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B  I  B  L  I  O  T  H  E  C  A    A  U  G  U  S  T  A  N  A

 

 

 

 
Marceline Desbordes-Valmore
1786 - 1859
 


 






 




B o u q u e t s
e t   P r i è r e s

1843

______________________

 

448
M A
C H A M B R E



Ma demeure est haute,
Donnant sur les cieux;
La lune en est l'hôte,
Pâle et sérieux:
5
En bas que l'on sonne,
Qu'importe aujourd'hui
Ce n'est plus personne,
Quand ce n'est plus lui!

Aux autres cachée,
10
Je brode mes fleurs;
Sans être fâchée,
Mon âme est en pleurs;
Le ciel bleu sans voiles ,
Je le vois d'ici;
15
Je vois les étoiles
Mais l'orage aussi!

Vis-à-vis la mienne
Une chaise attend:
Elle fut la sienne,
20
La nôtre un instant;
D'un ruban signée,
Cette chaise est là,
Toute résignée,
Comme me voilà!
 


459
D O R S !

Dieu donne l'intelligence aux petits.


L'orage de tes jours a passé sur ma vie;
J'ai plié sous ton sort, j'ai pleuré de tes pleurs;
Où ton âme a monté mon âme l'a suivie;
Pour aider tes chagrins, j'en ai fait mes douleurs.

5
Mais, que peut l'amitié? l'amour prend toute une âme!
Je n'ai rien obtenu; rien changé; rien guéri:
L'onde ne verdit plus ce qu'a séché la flamme,
Et le coeur poignardé reste froid et meurtri.

Moi, je ne suis pas morte: allons! moi, j'aime encore;
10
J'écarte devant toi les ombres du chemin:
Comme un pâle reflet descendu de l'aurore,
Moi, j'éclaire tes yeux; moi, j'échauffe ta main.

Le malade assoupi ne sent pas de la brise
L'haleine ravivante étancher ses sueurs;
15
Mais un songe a fléchi la fièvre qui le brise;
Dors! ma vie est le songe où Dieu met ses lueurs.

Comme un ange accablé qui n'étend plus ses ailes,
Enferme ses rayons dans sa blanche beauté,
Cache ton auréole aux vives étincelles:
20
Moi je suis l'humble lampe émue à ton côté.
 


467
S U R   L ' I N O N D A T I O N
D E   L Y O N   E N   1840



C'est toujours la pitié qui rassemble les femmes;
C'est toujours le malheur qui réveille leurs âmes;
Quand les petits enfants bénis dansent entre eux,
Elles tendent l'oreille aux récits douloureux,
5
Et les mains sur leur coeur plein de saintes alarmes,
Inventent des secours aux plus lointaines larmes.
Elles n'ont jamais dit: «Qu'importe? c'est là-bas!»
Voilà pourquoi la mort ne les éteindra pas;
Voilà pourquoi Dieu veut que des anges fidéles,
10
Pour les lui ramener les prennent dans leurs ailes.
Femmes! je vous salue au nom des malheureux:
Le ciel fécondera vos prières pour eux.

Les témoins consternés d'un tableau vaste et sombre
Oseront sous vos yeux en faire passer l'ombre:
15
C'est un coin du déluge, un fléau dans son cours;
C'est un peuple qui meurt, et qui crie: Au secours!

Un reste de soleil animait la nature,
Et de Lyon la triste égayait la toiture.
Les vieillards prédisaient pourtant de sombres jours;
20
Car les Alpes fondaient, et l'eau montait toujours.
Et toujours, quand la Vierge au pâle et doux visage
Eclaire sa chapelle au-dessus du nuage, *)
Livres encor vivants de la foi des chrétiens,
Les vieillards ont entre eux de graves entretiens.

25
Ils savent qu'à Fourvière, au milieu des ténèbres,
Leur Madone a pleuré dans des clartés funèbres;
Que la Saône a bondi d'un sanglot convulsif;
Et le peuple qui croit en est resté pensif.

Cette pulsation des eaux et de la terre,
30
Ces divines lueurs au clocher solitaire,
Sur l'église allumée entre l'onde et les cieux,
Attirent, à minuit, les âmes et les yeux.
De pauvres artisans retardés dans la rue
Ont vu causer le Rhône avec la Saône accrue,
35
Comme au temps où le ciel fit pleuvoir à la fois,
En sept jours, autant d'eau qu'il en pleut en sept mois;
Puis, sous le flot tari, menaçante, plaintive,
Du Rhône échevelé prophétesse captive,
Un jour, que le soleil a séché sa prison,
40
Une pierre qui parle étonne la raison:
C'est la voix du Destin séculaire enfermée,
Dans son urne de sable, aride, inanimée;
Elle a crié: «Malheur à qui me trouvera!
Qui m'a vue a pleuré, qui me voit pleurera.»

