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Pensées et anecdotes
tirées d'un manuscrit d'Hérault-Séchelles.
Quel est le père de la gloire? Le génie. Quelle est la mère du génie? La solitude.
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Pour l'âme qui a été occupée par les passions, il n'y a plus que la gloire.
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On demandoit à Newton comment il avoit pu faire ses grandes découvertes. Il répondit: en les cherchant toujours; mot sublime qui s'applique à tout.
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L'esprit ne voit que les ressemblances, le jugement et le génie voient les différences. C'est que les objets se ressemblent par les côtés les plus grossiers, au lieu qu'ils diffèrent par les plus délicats.
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On a bien défini le hasard le cours inaperçu, des [119] choses. Il n'y a point de hasard: mais nous l'appelons ainsi, lorsque nous ne voyons pas la cause.
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Locke a très-bien dit que le temps n'est que la succession de nos pensées.
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Oui ferait attention aux mots, trouveroit souvent beaucoup d'idées dans un seul. Je me récrée n'est autre chose pour le vulgaire que jouer à la paume, aux cartes, etc.; pour le philosophe, il y voit une seconde création, par laquelle on se retire soi-même du néant.
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M. Turgot avoit fait une chaîne systématique de toutes ses idées, et il liait chaque chose à une autre. Cela peut être fort bon; mais il faut savoir alors détacher au besoin un anneau de sa chaîne, et non pas la traîner toute entière.
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Tout raisonnement juste est une découverte. J'ai vu applaudir de simples raisonnemens denués d'éloquence, mais frappans par leur justesse.
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La douleur a des charmes, sans doute, et cela est heureux pour l'homme destiné presqu'exclusivement au malheur. Mais avant d'attendrir, il faut y préparer; autrement les larmes ne viendront pas, quelque touchant que soit l'objet, et des urnes sans douleur, mais non sans art, obtiendront ce que des cendres réelles n'ont pu arracher. J'en ai un exemple sous les yeux. A Falaise, M. de Tourny a répandu dans différentes parties de son jardin les tombeaux de son père, de sa femme, de sa [120] de son amie et d'une momie. Croiriez-vous que le mieux enterré de tout cela c'est la momie? Elle est au fond d'un noir souterrain, où trente marches conduirent, tandis que le père, la femme, la fille, l'ami sont jetés en plein champ, comme des bette-raves. Aussi, je l'avoue, quelqu'intéressantes que fussent ces inscriptions: à ma femme, à mon père, à ma fille, je n'ai pleuré que la momie.
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La plupart des gens qui ont fait des livres, ne les ont fait que pour étudier eux-mêmes. C'est peut-être une des raisons qu'il y a tant d'ouvrages foibles.
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II y a deux espèces de caractères fermes; celui qui attaque, celui qui résiste.
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Il faut mettre son ambition loin de soi; il faut la placer dans l'avenir, à une distance où les hommes ne puissent pas l'atteindre.
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Il y a deux espèces de génie; le génie de l'esprit, le génie du talent. Le génie de l'esprit crée des rapports, le génie du talent, des expressions; Corneille a le premier, Racine, le second.
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Franklin est l'homme du siècle, dont la destinée a été la plus extraordinaire. Egalement grand, également créateur dans les deux genres, la nature et la société; témoins l'électricité et la liberté de l'Amérique; il a fait avec la finesse et l'étendue de sa raison, ce que les autres font avec leur enthousiasme. Il observoit tout, il découvroit sans cesse. J'ai ouï dire que son foyer même étoit entouré de ses décou-[121]vertes. Homme calme, tranquille, humain, simple, être indépendant, il se promit de bonne heure de n'accorder son assentiment qu'aux objets qu'il verroit, après les avoir bien regardés. Il pensoit que l'homme peut faire lui seul sa santé. Il citoit avec complaisance cette pensée de Salomon: L'homme sage porte ses longues années dans sa main..... Il entre dans tout moins de fortune qu'on ne croit.
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Le fonds d'un grand talent est toujours beaucoup de raison.
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L'amour ne naît, ce me semble, que de la physionomie et des manières.
