Jules Laforgue
1860 - 1887
Le Concile Féerique
1886
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LECONCILE FÉERIQUE
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Dramatis personae:
(Nuit d'étoiles)
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La Dame.
Oh! quelle nuit d'étoiles! quelles saturnales!Oh! mais des galas inconnusDans les annalesSidérales! |
[4] | Le Choeur.
Bref, un ciel absolument nu.Le Monsieur.
Ô Loi du rythme sans appel,Le moindre astre te certifie,Par son humble chorégraphie!Mais, nul Spectateur éternel.....Ah! la terre humanitaireN'en est pas moins terre-à-terre!Au contraire.Le Choeur.
La terre, elle est rondeComme un pot-au-feu;C'est un bien pauv' mondeDans l'infini bleu.Le Monsieur.
Cinq sens seulement, cinq ressorts pour nos essors, |
[5] | Ah! ce n'est pas un sort!Quand donc nos coeur s'en iront-ils en huit-ressorts?Oh, le jour! quelle turne...J'en suis tout taciturne.La Dame.
Oh! ces nuits sur les toits!Je finirai bien par y prendre froid....Le Monsieur.
Tiens, la Terre,Va te faireTrès lan laire.Le Choeur.
Hé! pas choisiD'y naître, et hommes;Mais nous y sommes,Tenons-nous-y! |
[6] | Écoutez mes enfants! – «Ah! mourir! mais me tordre,Dans l'orbe d'un exécutant de premier ordre!»Rêve la Terre, sous la vessie de saindouxDe la lune laissant fuir un air par trop douxVers les zéniths de brasiers de la voie lactée(Autrement beaux, ce soir, que des lois constatées!)Juillet a dégainé! Touristes des beaux yeux,Quels jubés de bonheur échafaudent ces cieux,Semis de pollens d'étoiles, manne divine,Qu'éparpille le Bon Pasteur à ses gallines...Le Monsieur.
Et puis le vent s'est tant surmené l'autre nuit...La Dame.
Et demain est si loin.....Le Monsieur.
Et ça souffre aujourd'hui.Ah! pourrir! |
[7] | Le Choeur.
Et la lune même (cette amie)Salive et larmoie en purulente ophtalmie.Et voici que des bleus sous-bois ont miauléLes mille nymphes; et (qu'est-ce que vous voulez)Aussitôt mille touristes des yeux las rôdent,Tremblants mais le coeur harnaché d'âpres méthodes!Et l'on va. Et les uns connaissent des sentiers,Qu'embaument de trois mois des fleurs d'abricotiers;Et les autres, des parcs où la petite flûteDe l'oiseau bleu promet de si frêles rechutes;L'Écho.
Oh! ces lunaires oiseaux bleus dont la chansonLunaire saura bien vous donner le frisson....Le Choeur.
Et d'autres, les terrasses pâles où le tristeCor des paons réveillés fait que plus rien n'existe!Et d'autres, les joncs des mares où le sanglot |
[8] | Des rainettes vous tire maint sens mal éclos;Et d'autres, les prés brûlés où l'on rampe; et d'autresLa Boue! où, semble-t-il, tout, avec nous se vautre!Les capitales échauffantes, même au fraisDes grands hôtels tendus de pâles cuirs gaufrés,Faussent; ah! mais ailleurs, aux grandes routes,Au coin d'un bois mal famé,L'Écho.
Rien n'est aux écoutes...Le Choeur.
Et celles dont le coeur gante six et demi,L'Écho.
Et celles dont l'âme est gris perle,Le Choeur.
En bons amis, |
[9] | Et d'un port panaché d'édénique opulence,Vous brûlent leurs vaisseaux mondains vers des Enfances!...Le Monsieur.
Oh! t'enchanter un peu la muqueuse du coeur!La Dame.
Ah! vas-y; je n'ai plus rien à perdre à cet' heur';La Terre est en plein air, et ma vie est gâchée;Ne songe qu'à la Nuit, je ne suis point fâchée.L'Écho.
Et la Vie et la Nuit font patte de velours.Le Choeur.
Se dépècent d'abord de grands quartiers d'amour;Et lors, les chars de foin plein de bluets dévalentPar les vallons des moissons équinoxiales...O lointains balafrés de bleuâtres éclairs |
[10] | De chaleur! puis ils regrimperont, tous leurs nerfsTressés, vers l'hostie de la lune syrupeuse...L'Écho.
Hélas! tout ça, c'est des histoires de muqueuses.Le Choeur.