45
Une autre vision, troublant trois fois leur rève,
S'est balancée aux soirs, alentour de la grève.
Dans sa main blanche et froide une coupe tremblait,
Et répandait son eau dans l'eau qu'elle troublait.
Ces grands bruits, sillonnant la ville des aumônes,
50
Sinistres, comme au loin l'ébranlement des trônes,
Rendent aux longs récits les enfants attentifs,
Et dans les ateliers font les bras inactifs. **)

Et voilà qu'au milieu d'un nuit immobile,
Deux fleuves mugissants ont traversé la ville
55
Voilà que l'eau s'étend où l'homme avait marché,
Et qu'un peuple s'éveille en ce linceuil couché.
Le torrent qui détruit le pied de sa demeure;
Lui répond: C'est la mort! quand il demande l'heure;
Plus loin, on entendit sous un pont qui croula:
60
Arrière, peuple, arrière! on ne marche plus là!

L'or n'arrêtera pas le châtiment qui passe;
De ses ailes d'écume il a couvert l'espace.
Le regard ébloui cherche à se dessiller,
Car on croit voir... on voit les maisons vaciller;
65
Et des toits ébranlés les craquements horribles
Des fondements minés les bruits sourds et terribles,
Et la femme qui fuit, criant: Pitié sur nous!
Et le vieillard tombé qui se sauve à genoux,
Tout dit que le fléau qui roule et se soulève
70
A coupé ses remparts comme au tranchant d'un glaive.

Là-bas deux ramiers blancs aux brouillards suspendus,
Plus constants, plus heureux que leurs frères perdus,
De leur humble palais accompagnent la fuite,
Reste unique et flottant d'une maison détruite:
75
Mais l'homme, dans sa force, est partout refoulé;
Chaque rue est un lac où l'abîme a roulé;
La cité des martyrs dans l'onde agenouillée,
Ecartant les lambeaux de sa tête mouillée,
Comme une pauvre veuve en ses bras amaigris
80
Renferme avec terreur ses enfants sans abris,
Des fleuves repoussant l'étreinte épouvantable,
Vers ses lointaines soeurs jette un cri lamentable.
On se cherche, on s'appelle, on ne se connaît plus,
Et le flot seul accourt à leurs cris superflus!

85
          Sur l'esquif fragile
          Vous, dont l'âme agile,
          Dans la nuit errait
          Où l'homme expirait!

          Vous, dont la lumière
90
          Courut la première
          Aux lointains sanglots
          Qu'emportaient les flots;

          Merci pour les âmes
          Qu'étouffaient les flammes,
95
          Que vous enleviez,
          Et que vous sauviez!

          Merci pour vous-même,
          O vous que l'on aime:
          Votre nom vivra,
100
          Et Dieu le saura! ***)

Dans ce grand désespoir, dans ces muettes larmes,
Un doux événement, un objet plein de charmes
Un enfant endormi, calme dans son berceau,
Flotte, mieux abrité qu'en un vaste vaisseau.
105
Comme un jeune Moïse il aborde au rivage;
Les roses du sommeil n'ont pas fui son visage.
Jamais ceux qui l'ont vu n'oublieront cet enfant;
Car un ange, bien sur, un ange le défend.
Voyez: ni les malheurs du jour ni de la veille
110
Ni les bruits, ni les vents n'ont ouvert son oreille;
Ni les noirs tourbillons qui grondent sous son sort,
Rien ne le fait trembler, rien ne l'étonne: il dort!
Léger comme l'oiseau qui rase les tempêtes,
On dirait que les flots l'apportent sur leurs têtes.

115
D'intrépides nageurs l'attirent dans leur sein,
Sans l'éveiller encore à leur pieux dessein:
Ils entrainent la foule au coteau de Fourvière,
Y déposent l'enfant en forme de prière.
Des femmes, de partout, accourent pour le voir;
120
Dans son arche paisible il rayonne d'espoir.
D'où vient-il, où va-t-il, ignorant de lui-même?
Enfant sans mère, il vient à la Vierge qui l'aime,
Et, pour tous les enfants qui n'ont plus de berceaux,
Lui semble offrir sa crèche aux flexibles arceaux.
125
Pitié! son air charmant, que rien ne peut décrire
Dans le peuple à genoux fait errer un sourire;
Et la Vierge, on l'assure, a murmuré tout bas:
«La prière a monté: Lyon ne mourra pas!»

          Décembre 1840
 


476
L ' E G L I S E
D ' A R O N A


Italie


On est moins seul au fond d'une église déserte:
De son père inquiet c'est la porte entr'ouverte;
Lui qui bénit l'enfant, même après son départ,
Lui, qui ne dit jamais: «N'entrez plus, c'est trop tard!»

