Alphonse Daudet
1840 -1897
La Doulou
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IIAux pays de la douleur
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Cette année, à Néris, les yeux moins aigus ou la table moins intéressante. Quelques types pourtant. Mme M***, femme de magistrat, organisation de parties, grosse mère faisant la fête avec les substituts. «Du Champagne et soyons gais! Vous n'êtes pas gai!» Les réceptions à Châteaudun... Deux filles, une grande, prétentions à l'élégance, tête de cheval, quantité de robes dans ses malles; la petite, douze ans, enfant singulière aux yeux noirs sans regard, mouvements clownesques, pâmoisons dont sa mère la tire en lui passant sur les yeux l'or de son «porte-bonheur». Adresse de singe et de somnambule. Ce que la femme nous raconte de son mari, bizarreries, toquades, hypocon-[64]drie, toutes les maladies. Opération aux yeux sans nécessité; quand il va aux eaux avec sa femme et ses enfants, descend dans un autre hôtel qu'elles. Voyage de noces: la chambre divisée en deux: «Chez vous... Chez moi... Vos chaises, les miennes.» Et c'est un juge, ce détraqué! Souvenir du déjeuner pique-nique – la femme par terre, de tout son long, la tête plus basse que les pieds, et sa fausse natte détachée, en rond, lovée comme une couleuvre!Les «Dames seules». Mme T***. «Intelligente comme un homme» (?), «élève de D***», tête d'israélite, longs yeux en rainure luisante, bagout de Paris, histoire avec le violoncelliste du Casino surpris à cinq heures du matin remettant sa cravate dans le petit salon. Mme L***, petite femme au sourire maniéré, aux coins de bouche relevés, fanée, mystérieuse, timide, sans usages, arrivant à table avec des branchages, des buissons de fleurs à la ceinture, puis, honteuse, gênée, arrachant sournoisement sa guirlande d'arc triomphal.Autre type de «dame seule». La bonne Mme S*** avec son amie Mlle de X***. Deux mines de soeurs tourières, s'enfuyant de table au dernier morceau pour courir à l'église. Mlle de X*** avec son parler effusionné, grasse, poupine, trente-cinq à quarante ans, le teint frais, les yeux clairs, bonne, naïve, «potin de cou-[65]vent», fière de deux soeurs richement mariées, de sa famille, petite noblesse bretonne sans le sou et prolifique comme un port de mer. Adoptée par Mme S***. Veuvage, bonté, religion, des yeux tendres, un peu fêlée. Le mari tué à la chasse par son père à elle; fondue en charité; pas d'enfants.Mme C***, jeune encore veuve d'un officier de marine, laide, les yeux trop noirs, le nez taché de plaques rouges; petite glace à main où elle regarde tout le temps ce nez. Voit partout des scorpions, des araignées, du sang sur les mains; toujours seule, marche à menus pas dans les allées du verger, s'immobilise des heures sur un banc, la joue sur sa main, absorbée. Donne à l'hôtel l'aspect d'une maison de fous.Et puis la générale P***. La «mère de la maréchaussée». Vient depuis dix ans à l'hôtel, autorité dont elle est très jalouse. Désir de plaire, de conquérir. Tous les pensionnaires qui arrivent ou partent lui présentent leurs hommages! Vieille coquette, fabriquée, «bonne Madame», et donne encore de fiers coups de dents avec son râtelier.
* * *Elle est bien comique cette station pour anémiés. On ne se rappelle pas un nom; tout le [66] temps à chercher; grands trous dans la conversation. A dix pour trouver le mot «industriel».
