Victor Hugo
1802 - 1885
Les châtiments
1853
Texte:uvres complètes de Victor Hugo.Édition définitive d'après les manuscrits originaux.Paris: J. Hetzel et Cie, 1880-92Facsimile Les ChâtimentsVersion digitale: Marc Szwajcer
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Dessin d’Honoré Daumier
Table des matières
Préface de 1853 Au moment de rentrer en France. – 31 août 1870
Les châtiments
Nox
Livre I La société est sauvée Livre II L'ordre est rétabli. Livre III La famille est restaurée Livre IV La religion est glorifiée Livre V L'autorité est sacrée I. Le sacre (sur l'air de Malbrouk) II. Chanson III. Le manteau impérial IV. Tout s'en va V. Ô drapeau de Wagram ! ô pays de Voltaire ! VI. On est Tibère, on est Judas, on est Dracon VII. Les grands corps de l'état VIII. Le Progrès, calme et fort, et toujours innocent IX. Le chant de ceux qui s'en vont sur mer X. À un qui veut se détacher XI. Pauline Roland XII. Le plus haut attentat que puisse faire un homme Livre VI La stabilité est assurée Livre VII Les sauveurs se sauveront
Lux La Fin
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L'expiation
I
Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.Pour la première fois l'aigle baissait la tête.Sombres jours! l'empereur revenait lentement,Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.Il neigeait. L'âpre hiver fondait en avalanche.Après la plaine blanche une autre plaine blanche.On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau.Hier la grande armée, et maintenant troupeau.On ne distinguait plus les ailes ni le centre.Il neigeait. Les blessés s'abritaient dans le ventreDes chevaux morts; au seuil des bivouacs désolésOn voyait des clairons à leur poste gelés,Restés debout, en selle et muets, blancs de givre,Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre.Boulets, mitraille, obus, mêlés aux flocons blancs,Pleuvaient; les grenadiers, surpris d'être tremblants,Marchaient pensifs, la glace à leur moustache grise.Il neigeait, il neigeait toujours! La froide biseSifflait; sur le verglas, dans des lieux inconnus,On n'avait pas de pain et l'on allait pieds nus.Ce n'étaient plus des curs vivants, des gens de guerre:C'était un rêve errant dans la brume, un mystère,Une procession d'ombres sous le ciel noir.La solitude vaste, épouvantable à voir,Partout apparaissait, muette vengeresse.Le ciel faisait sans bruit avec la neige épaissePour cette immense armée un immense linceul.Et chacun se sentant mourir, on était seul.– Sortira-t-on jamais de ce funeste empire?Deux ennemis! le czar, le nord. Le nord est pire.On jetait les canons pour brûler les affûts.Qui se couchait, mourait. Groupe morne et confus,Ils fuyaient; le désert dévorait le cortège.On pouvait, à des plis qui soulevaient la neige,Voir que des régiments s'étaient endormis là.Ô chutes d'Annibal! lendemains d'Attila!Fuyards, blessés, mourants, caissons, brancards, civières,On s'écrasait aux ponts pour passer les rivières,On s'endormait dix mille, on se réveillait cent.Ney, que suivait naguère une armée, à présentS'évadait, disputant sa montre à trois cosaques.Toutes les nuits, qui vive! alerte, assauts! attaques!Ces fantômes prenaient leur fusil, et sur euxIls voyaient se ruer, effrayants, ténébreux,Avec des cris pareils aux voix des vautours chauves,D'horribles escadrons, tourbillons d'hommes fauves.Toute une armée ainsi dans la nuit se perdait.L'empereur était là, debout, qui regardait.Il était comme un arbre en proie à la cognée.Sur ce géant, grandeur jusqu'alors épargnée,Le malheur, bûcheron sinistre, était monté;Et lui, chêne vivant, par la hache insulté,Tressaillant sous le spectre aux lugubres revanches,Il regardait tomber autour de lui ses branches.Chefs, soldats, tous mouraient. Chacun avait son tour.Tandis qu'environnant sa tente avec amour,Voyant son ombre aller et venir sur la toile,Ceux qui restaient, croyant toujours à son étoile,Accusaient le destin de lèse-majesté,Lui se sentit soudain dans l'âme épouvanté.Stupéfait du désastre et ne sachant que croire,L'empereur se tourna vers Dieu; l'homme de gloireTrembla; Napoléon comprit qu'il expiaitQuelque chose peut-être, et, livide, inquiet,Devant ses légions sur la neige semées:«Est-ce le châtiment, dit-il. Dieu des armées?»Alors il s'entendit appeler par son nomEt quelqu'un qui parlait dans l'ombre lui dit: Non.