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Les grands hommes, ceux qui le sont, soit par leur caractère, soit par leurs talens, vivent seuls. Ils en ont le besoin et le goût. Ils ne se communiquent aux autres hommes que dans leurs actions publiques et solemnelles.
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Il me semble voir beaucoup d'hommes sur un toit: les uns tombent, et les autres glissent; la vie n'est pas autre chose.
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Je regarde les cordons bleus et les cordons rouges comme des ficelles.
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C'est un grand mérite que la sagacité dans les ouvrages d'esprit: chez les anciens, où tout étoit neuf, elle s'exerçoit sur les sentimens les plus naturels; chez les modernes, dont l'instrument est formé, elle doit s'exercer sur les sensations les plus fines et les plus détournées. Il me semble beaucoup plus difficile d'être un moderne qu'un ancien. [122]
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Que de gens prouvent que l'on peut être médiocre, même avec de l'esprit! c'est que la grandeur et la supériorité viennent de l'âme.
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Il est important de bien débuter. Les hommes jugent toujours au premier coup d'il, et leurs jugemens ne sont guères que la répétition du premier.
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Il y a deux sortes d'esprit philosophique, celui qui généralise, celui qui observe. Le second est encore plus précieux et plus rare.
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Pour les hommes nés avec un peu de talent, il n'y a que deux sortes de livres à lire, ceux qui font penser, et ceux qui contiennent des faits.
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Diderot parloit un jour avec emphase de Shakespear devant Voltaire. Ah! Monsieur, lui dit Voltaire, est-ce que vous pouvez préférera Virgile, à Racine, un monstre dépourvu de goût? J'aimerois autant que l'on abandonnât l'Apollon du Belvédère pour le Saint Christophe de Notre-Dame. Diderot resta un moment sur le coup; mais ensuite: que diriez-vous, cependant, Monsieur, si vous voyiez cet immense Christophe marcher et s'avancer dans les rues avec ses jambes et sa stature colossale? – Voltaire, à son tour, fut atterré par cette image imposante.
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Je me trouvois un jour avec six hommes de lettres. On se demandoit quel étoit le plus beau morceau de poësie. J'opinai pour que chacun écrivît secrètement son avis sur un scrutin. Nous fûmes très-étonnés de voir que nous nous étions tous réunis à donner la préférence à la peinture d'Adam et Eve dans le paradis terrestre, par Milton. [123]
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Les sentimens produisent le courage actif, et la philosophie, le courage passif.
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Le talent a besoin aujourd'hui du caractère, pour recevoir un nouvel éclat.
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Tacite est à-la-fois fin et fort; une sagacité prodigieuse et une énergie égale; et puis c'est qu'on sent qu'il se retient, et qu'il cache toujours la moitié de ce qu'il montre. Il vous dit tout, quoiqu'il écrive en présence du lion. Il a l'art d'être encore plus soupçonneur qu'accusateur. C'est un homme qui vous parle a l'oreille, qui vous effraie et vous charme, parce qu'il y a une sorte de plaisir à avoir peur. Il donne, pour ainsi dire, ses idées sous le manteau. Elles sont souvent infinies, parce qu'elles ne sont pas finies. Telles ces ruines dont le voyageur admire l'élévation, et les trois quarts sont sous la terre.
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J'aime à me trouver avec les hommes qui ont conçu et terminé de grands ouvrages. On se sent plus courageux, en approchant des grandes patiences.
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Les bons mots, les vrais bons mots naissent bien plus du caractère que de l'esprit. Voyez tous les mots des anciens.
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On demandoit à l'impératrice de Russie: Comment avez-vous pu établir tant d'ordre dans vos finances? – En comptant tous les jours, répondit-elle. Alexandre fit la même réponse à celui qui lui disoit: Comment se peut-il que, si jeune, vous ayiez [124] exécuté tant et de si grandes choses? – En ne remettant rien au lendemain. C'est aussi le trait par lequel Lucain caractérise César:
Nil actum reputans, si quid superesset agendum.
Enfin Newton a fait aussi la même réponse. (V. page 118.)
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Les Ecrivains médiocres rendent leurs idées, mais ne les expriment pas.
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On se perd dans les villes; on se laisse à la campagne; il est bon d'aller de temps en temps s'y retrouver.
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