* * *Mais jamais comme cette fois mes tristes nerfs n'avaient souffert du contact de la promiscuité de l'hôtel. Voir manger mes voisins m'était odieux; les bouches sans dents, les gencives malades, la pioche des cure-dents dans les molaires creuses, et ceux qui ne mangent que d'un côté, et ceux qui roulent leurs bouchées, et ceux qui ruminent, et les rongeurs, et les carnassiers! Bestialité humaine! Toutes ces mâchoires en fonction, ces yeux gloutons, hagards, ne quittant pas leurs assiettes, ces regards furieux au plat qui s'attarde, tout cela je le voyais, j'en avais là nausée, le dégoût de manger.Et les digestions pénibles, les deux W.-C. au fond du couloir, mitoyens, éclairés par le même bec de gaz, si bien qu'on entendait tous les «han...» de la constipation, l'esclaffement de l'abondance, et le froissement des papiers. Horreur... horreur de vivre!Et tout ce qui circule aux étages sur les infirmités des pensionnaires, leurs manies, leurs pauvres ridicules de malades...
* * *Silhouette du professeur de mathématiques dé Clermont, à Néris; Le premier que j'aie vu [67] atteint de mon mal, mais plus loin que moi sur le chemin.Je pense à lui, je le vois avançant ses pieds, l'un après l'autre, bien à plat, chancelant: sur la glace. Pitié. Les bonnes de l'hôtel racontaient qu'il p... au lit.* * *Station de névropathes. Silhouettes de béquillards, sur les routes de campagne entre les haies de bois très hautes; on se raconte ses maux, toujours bizarres, imprévus; pauvres femmes toutes simples, des campagnardes affinées par le mal. – Bains de boue dans une forêt du Nord. Installation bizarre. Une rotonde vitrée sur le marais de boue noire où l'on vous enfonce péniblement. Sensation délicieuse de cette glu chaude et molle par tout le corps; les uns en ont jusqu'au cou, d'autres jusqu'aux bras; on est là une soixantaine, pêle-mêle, riant, causant, lisant grâce à des flotteurs en planche. Pas de bêtes dans la boue, mais des milliers de petites jaillissures chaudes qui vous chatouillent doucement.
* * *Le ménage de province rencontré à Néris. Le mari vieux, tordu, moustaches grises tombantes, quelques mèches longues et plates, et sur cette tête triste, sourire amer et regard bon, la toque [68] en velours du Sanzio: P***, peintre de fleurs, élève de Saint-Jean. La femme, longue, plate, fausse distinction, chapeau Rembrandt, tient une maison de santé pour dames. Gâtée, dorlotée, on sent que c'est elle qui fait bouillir la marmite. Lui, pour la gloire. Avec eux une grosse demoiselle sourde, à favoris, une des pensionnaires de Madame, les accompagne un peu comme une demoiselle de compagnie, prépare le café à l'esprit-de-vin dans leur chambre par économie, et appelle de la fenêtre d'une voix flûtée: «Monsieur P***!» avec une pointe de mystère coquet comme pour annoncer que le lavement est prêt.
* * *Lamalou. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Lamalou. Ataxie-Polka. L'établissement. Moyen âge, chemises soufrées. Les piscines; fenêtres; ignobles traces. Musiques. Théâtres. Cheminées hautes; feux de bois; murs crépis.
* * *Dans la cour de l'hôtel, le va-et-vient des malades. Défilé de maux divers, plus sinistres les uns que les autres. Analogie entre tous ces maux, regards brûlants ou atones. Lumière étincelante du ciel bleu – grands vases d'Anduze où poussent des citronniers.
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[69] | Conseils entre malades:– Faites donc ça!– Ça vous a-t-il fait du bien?– Non.– Guéri?– Non.– Alors pourquoi me conseillez-vous?Manie.* * *Les femmes, soeurs de charité, infirmières, antigones.Les Russes, asiatiques fermés.Les prêtres.La musique: piqûre de morphine.Les colères.L'Ambitieux, le «Napoléon sans étoile» dans la piscine.Les frénétiques.Les bavards.Non seulement le Midi, mais la névrose.