II
Waterloo! Waterloo! Waterloo! morne plaine!Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,La pâle mort mêlait les sombres bataillons.D'un côté c'est l'Europe et de l'autre la France.Choc sanglant! des héros Dieu trompait l'espérance;Tu désertais, victoire, et le sort était las.O Waterloo! je pleure et je m'arrête, hélas!Car ces derniers soldats de la dernière guerreFurent grands; ils avaient vaincu toute la terre,Chassé vingt rois, passé les Alpes et le Rhin,Et leur âme chantait dans les clairons d'airain!
Le soir tombait; la lutte était ardente et noire.Il avait l'offensive et presque la victoire;Il tenait Wellington acculé sur un bois.Sa lunette à la main, il observait parfoisLe centre du combat, point obscur où tressailleLa mêlée, effroyable et vivante broussaille,Et parfois l'horizon, sombre comme la mer.Soudain, joyeux, il dit: Grouchy! – C'était Blücher.L'espoir changea de camp, le combat changea d'âme,La mêlée en hurlant grandit comme une flamme.La batterie anglaise écrasa nos carrés.La plaine, où frissonnaient les drapeaux déchirés,Ne fut plus, dans les cris des mourants qu'on égorge,Qu'un gouffre flamboyant, rouge comme une forge;Gouffre où les régiments comme des pans de mursTombaient, où se couchaient comme des épis mûrsLes hauts tambours-majors aux panaches énormes,Où l'on entrevoyait des blessures difformes!Carnage affreux! moment fatal! L'homme inquietSentit que la bataille entre ses mains pliait.Derrière un mamelon la garde était massée.La garde, espoir suprême et suprême pensée!«Allons! faites donner la garde!» cria-t-il.Et, lanciers, grenadiers aux guêtres de coutil,Dragons que Rome eût pris pour des légionnaires,Cuirassiers, canonniers qui traînaient des tonnerres,Portant le noir colback ou le casque poli,Tous, ceux de Friedland et ceux de Rivoli,Comprenant qu'ils allaient mourir dans cette fête,Saluèrent leur dieu, debout dans la tempête.Leur bouche, d'un seul cri, dit: vive l'empereur!Puis, à pas lents, musique en tête, sans fureur,Tranquille, souriant à la mitraille anglaise,La garde impériale entra dans la fournaise.Hélas! Napoléon, sur sa garde penché,Regardait, et, sitôt qu'ils avaient débouchéSous les sombres canons crachant des jets de soufre,Voyait, l'un après l'autre, en cet horrible gouffre,Fondre ces régiments de granit et d'acierComme fond une cire au souffle d'un brasier.Ils allaient, l'arme au bras, front haut, graves, stoïques.Pas un ne recula. Dormez, morts héroïques!Le reste de l'armée hésitait sur leurs corpsEt regardait mourir la garde. - C'est alorsQu'élevant tout à coup sa voix désespérée,La Déroute, géante à la face effaréeQui, pâle, épouvantant les plus fiers bataillons,Changeant subitement les drapeaux en haillons,A de certains moments, spectre fait de fumées,Se lève grandissante au milieu des armées,La Déroute apparut au soldat qui s'émeut,Et, se tordant les bras, cria: Sauve qui peut!Sauve qui peut! – affront! horreur! – toutes les bouchesCriaient; à travers champs, fous, éperdus, farouches,Comme si quelque souffle avait passé sur eux.Parmi les lourds caissons et les fourgons poudreux,Roulant dans les fossés, se cachant dans les seigles,Jetant shakos, manteaux, fusils, jetant les aigles,Sous les sabres prussiens, ces vétérans, ô deuil!Tremblaient, hurlaient, pleuraient, couraient! – En un clin d'il,Comme s'envole au vent une paille enflammée,S'évanouit ce bruit qui fut la grande armée,Et cette plaine, hélas, où l'on rêve aujourd'hui,Vit fuir ceux devant qui l'univers avait fui!Quarante ans sont passés, et ce coin de la terre,Waterloo, ce plateau funèbre et solitaire,Ce champ sinistre où Dieu mêla tant de néants,Tremble encor d'avoir vu la fuite des géants!
