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- L e t t r e p r e m i è r e
à Monsieur Descartes
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- Monsieur,
J'avais été bien aise de vous voir à Paris cet été dernier, parce que je pensais que vous y étiez venu à dessein de vous y arrêter, et qu'y ayant plus de commodité qu'en aucun autre lieu pour faire les expériences, dont vous avez témoigné avoir besoin afin d'achever les traités que vous avez promis au public, vous ne manqueriez pas de tenir votre promesse, et que nous les verrions bientôt imprimés. Mais vous m'avez entièrement ôté cette joie, lorsque vous êtes retourné en Hollande; et je ne puis m'abstenir ici de vous dire, que je suis encore fâché contre vous de ce que vous n'avez pas voulu, avant votre départ, me laisser voir le traité des Passions, qu'on m'a dit que vous avez composé. Outre que, faisant réflexion sur les paroles que j'ai lues en une préface qui fut jointe il y a deux ans à la version française de vos Principes, où, après avoir parlé succinctement des parties de la philosophie qui doivent encore être trouvées, avant qu'on puisse recueillir ses principaux fruits, et avoir dit que:
Vous ne vous défiez pas tant de vos forces, que vous n'osassiez entreprendre de les expliquer toutes, si vous aviez la commodité de faire les expériences qui sont requises pour appuyer et justifier vos raisonnements,
vous ajoutez:
qu'il faudrait à cela de grandes dépenses, auxquelles un particulier comme vous ne saurait suffire, s'il n'était aidé par le public. Mais que, ne voyant pas que vous deviez attendre cette aide, vous pensez vous devoir contenter d'étudier dorénavant pour votre instruction particulière; et que la postérité vous excusera, si vous manquez à travailler désormais pour elle.
Je crains que ce ne soit maintenant tout de bon que vous voulez envier au public le reste de vos inventions, et que nous n'aurons jamais plus rien de vous, si nous vous laissons suivre votre inclination. Ce qui est cause que je me suis proposé de vous tourmenter un peu par cette lettre, et de me venger de ce que vous m'avez refusé votre traité des Passions, en vous reprochant librement la négligence et les autres défauts, que je juge empêcher que vous ne fassiez valoir votre talent, autant que vous pouvez et que votre devoir vous y oblige. En effet, je ne puis croire que ce soit autre chose que votre négligence, et le peu de soin que vous avez d'être utile au reste des hommes, qui fait que vous ne continuez pas votre physique. Car encore que je comprenne fort bien qu'il est impossible que vous l'acheviez, si vous n'avez plusieurs expériences, et que ces expériences doivent être faites aux frais du public, à cause que l'utilité lui en reviendra, et que les biens d'un particulier n'y peuvent suffire. Je ne crois pas toutefois que ce soit cela qui vous arrête, parce que vous ne pourriez manquer d'obtenir de ceux qui disposent des biens du public, tout ce que vous sauriez souhaiter pour ce sujet, si vous daigniez leur faire entendre la chose comme elle est, et comme vous la pourriez facilement représenter, si vous en aviez la volonté. Mais vous avez toujours vécu d'une façon si contraire à cela, qu'on a sujet de se persuader que vous ne voudriez pas même recevoir aucune aide d'autrui, encore qu'on vous l'offrirait; et néanmoins vous prétendez que la postérité vous excusera, de ce que vous ne voulez plus travailler pour elle, sur ce que vous supposez que cette aide vous y est nécessaire, et que vous ne la pouvez obtenir. Ce qui me donne sujet de penser, non seulement que vous êtes trop négligent, mais peut-être aussi que vous n'avez pas assez de courage pour espérer de parachever ce que ceux qui ont lu vos écrits attendent de vous. Et que néanmoins vous êtes assez vain pour vouloir persuader à ceux qui viendront après nous, que vous n'y avez point manqué par votre faute, mais parce qu'on n'a pas reconnu votre vertu comme on devait, et qu'on a refusé de vous assister en vos desseins. En quoi je vois que votre ambition trouve son compte, à cause que ceux qui