a la foys ung canart

Prins sur les murs, comme on souloit,

188

Envers les fossés, sur le tart,

Et a chascun ung grant tabart

De cordelier jusques aux piez,

Busche, charbon, des poys au lart,

192

Et mes houseaulx sans avantpiez.

 

XXV

Item, je lessë, en pitié

A troys petis enffans tous nudz

Nonmés en ce present traictié,

196

- Povres orphelins inpourveuz,

Tous deschaussez, tous despourveuz,

Et desnuez comme le ver

(J'ordonne qu'ilz seront pourveuz,

200

Au moins pour passer cest yver) -,

 

XXVI

Premierement Colin Laurens,

Girard Gossuïn, Jehan Marceau,

Desprins de biens et de parens,

204

Qui n'ont vaillant l'anse d'un seau,

Chacun de mes biens ung fesseau

Ou quatre blancs, s'ilz l'aiment mieulx;

Ilz mengeront maint bon morseau,

208

Les enffans, quant je seray vieulx.

 

XXVII

Item, ma nominacïon,

Que j'ay de l'Université,

Laisse par resignacïon,

212

Pour seclurre d'aversité

Povres clers de ceste cité

Soubz cest intendit contenus;

Charité m'y a incité

216

Et Nature, les voyans nudz.

 

XXVIII

C'est maistre Guillaume Cottin

Et maistre Thibault de Vittry,

Deux povres clercs parlans latin,

220

Humbles, biens chantans au lectry,

Paisibles enffans sans estry;

Je leur laisse sans recevoir

Sur la maison Guillot Gueutry,

224

En attendant de mieulx avoir.

 

XXIX

Item, et j'adjoinctz a la crosse

Celle de la rue Saint Anthoine,

Ou ung billart de quoy on crosse,

228

Et tous les jours plain pot de Seine

Aux pigons qui sont en l'essoyne

Enserés soubz trappe voliere,

Mon miroüer bel et ydoyne

232

Et la grace de la geolliere.

 

XXX

Item, je lesse aux hospitaux

Mes chassis tissus d'arignie,

Et aux gisans soubz les estaulx,

236

Chacun sur l'eul une grongnee,

Trambler a chiere renfrongnee,

Megres, velus et morfondus,

Chausses courtes, robe rongnee,

240

Gelez, murdriz et enfondus.

 

XXXI

Item, je laisse a mon barbier

Les rongneures de mes cheveux,

Plainement et sans destourbier;

244

Au savetier mes soulliers vieulx,

Et au freppier mes habitz tieulx

Que quant du tout je les delesse;

Pour mains qu'ilz ne cousterent neufz

248

Charitablement je leur lesse.

 

XXXII

Item, je laisse aux Mendïans,

Aux Filles Dieu et aux Beguines,

Savoureux morceaulx et fryans,

252

Chappons, flaons, grasses gelines,

Et puis prescher les .XV. signes

Et abatre pain a deux mains.

Carmes chevauchent noz voisines,

256

Mais cela, ce n'est que du mains.

 

XXXIII

Item, laisse le Mortier d'or

A Jehan, l'espicier, de la Garde,

Une potence de sainct Mor,

260

Pour faire ung broyer a moustarde.

Et celluy qui fist l'avantgarde

Pour faire sur moy griefz exploiz:

De par moy, saint Anthoine l'arde!

264

- Je ne luy feray autre laiz.

 

XXXIV

Item, je lesse a Mirebeuf

Et a Nicolas de Louviers,

A chacun l'escaille d'un œuf

268

Plaine de francs et d'escus vieulx.

Quant au concierge de Gouvieulx,

Pierre de Rousseville, ordonne,

Pour le donner entendre mieulx,

272

Escus telz que le Prince donne.

 

XXXV

Finablement, en escripvant,

Ce soir, seulet, estant en bonne,

Dictant ces laiz et descripvant,

276

J'ouys la cloche de Serbonne,

Qui tous jours a neuf heures sonne

Le salut que l'ange predit;

Si suspendis et mis en bonne

280

Pour prier comme le cueur dit.

 

XXXVI

Ce faisant, je m'entroubliay,

Non pas par force de vin boire,

Mon esperit comme lÿé.

284

Lors je sentis dame Memoire

Reprendre et mectre en son aulmoire

Ses especes colaterales,

Oppinative faulse et voire

288

Et autres intellectualles,

 

XXXVII

Et meismement l'estimative,

Par quoy prospective nous vient,

Simulative, formative,

292

Desquelles souvent il advient

Que, par leur trouble, homme devient

Fol et lunatique par moys;

Je l'ay leu, se bien m'en souvient,

296

En Aristote aucunesfois.

 

XXXVIII

Dont le sensitif s'esveilla

Et esvertua Fantasie,

Qui les organes resveilla,

300

Et tint la souveraine partie

En suspens et comme mortie

Par oppressïon d'oubliance,

Qui en moy s'estoit espartie

304

Pour monstrer de Sens la lïance.

 

XXXIX

Puis que mon sens fut a repos

Et l'entendement desmellé,

Je cuiday finer mon propos,

308

Mais mon ancrë estoit gelé

Et mon cierge trouvay soufflé;

De feu je n'eusse peu finer,

Si m'endormis, tout enmouflé,

312

Et ne peuz autrement finer.

 

XL

Fait au temps de la dite datte

Par le bien renommé Villon,

Qui ne mengue figue ne datte,

316

Sec et noir comme escouvillon;

Il n'a tente ne pavillon

Qu'il n'ait lessié a ses amis,

Et n'a mais q'un peu de billon

320

Qui sera tantost a fin mis.

 

Explicit.