Napoléon les vit s'écouler comme un fleuve;Hommes, chevaux, tambours, drapeaux; – et dans l'épreuveSentant confusément revenir son remords,Levant les mains au ciel, il dit: «Mes soldats morts,Moi vaincu! mon empire est brisé comme verre.Est-ce le châtiment cette fois, Dieu sévère?»Alors parmi les cris, les rumeurs, le canon,Il entendit la voix qui lui répondait: Non!
III
Il croula. Dieu changea la chaîne de l'Europe.
Il est, au fond des mers que la brume enveloppe,Un roc hideux, débris des antiques volcans.Le Destin prit des clous, un marteau, des carcans,Saisit, pâle et vivant, ce voleur du tonnerre,Et, joyeux, s'en alla sur le pic centenaireLe clouer, excitant par son rire moqueurLe vautour Angleterre à lui ronger le coeur.
Évanouissement d'une splendeur immense!Du soleil qui se lève à la nuit qui commence,Toujours l'isolement, l'abandon, la prison;Un soldat rouge au seuil, la mer à l'horizon.Des rochers nus, des bois affreux, l'ennui, l'espace,Des voiles s'enfuyant comme l'espoir qui passe,Toujours le bruit des flots, toujours le bruit des vents!Adieu, tente de pourpre aux panaches mouvants,Adieu, le cheval blanc que César éperonne!Plus de tambours battant aux champs, plus de couronne,Plus de rois prosternés dans l'ombre avec terreur,Plus de manteau traînant sur eux, plus d'empereur!Napoléon était retombé Bonaparte.Comme un romain blessé par la flèche du parthe,Saignant, morne, il songeait à Moscou qui brûla.Un caporal anglais lui disait: halte-là!Son fils aux mains des rois, sa femme au bras d'un autre!Plus vil que le pourceau qui dans l'égout se vautre,Son sénat, qui l'avait adoré, l'insultait.Au bord des mers, à l'heure où la bise se tait,Sur les escarpements croulant en noirs décombres,Il marchait, seul, rêveur, captif des vagues sombres.Sur les monts, sur les flots, sur les cieux, triste et fier,L'oeil encore ébloui des batailles d'hier,Il laissait sa pensée errer à l'aventure.Grandeur, gloire, ô néant! calme de la nature!Les aigles qui passaient ne le connaissaient pas.Les rois, ses guichetiers, avaient pris un compasEt l'avaient enfermé dans un cercle inflexible.Il expirait. La mort de plus en plus visibleSe levait dans sa nuit et croissait à ses yeux,Comme le froid matin d'un jour mystérieux.Son âme palpitait, déjà presque échappée.Un jour enfin il mit sur son lit son épée,Et se coucha près d'elle, et dit: c'est aujourd'hui!On jeta le manteau de Marengo sur lui.Ses batailles du Nil, du Danube, du Tibre,Se penchaient sur son front; il dit: Me voici libre!Je suis vainqueur! je vois mes aigles accourir! –Et, comme il retournait sa tête pour mourir,Il aperçut, un pied dans la maison déserte,Hudson Lowe guettant par la porte entr'ouverte.Alors, géant broyé sous le talon des rois,Il cria: La mesure est comble cette fois!Seigneur! c'est maintenant fini! Dieu que j'implore,Vous m'avez châtié! – La voix dit: – Pas encore!