* * *Mon sosie. L'homme dont le mal se rapproche le plus du vôtre. Comme on l'aime, comme on le fait parler! Moi, j'en ai deux: un peintre italien, un conseiller à la Cour d'appel, qui, à eux deux, sont ma souffrance.* * * |
[70] | Le théâtre à Lamalou.L'arrivée des ataxiques. Sommeils de mort.
* * *Le chef d'orchestre, premier violon au théâtre, marié à la duègne, joue et dirige avec son bébé endormi sur ses genoux. Exquis.
* * *Excessivement comique ce pays de névrosés; cris, trompettes, sirènes. «La Doulou-le-Haut», accents de montagne, une rue, chars de foins, ostentation de voitures qui vont au pas sur la route, effarements des ataxiques, bicyclettes, âniers. Guerre au couteau entre «La Doulou-le-Haut» et «La Doulou-le-Bas».* * *Cet admirable bavard d'A. B***, trépidant, frénétique, contraire de l'aphasique; mange seul pour ne pas se fatiguer.
* * *Mot du Docteur B*** écoutant Braçhet: «Ça m'est très utile». Je te crois!* * * |
[71] | A table: l'homme qui tout à coup ne peut pas lire le menu. Sa femme pleure, sort de table...* * *Lamalou. La petite Espagnole aux cheveux plats, pommadés; douze à soixante ans. Robe rouge, longues boucle; d'oreilles, longue tête jaune appuyée sur son osselet de main, sur sa petite chaise; la nuit, dort assise. Peur des rats. Pas logée au rez-de-chaussée.L'Espagnol qui a pris mal sur son bateau, plus de jambes; longue figure de Robinson Crusoë; porté par son domestique; espadrilles, casquette blanche; coqueluche des bonnes de l'hôtel.L'homme de la Haute-Marne, dormant au soleil, chargé de mouches. Celui-là mange dehors, vomit toujours dans la morphine, «A quoi bon?» – sous le soleil, dans le vent, dans les corridors.Le petit choréique, terrible avec ses mouvements désordonnés; plus de parole; père, mère, grand'mère, soeur.L'homme qui conduisait le Tsar sur une voie qu'on disait minée par les nihilistes. Voyage de vingt minutes au bout duquel ça lui a pris: douleur dans les yeux, puis sésité. |
[72] | Le bras de cet enfant, une main d'ivoire à gratter au bout d'une règle d'acajou.* * *Le Russe aveugle, parlant de la clinique de la rue Visconti. La grande chambre où il était avec des gens inconnus, qui changeaient, qu'il n'a jamais vus, qui ne l'ont jamais vu.
* * *Confidences du commandant B***.Les adieux au régiment; dernier repas au mess. Vendu son dernier cheval. Différents états de sa cécité. Des jours où, dit-il, «C'est noir... noir...». Alors il a peur. D'autres fois, comme une éclaircie. Sa joie quand on le conduit aux répétitions. «La première chanteuse!» Souvenirs de garnison. Domestique de cercle. Très chic.
* * *Et moi aussi, je dis comme l'aveugle: «C'est noir... noir...». Toute la vie a cette couleur maintenant.Ma douleur tient l'horizon, emplit tout.Passée, la phase où le mal rend meilleur, aide à comprendre; celle aussi où il aigrit, fait grincer la voix, tous les rouages.A présent, c'est une torpeur dure, stagnante, douloureuse. Indifférence à tout. Nada!... Nada!...
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[73] | Mystères des maux de femmes; maladies clitoriques. Pâmoison de cette vieille femme de soixante ans.Héroïsme de la femme avec ses maux.
* * *Je pense à la trépidation nerveuse qui doit agiter les filatures, les maisons de tolérance, tous les endroits où le féminin est en tas, aux passages des époques dont elles sont secouées dans le sens de leurs tempéraments divers.* * *M. C*** avec le bruit perpétuel qu'il entend, comme un sifflet de locomotive, ou plutôt un échappement de vapeur. On s'habitue à tout.
* * *Joie de l'ataxique constatant son mieux. L'homme aux yeux luisants.