verront vos écrits à l'avenir, jugeront, par ce que vous avez publié il y a plus de douze ans, que vous aviez trouvé dès ce temps-là tout ce qui a jusqu'à présent été vu de vous, et que ce qui vous reste à inventer, touchant la physique, est moins difficile que ce que vous en avez déjà expliqué. En sorte que vous auriez pu depuis nous donner tout ce qu'on peut attendre du raisonnement humain pour la médecine, et les autres usages de la vie, si vous aviez eu la commodité de faire les expériences requises à cela. Et même que vous n'avez pas sans doute laissé d'en trouver une grande partie, mais qu'une juste indignation contre l'ingratitude des hommes vous a empêché de leur faire part de vos inventions. Ainsi vous pensez que désormais, en vous reposant, vous pourrez acquérir autant de réputation que si vous travailliez beaucoup; et même peut-être un peu davantage, à cause qu'ordinairement le bien qu'on possède est moins estimé que celui qu'on désire ou bien qu'on regrette. Mais je vous veux ôter le moyen d'acquérir ainsi de la réputation sans la mériter. Et bien que je ne doute pas que vous ne sachiez ce qu'il faudrait que vous eussiez fait, si vous aviez voulu être aidé par le public, je le veux néanmoins ici écrire. Et même je ferai imprimer cette lettre, afin que vous ne puissiez prétendre de l'ignorer, et que, si vous manquez ci-après à nous satisfaire, vous ne puissiez plus vous excuser sur le siècle. Sachez donc que ce n'est pas assez, pour obtenir quelque chose du public, que d'en avoir touché un mot en passant, en la préface d'un livre, sans dire expressément que vous la désirez et l'attendez, ni expliquer les raisons qui peuvent prouver, non seulement que vous la méritez, mais aussi qu'on a très grand intérêt de vous l'accorder, et qu'on en doit attendre beaucoup de profit. On est accoutumé de voir, que tous ceux qui s'imaginent qu'ils valent quelque chose, en font tant de bruit, et demandent avec tant d'importunité ce qu'ils prétendent, et promettent tant au-delà de ce qu'ils peuvent, que lorsque quelqu'un ne parle de soi qu'avec modestie, et qu'il ne requert rien de personne, ni ne promet rien avec assurance, quelque preuve qu'il donne d'ailleurs de ce qu'il peut, on n'y fait pas de réflexion, et on ne pense aucunement à lui.
Vous direz peut-être que votre humeur ne vous porte pas à rien demander, ni à parler avantageusement de vous-même, parce que l'un semble être une marque de bassesse, et l'autre d'orgueil. Mais je prétends que cette humeur se doit corriger, et qu'elle vient d'erreur et de faiblesse, plutôt que d'une honnête pudeur et modestie. Car pour ce qui est des demandes, il n'y a que celles qu'on fait pour son propre besoin, à ceux de qui on n'a aucun droit de rien exiger, desquelles on ait sujet d'avoir quelque honte. Et tant s'en faut qu'on en doive avoir de celles qui tendent à l'utilité et au profit de ceux à qui on les fait, qu'au contraire on en peut tirer de la gloire, principalement lorsqu'on leur a déjà donné des choses qui valent plus que celles qu'on veut obtenir d'eux. Et pour ce qui est de parler avantageusement de soi même, il est vrai que c'est un orgueil très ridicule et très blâmable, lorsqu'on dit de soi des choses qui sont fausses. Et même que c'est une vanité méprisable, encore qu'on n'en dise que de vraies, lorsqu'on le fait par ostentation, et sans qu'il en revienne aucun bien à personne. Mais lorsque ces choses sont telles qu'il importe aux autres de les savoir, il est certain qu'on ne les peut taire que par une humilité vicieuse, qui est une espèce de lâcheté et de faiblesse. Or il importe beaucoup au public d'être averti de ce que vous avez trouvé dans les sciences, afin que, jugeant par-là de ce que vous y pouvez encore trouver, il soit incité à contribuer tout ce qu'il peut pour vous y aider, comme à un travail qui a pour but le bien général de tous les hommes. Et les choses que vous avez déjà données, à savoir les vérités importantes que vous avez expliquées dans vos écrits, valent incomparablement davantage que tout ce que vous sauriez demander pour ce sujet.
