Nina de Villard
1843 -1884
Feuillets parisiens
1885
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IIPAGES DÉTACHÉES
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La chatte
Idéale, gourmande, attirante, égoïste,Elle a le meilleur ton de Bade et, de Paris,Brise les objets d'art d'une façon artiste,Ne salit point sa bouche à mordre des souris,Sommeille sans remords aux plis du cachemire,Et, musicale, glisse aux touches du clavier,Sous prétexte qu'elle est très blanche et qu'on l'admire.Pour les baisers reçus don Juan peut l'envier;Son coup de griffe semble une aumône de reine,Tant sa patte neigeuse a de hautains ennuis,Tant sa férocité règne calme et sereine.N'ayant jamais rien fait de bien, ni jours, ni nuits,Sinon de promener ses prunelles dorées,On l'aime: elle est de la race des adorées.
Eduard Manet, Les Chats, 1868
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A Saturine
De la tranquillité monotone des champs,Tu nous vins l'an passé , ma chère inattendus.De notre maître aimé les strophes et les chants,Ont fait vibrer d'amour ta jeune âme éperdue.Valentine aux yeux verts, l'éventail en tes mains,Sera sceptre de grâce ou cravache de reine.Toi qui sais émouvoir les plus fiers des humains,Mais du maître adoré portes gaîment la chaîne,Aventurine étrange, aux fantasques cheveux,Lisant dans tes tarots, ô fille de Bohème,Aux empereurs courbés, tu dirais: je le veux!Mais au seul maître aimé, tu diras: je vous aime!
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Une russe
La petite princesse est un peu fantaisiste;Elle parcourt le globe, ajoutant à sa listeDes chanteurs, des banquiers, des sculpteurs et des lords,Elle est chercheuse et va quittant, sans nuls remords,Le galant trop connu, la toilette trop vue.Dans son esprit fantasque elle passe en revueLes chemins parcourus et les curs captivés;Le soir, lisant le nom des nouveaux arrivésDans le pays où, reine, elle a posé sa tente:«Seront-ils gais,» dit-elle avec une voix lente?Mais ils ne le sont pas, il faut recommencer,Fumer des phereslys très forts et puis valserDans tous les casinos, de Monte-Carle à Vienne,En traînant son mouchoir partout, quoi qu'il advienne.Scherzi de Rubinstein, gavottes du vieux BachL'occupent un moment, après quoi vient le bacEt les enivrements fiévreux de la roulette.Elle dit: «Maximum!» et, de sa main coquette,Où d'une claire opale apparaît la lueur,Elle pousse un rouleau vers le croupier rêveur,Que trouble son accent gentiment moscovite;Elle gagne, elle perd, et, riant, court bien viteA d'autres jeux pervers. Elle rentre au boudoirNid soyeux, clair meublé sur des tapis d'ours noir,Surchauffé, capiteux, plein d'un parfum étrange,Où l'odeur de fourrure aux roses se mélange;Alors sur un divan étirant ses beaux bras,Sa bouche rose baille et murmure tout bas:«Puisque rien ne me plaît, le gommeux ni l'artiste,Doushka, j'essaierai donc d'être un peu nihiliste!
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L'enterrement d'un arbre
L'arbre déraciné, grand cadavre verdi,Sur un chariot lourd est traîné par les rues.Les oiseaux sont partis d'un coup d'aile hardi,Les nids sont renversés, les chansons disparues.Les branchages souillés dans le faubourg malsainTraînent lugubrement leur chevelure verte.Ainsi sous le couteau cruel d'un assassinS'échevèle une femme à la blessure ouverte.
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Berceuse
Comme quand j'étais petite,Je viens me faire bercer.Je dormirai vite.Tu vas m'enlacer.Tu vas m'embrasser.
Le son de la vieille horloge,Par son tictac obsesseur,Dans mon cerveau logeSon rhythme berceur...Oh! quelle douceur!
Je me sens brûler de fièvre,Sur mon front, pour me calmer,Tu poses ta lèvreTu sais bien m'aimer.Tu vas me calmer.