* * *Officier ayant perdu la parole à la suite d'une chute de cheval. Quelques mots dans un tremblement. L'air d'un Suédois.
* * *Parmi les malades, ce jeune Espagnol polyglotte retrouvant la mémoire de sa petite [74] enfance, ce patois des îles Baléares où il a été en nourrice et gardé jusqu'à cinq ans.
* * *C'est à Lamalou seulement que j'ai vu les femmes surveillant leurs maris malades, empêchant qu'on leur parle, qu'on les éclaire sur leur mal.* * *Le Russe aux bras immobiles; dispute avec sa domestique qui lui roule ses cigarettes et fait les gestes de leurs deux colères.
* * *Vieux arbres fruitiers privés de sève, déjetés comme des ataxiques: Lamalou.* * *L'hôtel. Le tableau des sonnettes. Les heures des bains.Solitude.Sombreur envahissante.__________
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Les mêmes endroits où l'on revient, comme des coches dans le mur pour marquer la croissance. Changement chaque fois, constatation. Toujours en marche régressive, tandis que les coches allaient montant.
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[75] | Cette année, à Lamalou, des marches d'escalier que je ne peux plus descendre. La marche, horrible. Promenade impossible. Paresse à me lever. Au lit, jambes de pierre douloureuse.
* * *L'homme qui regarde les autres souffrir.Les sosies.La rue, les voitures au galop.Lamalou l'hiver.«Au pays de la douleur».* * *Des médecins font bâtir à Lamalou. Ils ont la foi! – et des chapeaux noirs!* * *Ah! que je le comprends le mot du Russe qui aime mieux souffrir et me disait hier: «La douleur m'empêche de penser.»
* * *Voyage à tâtons d'un des aveugles de Lamalou venu du fond du Japon. Bruits de la mer, des villes, des paquebots...
* * *Piscine de famille, d'aspect sinistre. C'est celle eù je me baigne le plus volontiers, seul [76] presque toujours. On y descend par quelques marches. Un carré de quatre ou cinq mètres; un cachot de l'Inquisition. Murs crépis, lumière venant d'en haut, par un grand vitrage à tabatière. Un banc de pierre tout autour de la piscine, caché par l'opacité de l'eau jaunâtre.Seul là dedans avec mon Montaigne, toujours avec moi; fer, soufre, les eaux de toutes les stations y ont marqué leur trace, déposé leur alluvion. Un grand rideau ferme l'entrée, me cache aux baigneuses qui passent ou qu'on essuie devant le feu. Toujours des gens qui bavardent, souvent des gens du Midi qui se racontent leurs affaires.Même expansivité des gens que partout. Chronique locale des hôtels, chacun ayant la fatuité du sien. Disputes sur la température de l'eau, un thermomètre fantastique que connaît le baigneur. Causeries des piscines voisines, gens qui se reconnaissent, nouvelles des gens de l'an passé, etc.J'y ai entendu parler de moi, parfois méchamment, d'autres fois avec sympathie. J'entends aussi les garçons, bruyants paysans cévenols, parlant patois, honnêtes, intelligents, robustes, prudents, matois. L'un d'eux depuis quarante ans dans l'établissement.Le pas des ataxiques, cannes, béquilles, quelquefois le bruit d'une chute, Dialogue des gar-[77]çons (en patois): «Qu'est-ce que c'est? – Ce n'est rien... Le vieux qui s'est encore foutu par terre».
* * *Drame de piscine, rapide, mystérieux. Une voix épouvantée appelant le baigneur: «Ché-ron!... vite!...» (Crescendo de terreur) «vite!... vite!...». Tous – voix effarées de peur: «Colard, Chéron! vite!... vite!...».
* * *Chez les dames. Bonne vieille soeur. «Pas baignée depuis cinquante ans», dit-elle en entrant.* * *Russes nus dans les piscines, hommes et femmes. Pas de maladies à cacher! Effarement des Méridionaux.