5
Moi, j'ai tardé, seigneur, j'ai fui votre colère,
Comme l'enfant qui tremble à la voix de son père,
Se dérobe au jardin tout pâle, tout en pleurs,
Retient son souffle et met sa tête dans les fleurs;
J'ai tardé! Retenant le souffle de ma plainte,
10
J'ai levé mes deux mains entre vous et ma crainte;
J'ai fait la morte; et puis, en fermant bien les yeux,
Me croyant invisible aux lumières des cieux,
Triste comme à ténèbre au milieu de mon âme,
Je fuyais. Mais, Seigneur! votre incessante flamme,
15
Perçait de mes détours les fragiles remparts,
Et dans mon coeur fermé rentrait de toutes parts!

C'est là que j'ai senti, de sa fuite lassée,
Se retourner vers vous mon âme délaissée;
Et me voilà pareille à ce volage enfant,
20
Dépouillé par la ville, et qui n'a bien souvent
Que ses débiles mais pour voiler son visage,
Quand il dit à son père: Oh! que n'ai-je été sage!
 


488
U N   A R C
D E   T R I O M P H E



Tout ce qu'ont dit les hirondelles
Sur ce colossal bâtiment,
C'est que c'était à cause d'elles
Qu'on élevait un monument.

5
Leur nid s'y pose si tranquille,
Si près des grands chemins du jour,
Qu'elles ont pris ce champ d'asile
Pour causer d'affaire, ou d'amour.

En hâte, à la géante porte,
10
Parmi tous ces morts triomphants,
Sans façon l'hirondelle apporte
Un grain de chanvre à ses enfants.

Dans le casque de la Victoire
L'une, heureuse, a couvé ses oeufs,
15
Qui, tout ignorants de l'histoire,
Eclosent fiers comme chez eux.

Voulez-vous lire au fond des gloires,
Dont le marbre est tout recouvert?
Mille doux cris à têtes noires
20
Sortent du grand livre entr'ouvert.

La plus mince qui rentre en France
Dit aux oiseaux de l'étranger
«Venez voir notre nid immense.
Nous avons de quoi vous loger.»

25
Car dans leurs plaines de nuages
Les canons ne s'entendent pas
Plus que si les hommes bien sages
Riaient et s'entr'aimaient en bas.

La guerre est un cri de cigale
30
Pour l'oiseau qui monte chez Dieu;
Et le héros que rien n'égale
N'est vu qu'à peine en si haut lieu.

Voilà pourquoi les hirondelles,
A l'aise dans ce bâtiment,
35
Disent que c'est à cause d'elles
Que Dieu fit faire un monument.
 


494
A U X   T R O I S
A I M E S



De vous gronder je n'ai plus le courage,
Enfants! ma voix s'enferme trop souvent.
Vous grandissez, impatients d'orage;
Votre aile s'ouvre, émue au moindre vent.
5
Affermissez votre raison qui chante;
Veillez sur vous comme a fait mon amour;
On peut gronder sans être bien méchante:
Embrassez-moi, grondez à votre tour.

Vous n'êtes plus la sauvage couvée,
10
Assaillant l'air d'un tumulte innocent;
Tribu sans art, au désert préservée,
Bornant vos voeux à mon zèle incessant:
L'esprit vous gagne, ô ma rêveuse école,
Quand il fermente, il étourdit l'amour.
15
Vous adorez le droit de la parole:
Anges, parlez, grondez à votre tour.

Je vous fis trois pour former une digue
Contre les flots qui vont vous assaillir:
L'un vigilant, l'un rêveur, l'un prodigue,
20
Croissez unis pour ne jamais faillir,
Mes trois échos! l'un à l'autre, à l'oreille,
Redites-vous les cris de mon amour;
Si l'un s'endort, que l'autre le réveille;
Embrassez-le, grondez à votre tour!

25
Je demandais trop à vos jeunes âmes;
Tant de soleil éblouit le printemps!
Les fleurs, les fruits, l'ombre mêlée aux flammes,
La raison mûre et les joyeux instants,
Je voulais tout, impatiente mère,
30
Le ciel en bas, rêve de tout amour;
Et tout amour couve une larme amère:
Punissez-moi, grondez à votre tour.

Toi, sur qui Dieu jeta le droit d'aînesse,
Dis aux petits que les étés sont courts;
35
Sous le manteau flottant de la jeunesse,
D'une lisière enferme le secours!
Parlez de moi, surtout dans la souffrance;
Où que je sois, évoquez mon amour:
Je reviendrai vous parler d'espérance;
40
Mais gronder... non: grondez à votre tour!
 

__________


*)
Sur la montagne de Fourvières.
 
**)
Toutes ces croyances du peuple ont répandu de grandes terreurs avant l'événement de l'inondation.
 
***)
M. Termes, maire de Lyon.
 
 
 
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