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Impromptu
Vénus aujourd'hui met un bas d'azurEt chez Marcelin conte des histoires;Elle garde au fond, dans le vert si purDe ses grands yeux clairs sous leurs franges noiresLe reflet du flot son pays natal.Quand au Boulevard on la voit qui passeDéesse fuyant de son piédestal,Et venant chez nous promener sa grâce.On lui voudrait bien dresser des autels,Mais elle répond que cela l'ennuieEt qu'elle permet aux pauvres mortelsDe parler argot en sa compagnie.
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Vers a peindre
Elle a posé sur son front pâleUn bandeau blancTout semé de perles – opaleEt diamant.
Sa robe est longue et très galbeuse.On aperçoitDans des flots d'étoffe soyeuseSon pied chinois.
La main blanche, aristocratique,Nerveuse, dompte un instrument,Et des arômes de musiqueRôdent dans l'air languissamment.
Plus bas, on sent vibrer la foule;Et son sourire est infernal,Tandis qu'à ses pieds tombe et rouleUn chaste bouquet lilial.
Hautaine, l'il plein de menace,Sein de lys et cur indompté,Blagueuse, rouée et tenace,Mais pure par férocité.
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Les saisons
Quand mai fait fleurir les bois et les âmesOn s'en va par deux cueillir le muguet;Les blonds amoureux, les rieuses femmesEcoutent chanter le chardonneret.Quand j'avais seize ans, sur la verte mousse,J'allais pour chercher, printanier régal,Le fruit rougissant à la senteur douce,Du fraisier des bois, roi de floréal.
Plus tard, le soleil est plus chaud encore,La rose flamboyé, et plus savoureux,Sous les espaliers le fruit qui se doreRépand des parfums lourds et capiteux.Mes dents de vingt ans, aux blancheurs exquises,Mordaient en riant d'un beau rire clairEt se rougissaient au sang des cerises...Que juillet est gai dans le grand bois vert!
Mais l'Automne vient; la feuille et la mousseOnt des tons dorés, les soleils couchantsGardent des splendeurs... C'est la saison rousseLe raisin mûrit pour les vins grisants.Car c'est le moment des longues agapes.Pour revivre encore, il faut s'étourdir,Et, languissamment, je mords dans les grappes.Le bonheur n'est plus. Cherchons le plaisir.
L'hiver est venu, plus d'oiseau qui chante,Plus de nids joyeux, de jeunes amours.On entend siffler la bise méchante.Le ciel est ouaté de nuages lourds.Auprès du ruisseau tout glacé qu'iriseLe dernier rayon d'un pâle soleil,Je ne trouve plus que la nèfle griseFruit meurtri, fruit mort à mon cur pareil.
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Partie de campagne
Par un jour de charme automnal,Alors qu'on nous croyait brouillésNous avons fui, loin du banal,Pour courir les sentiers mouillés.
Loin du monde, méchant malade,Les oiseaux, les arbres, les bêtes,Joyeux de notre promenade,S'unissaient pour nous faire fêtes.
Passant sous la branche de houx,Je l'ai follement embrassé:Un petit âne à l'air très douxPassait; nous l'avons caressé.
Des bons chiens, joyeux et fidèles,Jappaient, nous faisaient mille joies,Nous n'avons trouvé de rebellesQue dans les rangs d'un troupeau d'oies.
Le couchant était tout doré,Pavillon d'or sur un fond noir;Je dis: «Ne croirait-on pas voirLe nuage de Danaé?»
A l'instant tombèrent en pluies,Sous le coup d'aile de l'orage,Les dernières feuilles jaunies,Pièces d'or trouant le nuage.
Pour nous seuls luisait ce trésor,Tous les deux nous étions ravis,Car certe, un semblable décorAurait fait courir tout Paris.
Et puis après, dans une auberge,Nous avons bu la glauque absintheCeci se passsait sur la bergeD'Argenteuil, que Manet a peinte.
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Madrigal
Fière comme Junon, comme Froufou vêtue,Vous me représentez, madame, une statue,Qui, prise parle spleen en l'olympe natal,Pour s'habiller chez Worth a fui son piédestal. |