* * *Ce vieux priape, inondé de laudanum. D'autres, leur virilité perdue.
* * *Rencontré cette année beaucoup de diplopies, de maux d'yeux.
* * *Des enfants malades.Causé avec un petit. Certaine fierté de ses douleurs. (Fragilité des os.)
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[78] | S*** B***. Saisons mystérieuses.
* * *Érotomanies cérébrales.Vieux ataxiques au jeu, levant de vieilles femelles qui les emmènent dans une villa lointaine; Retour des deux bêquillards, la nuit, par les chemins mauvais.* * *Certains Exotiques ont l'air de grosses mouches noires.
* * *Les campagnes du baron de X***, vieux noceur un peu ramolli. A quinze ans, son oncle, le marquis de Z***, l'emmenait faire son premier souper au Café Anglais. Ce soir-là, a pris sa feuille de route pour Lamalou. Mais pas de douleurs.Élégant, cervelle vide, récits mondains. Va à la messe avec son valet de chambre.* * *X***, fou de douleur. Deux cents gouttes de laudanum par jour. Silhouette: longue redingote, grands gestes.
* * *Le commandant Z***. Répétition de danse avec le pauvre aveugle criant aux ataxiques: [79] «En place pour la pastourelle!» L'air imbécile au milieu du salon.* * *Le père C*** devant l'hôtel; il ne prend plus les eaux, mais -vient là pour voir des ataxiques!* * *Un médecin me dit que dans le Midi catholique bien des femmes qu'il interroge sur leurs maux répondent dans leur trouble: «Oui, mon Père...»* * *Chevaux de course auxquels on fait une piqûre de morphine pour les empêcher d'avoir le prix.Très saisissant aussi le récit que me faisait le baigneur, de la lutte à bras-le-corps avec le fou. Jeté sur le lit, l'interne accouru charge sa seringue et lui fait une, deux, trois piqûres à assommer un boeuf. Ça l'a un peu calmé.* * *Réunis, tous ces étranges et si variés malades de Lamalou se rassurent par le spectacle de leurs maux réciproques, similaires.Puis, la saison finie, les bains fermés, tout cet agglomérat de douleur se désagrège, se disperse. Chacun de ces malades redevient un isolé perdu dans le bruit et l'agitation de la vie, un être [80] bizarre que la cocasserie de son mal fait passer pour un hypocondriaque, qu'on plaint mais qui ennuie.Ce n'est qu'à Lamalou qu'on le comprend, qu'on s'intéresse à son mal.________
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Le supplice de revenir aux endroits: «- Je faisais ça... Je pouvais ceci... Maintenant plus».* * *Physionomie nouvelle de Lamalou cette année. Une valse de l'Amérique du Sud, La Rosita. Le Brésilien dans sa chaise; teint terreux; regard désespéré.* * *Façon de souffrir des prêtres. Détachement de tout du petit Bénédictin.* * *Courses d'autrefois dans ce pays de douleurs. Force de rire encore. Déjeuners. La Bellocquière. Revu tout cela. Villemagne et le Pont-du-Diable. Envie de pleurer. Je me rappelle le mot de Caoudal (21): «Et dire que je regretterai cela!...»* * *Tous ces chasseurs du Midi, rhumatismes de marais, pris à la macreuse. Quelques-uns font ici des cures préventives.
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[81] | La nouvelle piscine. Alors pourquoi quatre ans dans l'autre?
* * *L'enfant porté avec son petit bateau dans la piscine.
* * *On devrait changer chaque fois de bains.
* * *Je comprends à présent le flottement de la pauvre loque humaine dans la piscine et le lamentable «Attendez que je voie» du malheureux tâtant s'il a ses deux jambes en place.
* * *Causeries du célibataire et de l'homme marié. De la jalousie, quand l'homme cesse d'être homme et ne peut plus défendre son foyer.