Vous pouvez dire aussi que vos oeuvres parlent assez, sans qu'il soit besoin que vous y ajoutiez les promesses et les vanteries, lesquelles, étant ordinaires aux charlatans qui veulent tromper, semblent ne pouvoir être bienséantes à un homme d'honneur qui cherche seulement la vérité. Mais ce qui fait que les charlatans sont blâmables, n'est pas que les choses qu'ils disent d'eux-mêmes sont grandes et bonnes, c'est seulement qu'elles sont fausses, et qu'ils ne les peuvent prouver. Au lieu que celles que je prétends que vous devez dire de vous, sont si vraies, et si évidemment prouvées par vos écrits, que toutes les règles de la bienséance vous permettent de les assurer; et celles de la charité vous y obligent, à cause qu'il importe aux autres de les savoir. Car encore que vos écrits parlent assez, au regard de ceux qui les examinent avec soin, et qui sont capables de les entendre. Toutefois cela ne suffit pas pour le dessein que je veux que vous ayez, à cause qu'un chacun ne les peut pas lire, et que ceux qui manient les affaires publiques n'en peuvent guère avoir le loisir. Il arrive peut-être bien que quelqu'un de ceux qui les ont lues leur en parle, mais, quoi qu'on leur en puisse dire, le peu de bruit qu'ils savent que vous faites, et la trop grande modestie que vous avez toujours observée en parlant de vous, ne permet pas qu'ils y fassent beaucoup de réflexion. Même, à cause qu'on use souvent auprès d'eux de tous les termes les plus avantageux qu'on puisse imaginer, pour louer des personnes qui ne sont que fort médiocres, ils n'ont pas sujet de prendre les louanges immenses, qui vous sont données par ceux qui vous connaissent, pour des vérités bien exactes. Au lieu que, lorsque quelqu'un parle de soi-même, et qu'il dit des choses très extraordinaires, on l'écoute avec plus d'attention, principalement lorsque c'est un homme de bonne naissance, et qu'on sait n'être point d'humeur ni de condition à vouloir faire le charlatan. Et parce qu'il se rendrait ridicule s'il usait d'hyperboles en telle occasion, ses paroles sont prises en leur vrai sens; et ceux qui ne les veulent pas croire, sont au moins invités par leur curiosité, ou par leur jalousie, à examiner si elles sont vraies. C'est pourquoi étant très certain, et le public ayant grand intérêt de savoir, qu'il n'y a jamais eu au monde que vous seul (au moins dont nous ayons les écrits), qui ait découvert les vrais principes, et reconnu les premières causes de tout ce qui est produit en la nature; et qu'ayant déjà rendu raison, par ces principes, de toutes les choses qui paraissent et s'observent le plus communément dans le monde, il vous faut seulement avoir des observations plus particulières, pour trouver en même façon les raisons de tout ce qui peut être utile aux hommes en cette vie. Et, ainsi nous donner une très parfaite connaissance de la nature de tous les minéraux, des vertus de toutes les plantes, des propriétés des animaux, et généralement de tout ce qui peut servir pour la médecine et les autres arts. Et enfin que, ces observations particulières ne pouvant être toutes faites en peu de temps sans grande dépense, tous les peuples de la terre y devraient à l'envie contribuer, comme à la chose du monde la plus importante, et à laquelle ils ont tous égal intérêt. Cela, dis-je, étant très certain, et pouvant assez être prouvé par les écrits que vous avez déjà fait imprimer, vous devriez le dire si haut, le publier avec tant de soin, et le mettre si expressément dans tous les titres de vos livres qu'il ne pût dorénavant y avoir personne qui l'ignorât. Ainsi vous feriez au moins d'abord naître l'envie à plusieurs d'examiner ce qui en est; et d'autant qu'ils s'en enquerraient davantage, et liraient vos écrits avec plus de soin, d'autant connaîtraient-ils plus clairement, que vous ne vous seriez point vanté à faux.
Et il y a principalement trois points, que je voudrais que vous fissiez bien concevoir à tout le monde. Le premier est, qu'il y a une infinité de choses à trouver en la physique, qui peuvent être extrêmement utiles à la vie. Le second, qu'on a grand sujet d'attendre de vous l'invention de ces choses. Et le troisième, que vous en pourrez d'autant plus trouver, que vous aurez plus de commodités pour faire quantité d'expériences. Il est à propos qu'on soit averti du premier point, à cause que la plus part des hommes ne pensent pas qu'on puisse rien trouver dans les sciences qui vaille mieux que ce qui a été trouvé par les anciens, et même que plusieurs ne conçoivent point ce que c'est que la physique, ni à quoi elle peut servir. Or il est aisé de prouver que le trop grand respect qu'on porte à l'antiquité, est une erreur qui préjudicie extrêmement à l'avancement des sciences. Car on voit que les peuples sauvages de l'Amérique, et aussi plusieurs autres qui habitent des lieux moins éloignés, ont beaucoup moins de commodités pour la vie que nous n'en avons, et toutefois qu'ils sont d'une origine, aussi ancienne que la nôtre. En sorte qu'ils ont autant de raison que