IV
Ô noirs événements, vous fuyez dans la nuit!L'empereur mort tomba sur l'empire détruit.Napoléon alla s'endormir sous le saule.Et les peuples alors, de l'un à l'autre pôle,Oubliant le tyran, s'éprirent du héros.Les poètes, marquant au front les rois bourreaux,Consolèrent, pensifs, cette gloire abattue.À la colonne veuve on rendit sa statue.Quand on levait les yeux, on le voyait deboutAu-dessus de Paris, serein, dominant tout,Seul, le jour dans l'azur et la nuit dans les astres.Panthéons, on grava son nom sur vos pilastres!On ne regarda plus qu'un seul côté des temps,On ne se souvint plus que des jours éclatantsCet homme étrange avait comme enivré l'histoireLa justice à l'il froid disparut sous sa gloire;On ne vit plus qu'Eylau, Ulm, Arcole, Austerlitz;Comme dans les tombeaux des romains abolis,On se mit à fouiller dans ces grandes annéesEt vous applaudissiez, nations inclinées,Chaque fois qu'on tirait de ce sol souverainOu le consul de marbre ou l'empereur d'airain!
V
Le nom grandit quand l'homme tombe;Jamais rien de tel n'avait lui.Calme, il écoutait dans sa tombeLa terre qui parlait de lui.
La terre disait: «La victoireA suivi cet homme en tous lieux.Jamais tu n'as vu, sombre histoire,Un passant plus prodigieux!
» Gloire au maître qui dort sous l'herbe!Gloire à ce grand audacieux!Nous l'avons vu gravir, superbe,Les premiers échelons des cieux!
» Il envoyait, âme acharnée,Prenant Moscou, prenant Madrid,Lutter contre la destinéeTous les rêves de son esprit.
» À chaque instant, rentrant en lice,Cet homme aux gigantesques pasProposait quelque grand capriceÀ Dieu, qui n'y consentait pas.
» Il n'était presque plus un homme.Il disait, grave et rayonnant,En regardant fixement RomeC'est moi qui règne maintenant!
» Il voulait, héros et symbole,Pontife et roi, phare et volcan,Faire du Louvre un CapitoleEt de Saint-Cloud un Vatican.
» César, il eût dit à Pompée: Sois fier d'être mon lieutenant!On voyait luire son épéeAu fond d'un nuage tonnant.
» Il voulait, dans les frénésiesDe ses vastes ambitions,Faire devant ses fantaisiesAgenouiller les nations,
» Ainsi qu'en une urne profonde,Mêler races, langues, esprits,Répandre Paris sur le monde,Enfermer le monde en Paris!
» Comme Cyrus dans Babylone,Il voulait sous sa large mainNe faire du monde qu'un trôneEt qu'un peuple du genre humain,
» Et bâtir, malgré les huées,Un tel empire sous son nom,Que Jéhovah dans les nuéesFût jaloux de Napoléon!»
VI
Enfin, mort triomphant, il vit sa délivrance,Et l'océan rendit son cercueil à la France.L'homme, depuis douze ans, sous le dôme doréReposait, par l'exil et par la mort sacré.En paix! – Quand on passait près du monument sombre,On se le figurait, couronne au front, dans l'ombre,Dans son manteau semé d'abeilles d'or, muet,Couché sous cette voûte où rien ne remuait,Lui, l'homme qui trouvait la terre trop étroite,Le sceptre en sa main gauche et l'épée en sa droite,À ses pieds son grand aigle ouvrant l'il à demi,Et l'on disait: C'est là qu'est César endormi!Laissant dans la clarté marcher l'immense ville,Il dormait; il dormait confiant et tranquille.
VII
Une nuit, – c'est toujours la nuit dans le tombeau, –Il s'éveilla. Luisant comme un hideux flambeau,D'étranges visions emplissaient sa paupière;Des rires éclataient sous son plafond de pierre;Livide, il se dressa; la vision grandit;Ô terreur! une voix qu'il reconnut, lui dit:
– Réveille-toi. Moscou, Waterloo, Sainte-Hélène,L'exil, les rois geôliers, l'Angleterre hautaineSur ton lit accoudée à ton dernier moment,Sire, cela n'est rien. Voici le châtiment:
La voix alors devint âpre, amère, stridente,Comme le noir sarcasme et l'ironie ardente;C'était le rire amer mordant un demi-dieu.