* * *Sur la terrasse de l'hôtel, va-et-vient de malades, petites voitures, gens accompagnés.Passe une famille, le père appuyé sur sa fille, la mère derrière, un petit honteux. Réflexions: «- Bien malade, ce pauvre monsieur. – Oui, mais sa famille le soigne avec tant d'amour...»
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[82] | La vision de cette famille, hier, m'a donné l'idée d'un dialogue qui sérait intéressant à développer.
Le premier ataxique. (Avec une fausse commisération au fond de laquelle on devine le contentement du douloureux qui voit plus douloureux que lui.)– Ce pauvre monsieur a l'air bien malade.
Le deuxième ataxique. (Petit, tordu comme un cep, à qui chaque mouvement arrache un cri.)– Il n'est pas bien à plaindre; choyé, entouré... Sa femme, ses enfants; voyez cette grande jolie fille; quelle sollicitude à chaque pas; comme elle le guette, le surveille! Moi, je vis avec un domestique qui n'est jamais là, m'oublie au salon comme un balai, me regarde souffrir avec indifférence ou une feinte pitié plus odieuse encore.
Premier ataxique.– Vous ne connaissez pas votre bonheur! Je sais ce que c'est, la douleur en famille, et je peux en parler. A moins d'être un abominable égoïste, oh est obligé de retenir ses cris pour ne pas attrister ceux qui vous entourent.Si vous avez de tout jeunes enfants, vous ne voulez pas leur assombrir les seules heures [83] blanches et heureuses de la vie, leur laisser le souvenir d'un vieux bonhomme de père toujours geignant. Un malade dans une maison, c'est si terrible, si pesant, surtout des malades comme nous, qui durent, qui traînent...Tenez! vous, rien qu'à vous voir vous tortiller dans une plainte continuelle, il est évident que vous vivez seul, sans gêne, sans contrainte.
Deuxième ataxique.– Il ferait beau voir qu'on n'eût pas le droit de se plaindre, quand on souffre!
Premier ataxique.– Mais je souffre, moi aussi, et en ce moment; mais j'ai pris l'habitude de garder mes souffrances pour moi; quand la crise est trop forte et que je me laisse aller à une plainte un peu vive, c'est un tel bouleversement autour de moi! «Qu'est-ce que tu as? D'où souffres-tu?» II faut avouer que c'est toujours la même chose et qu'on serait en droit de nous dire: «Oh! alors, si ce n'est que ça!»Car cette douleur, toujours nouvelle pour nous, notre entourage y est habitué, elle deviendrait vite une fatigue pour tout le monde, même pour ceux qui nous aiment le plus. La pitié s'émousse. Aussi, ne serait-ce par générosité, c'est par fierté que je retiendrais mes plaintes, pour ne jamais [84] lire dans les yeux les plus chers la fatigue ou l'ennui.Et puis, l'homme seul n'a pas les mille souffrances de l'homme en famille: les enfants malades, l'éducation, l'instruction, l'autorité du père à garder, une femme dont on n'a pas le droit de faire une garde-malade. Et la maison qu'on ne défend pas, qu'on n'est plus en état de défendre... Non, le vrai, pour souffrir, c'est d'être seul.Le solitaire invoquerait alors toutes les détresses sans épanchement possible, le manque de tendresse, etc..., etc..., et trouverait enfin que les efforts faits par l'homme en famille lui servent souvent a moins souffrir.________
Ici s'arrête La Doulou: Alphonse Daudet avait encore trois ans à vivre. Son amour pour le travail, pour l'échange des pensées, pour la lecture aussi, son désir d'apprendre un peu plus chaque jour (dans les derniers temps les ouvrages de sciences les plus ardus le passionnaient) furent plus forts que son mal. Il cessa de l'étudier et transforma ses tortures incessantes en une bonté chaque jour plus grande, cette bonté effective et soudaine qui lui faisait dire à la fin: «Je ne voudrais plus être que marchand de bonheur.»
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