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- P o é s i e s
i n é d i t e s
1860
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- D A N S L A R U E
par un jour funèbre de Lyon
L a F e m m e .
Nous n'avons plus d'argent pour enterrer nos morts.
Le prêtre est là, marquant le prix des funérailles;
Et les corps étendus, troués par les mitrailles,
Attendent un linceul, une croix, un remords.
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- Le meurtre se fait roi. Le vainqueur siffle et passe.
Où va-t-il? Au trésor, toucher le prix du sang.
Il en a bien versé! Mais sa main n'est pas lasse:
Elle a, sans le combattre, égorgé le passant.
Dieu l'a vu. Dieu cueillait comme des fleurs froissées
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- Les femmes, les enfants, qui s'envolaient aux cieux.
Les hommes... les voilà dans le sang jusqu'aux yeux.
L'air n'a pu balayer tant d'âmes courroucées.
Elles ne veulent pas quitter leurs membres morts.
Le prêtre est là, marquant le prix des funérailles;
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- Et les corps étendus, troués par les mitrailles,
Attendent un linceul, une croix, un remords.
Les vivants n'osent plus se hasarder à vivre.
Sentinelle soldée, au milieu du chemin,
La mort est un soldat qui vise et qui délivre
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- Le témoin révolté qui parlerait demain...
D e s F e m m e s .
Prenons nos rubans noirs, pleurons toutes nos larmes;
On nous a défendu d'emporter nos meurtris:
Ils n'ont fait qu'un monceau de leurs pâles débris:
Dieu! Bénissez-les tous, ils étaient tous sans armes!
Lyon, 4 avril 1834.
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- L E S S E P A R E S
- N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.
Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.
J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre,
Et frapper à mon coeur, c'est frapper au tombeau.
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- N'écris pas!
N'écris pas. N'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes.
Ne demande qu'à Dieu... qu'à toi, si je t'aimais!
Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
C'est entendre le ciel sans y monter jamais.
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- N'écris pas!
N'écris pas. Je te crains; j'ai peur de ma mémoire;
Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.
Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
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- N'écris pas!
N'écris pas ces doux mots que je n'ose plus lire:
Il semble que ta voix les répand sur mon coeur;
Que je les vois brûler à travers ton sourire;
Il semble qu'un baiser les empreint sur mon coeur.
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- N'écris pas!
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- Tu n'auras pas semé ta couronne étoilée
- Tu n'auras pas semé ta couronne étoilée
Sur le miroir tari du ruisseau de tes jours.
Toute pleine de jours, toi, tu t'en es allée
Et ton frais souvenir en scintille toujours.
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- Vous voir sans vous aimer ne fut jamais possible.
- Vous voir sans vous aimer ne fut jamais possible.
Je vous vois, je vous aime, et vous quittez ce lieu!
C'est mon sort: ce qui charme et ce qui rend sensible,
Comme vous, Duchesnois, m'a toujours dit adieu.
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