Détraqué, dites-vous? Ah! par rapport à quoi?L'Écho.
D'accord; mais le spleen vient, qui dit que l'on déchoitHors des fidélités noblement circonscrites. |
[11] | Le Choeur.
Mais le divin, chez nous, confond si bien les rites!L'Écho.
Soit, mais mon spleen dit vrai. O langes des pudeursC'est bien dans vos blancs plis tels quels qu'est le bonheur!Le Choeur.
Mais, au nom de Tout! on ne peut pas! la NatureNous rue à dénouer, dès janvier, leurs ceintures!L'Écho.
Bon; si le spleen t'en dit, saccage universel!Le Choeur.
Vos êtres ont un sexe, et sont trop usuels,Saccagez!L'Écho.
Ah! saignons, tandis qu'elles déballentLeurs serres de beauté, pétale par pétale!...Le Choeur.
Les vignes de vos nerfs bourdonnent d'alcools noirs,Enfants! ensanglantez la terre, ce pressoirSans planteur de justice! |
[12] | Le Monsieur et la Dame.
Ah! tu m'aimes, je t'aime!Que la mort ne nous ait qu'ivres-morts de nous-mêmes!Silence; nuit d'étoiles. – L'aube.Le Monsieur, déclamant.
La femme, mûre ou jeune fille,J'en ai frôlé toutes les sortes,Des faciles, des difficiles,C'est leur mot d'ordre que j'apporte!Des fleurs de chair, bien ou mal mises,Des airs fiers ou seuls, selon l'heure;Nul cri sur elles n'a de prise;Nous les aimons, Elle demeure.Rien ne les tient, rien ne les fâche;Elles veulent qu'on les trouve belles,Qu'on le leur râle et leur rabâche,Et qu'on les use comme telles.Sans souci de serments, de bagues,Suçons le peu qu'elles nous donnent; |
[13] | Notre respect peut être vague;Les yeux sont hauts et monotones.Cueillons sans espoirs et sans drames;La chair vieillit après les roses;Ah! parcourons le plus de gammes!Vrai, il n'y a pas autre chose.La Dame, déclamant à son tour.
Si mon air vous dit quelque chose,Vous auriez tort de vous gêner;Je ne la fais pas à la pose,Je suis la Femme, on me connaît.Bandeaux plats ou crinière folle?Dites? quel front vous rendrait fous?J'ai l'art de toutes les écoles,J'ai des âmes pour tous les goûts.Cueillez la fleur de mes visages,Sucez ma bouche et non ma voix,Et n'en cherchez pas davantage,Nul n'y vit clair, pas même moi.Nos armes ne sont pas égales,Pour que je vous tende la main : |
[14] | Vous n'êtes que de braves mâles,Je suis l'Éternel Féminin!...Mon but se perd dans les étoiles!....C'est moi qui suis la grande Isis!....Nul ne m'a retroussé mon voile!....Ne songez qu'à mes oasis.Si mon air vous dit quelque chose,Vous auriez tort de vous gêner;Je ne la fais pas à la pose;Je suis la Femme! on me connaît.Le Choeur.
Touchant accord!Joli motifDécoratif,Avant la mort!Lui, nerveux,Qui se pencheVers sa compagne aux larges hanches,Aux longs caressables cheveux.Car, l'on a beau baver les plus fières salives,Leurs yeux sont tout! Ils rêvent d'aumônes furtives! |
[15] | Ô chairs d'humains, ciboire de bonheur! on peutBlaguer, la paire est là, comme un et un font deux.– Mais, ces yeux, plus on va, se fardent de mystère!– Eh bien, travaillez à les ramener sur terre!– Ah! la chasteté n'est en fleur qu'en souvenir!– Mais ceux qui l'on cueillie en renaissent martyrs!Martyres mutuels! de frère à soeur sans père!Comment ne voit-on pas que c'est là notre Terre?Et qu'il n'y a que çà! que le reste est impôtsDont vous n'avez pas même à chercher l'à-propos!Il faut répéter ces choses! Il faut qu'on tetteCes choses! Jusqu'à ce que la Terre se mette,Voyant enfin que tout vivote sans témoin,À vivre aussi pour elle, et dans son petit coin!La Dame.
La pauvre Terre elle est si bonne!...Le Monsieur.
Oh! désormais, je m'y cramponne. |
[16] | La Dame.
De tous nos bonheurs d'autochtonés!Le Monsieur.
Tu te pâmes, moi je m'y vautre!Le Choeur.
Consolez-vous les uns les autres. |