– Sire! on t'a retiré de ton Panthéon bleu!Sire! on t'a descendu de ta haute colonne!Regarde. Des brigands, dont l'essaim tourbillonne,D'affreux bohémiens, des vainqueurs de charnierTe tiennent dans leurs mains et t'ont fait prisonnier.À ton orteil d'airain leur patte infâme touche.Ils t'ont pris. Tu mourus, comme un astre se couche,Napoléon le Grand, empereur; tu renaisBonaparte, écuyer du cirque Beauharnais.Te voilà dans leurs rangs, on t'a, l'on te harnache.Ils t'appellent tout haut grand homme, entre eux, ganache.Ils traînent, sur Paris qui les voit s'étaler,Des sabres qu'au besoin ils sauraient avaler.Aux passants attroupés devant leur habitacle,Ils disent, entends-les: – Empire à grand spectacle!Le pape est engagé dans la troupe; c'est bien,Nous avons mieux; le czar en est mais ce n'est rien,Le czar n'est qu'un sergent, le pape n'est qu'un bonzeNous avons avec nous le bonhomme de bronze!Nous sommes les neveux du grand Napoléon! –Et Fould, Magnan, Rouher, Parieu caméléon,Font rage. Ils vont montrant un sénat d'automates.Ils ont pris de la paille au fond des casematesPour empailler ton aigle, ô vainqueur d'Iéna!Il est là, mort, gisant, lui qui si haut plana,Et du champ de bataille il tombe au champ de foire.Sire, de ton vieux trône ils recousent la moire.Ayant dévalisé la France au coin d'un bois,Ils ont à leurs haillons du sang, comme tu vois,Et dans son bénitier Sibour lave leur linge.Toi, lion, tu les suis; leur maître, c'est le singe.Ton nom leur sert de lit, Napoléon premier.On voit sur Austerlitz un peu de leur fumier.Ta gloire est un gros vin dont leur honte se grise.Cartouche essaie et met ta redingote griseOn quête des liards dans le petit chapeauPour tapis sur la table ils ont mis ton drapeau.À cette table immonde où le grec devient riche,Avec le paysan on boit, on joue, on triche;Tu te mêles, compère, à ce tripot hardi,Et ta main qui tenait l'étendard de Lodi,Cette main qui portait la foudre, ô Bonaparte,Aide à piper les dés et fait sauter la carte.Ils te forcent à boire avec eux, et CarlierPousse amicalement d'un coude familierVotre majesté, sire, et Piétri dans son antreVous tutoie, et Maupas vous tape sur le ventre.Faussaires, meurtriers, escrocs, forbans, voleurs,Ils savent qu'ils auront, comme toi, des malheursLeur soif en attendant vide la coupe pleineÀ ta santé; Poissy trinque avec Sainte-Hélène.Regarde! bals, sabbats, fêtes matin et soir.La foule au bruit qu'ils font se culbute pour voir;Debout sur le tréteau qu'assiège une cohueQui rit, bâille, applaudit, tempête, siffle, hue,Entouré de pasquins agitant leur grelot,– Commencer par Homère et finir par Callot!Épopée! épopée! oh! quel dernier chapitre! –Entre Troplong paillasse et Chaix-d'Est-Ange pitre,Devant cette baraque, abject et vil bazarOù Mandrin mal lavé se déguise en César,Riant, l'affreux bandit, dans sa moustache épaisse,Toi, spectre impérial, tu bats la grosse caisse! –
L'horrible vision s'éteignit. L'empereur,Désespéré, poussa dans l'ombre un cri d'horreur,Baissant les yeux, dressant ses mains épouvantées.Les Victoires de marbre à la porte sculptées,Fantômes blancs debout hors du sépulcre obscur,Se faisaient du doigt signe, et, s'appuyant au mur,Écoutaient le titan pleurer dans les ténèbres.Et lui, cria: «Démon aux visions funèbres,Toi qui me suis partout, que jamais je ne vois,Qui donc es-tu? – Je suis ton crime», dit la voix.La tombe alors s'emplit d'une lumière étrangeSemblable à la clarté de Dieu quand il se vengePareils aux mots que vit resplendir Balthazar,Deux mots dans l'ombre écrits flamboyaient sur César;Bonaparte, tremblant comme un enfant sans mère,Leva sa face pâle et lut: – Dix huit Brumaire!
25-30 novembre. Jersey. |