nous de dire qu'ils se contentent de la sagesse de leurs pères, et qu'ils ne croient point que personne leur puisse rien enseigner de meilleur, que ce qui a été su et pratiqué de toute antiquité parmi eux. Et cette opinion est si préjudiciable que, pendant qu'on ne la quitte point, il est certain qu'on ne peut acquérir aucune nouvelle capacité. Aussi voit-on par expérience, que les peuples en l'esprit desquels elle est le plus enracinée, sont ceux qui sont demeurés les plus ignorants et les plus rudes. Et parce qu'elle est encore assez fréquente parmi nous, cela peut servir de raison pour prouver, qu'il s'en faut beaucoup que nous ne sachions tout ce que nous sommes capables de savoir. Ce qui peut aussi fort clairement être prouvé par plusieurs inventions très utiles, comme sont l'usage de la boussole, l'art d'imprimer, les lunettes d'approche, et semblables, qui n'ont été trouvées qu'aux derniers siècles, bien qu'elles semblent maintenant assez faciles à ceux qui les savent. Mais il n'y a rien en quoi le besoin que nous avons d'acquérir de nouvelles connaissances paraisse mieux qu'en ce qui regarde la médecine. Car bien qu'on ne doute point que Dieu n'ait pourvu cette terre de toutes les choses qui sont nécessaires aux hommes pour s'y conserver en parfaite santé jusqu'à une extrême vieillesse. Et bien qu'il n'y ait rien au monde si désirable que la connaissance de ces choses, en sorte qu'elle a été autrefois la principale étude des rois et des sages, toutefois l'expérience montre qu'on est encore si éloigné de l'avoir toute, que souvent on est arrêté au lit par de petits maux, que tous les plus savants médecins ne peuvent connaître, et qu'ils ne font qu'aigrir par leurs remèdes lorsqu'ils entreprennent de les chasser. En quoi le défaut de leur art, et le besoin qu'on a de le perfectionner, sont si évidents, que, pour ceux qui ne conçoivent pas ce que c'est que la physique, il suffit de leur dire qu'elle est la science qui doit enseigner à connaître si parfaitement la nature de l'homme, et de toutes les choses qui lui peuvent servir d'aliments ou de remèdes qu'il lui soit aisé de s'exempter par son moyen de toutes sortes de maladies. Car, sans parler de ses autres usages, celui-la seul est assez important, pour obliger les plus insensibles à favoriser les desseins d'un homme, qui a déjà prouvé, par les choses qu'il a inventées, qu'on a grand sujet d'attendre de lui tout ce qui reste encore à trouver en cette science.
Mais il est principalement besoin que le monde sache que vous avez prouvé cela de vous. Et à cet effet il est nécessaire que vous fassiez un peu de violence à votre humeur, et que vous chassiez cette trop grande modestie, qui vous a empêché jusqu'ici de dire de vous et des autres tout ce que vous êtes obligé de dire. Je ne veux point pour cela vous commettre avec les doctes de ce siècle. La plupart de ceux auxquels on donne ce nom, à savoir tous ceux qui cultivent ce qu'on appelle communément les belles lettres, tous les jurisconsultes, n'ont aucun intérêt à ce que je prétends que vous devez dire. Les théologiens aussi et les médecins n'y en ont point, si ce n'est en tant que philosophes. Car la théologie ne dépend aucunement de la physique, ni même la médecine, en la façon qu'elle est aujourd'hui pratiquée par les plus doctes et les plus prudents en cet art. Ils se contentent de suivre les maximes ou les règles qu'une longue expérience a enseignées, et ils ne méprisent pas tant la vie des hommes, que d'appuyer leurs jugements, desquels souvent elle dépend, sur les raisonnements incertains de la philosophie de l'École. Il ne reste donc que les philosophes, entre lesquels tous ceux qui ont de l'esprit sont déjà pour vous, et seront très aises de voir que vous produisiez la vérité en telle sorte, que la malignité des pédants ne la puisse opprimer. De façon que ce ne sont que les seuls pédants, qui se puissent offenser de ce que vous aurez à dire; et parce qu'ils sont la risée et le mépris de tous les plus honnêtes gens, vous ne devez pas fort vous soucier de leur plaire. Outre que votre réputation vous les a déjà rendus autant ennemis qu'ils sauraient être. Et au lieu que votre modestie est cause que maintenant quelques-uns uns d'eux ne craignent pas de vous attaquer, je m'assure que, si vous vous faisiez autant valoir que vous pouvez et que vous devez, ils se verraient si bas au-dessous de vous, qu'il n'y en aurait aucun qui n'eût honte de l'entreprendre. Je ne vois donc point qu'il y ait rien qui vous doive empêcher de publier hardiment tout ce que vous jugerez pouvoir servir à votre dessein. Et rien ne me semble être plus utile, que ce que vous avez déjà mis en une lettre adressée au R. Père Dinet, laquelle vous fîtes imprimer il y a sept ans, pendant qu'il était Provincial des Jésuites de France:
Non ibi, disiez-vous en parlant des Essais que vous aviez publiés cinq ou six ans auparavant, unam aut alteram, sed plus sexcentis quaestionibus explicui, quae sic a nullo ante me fuerunt explicatae; ac quamvis multi hactenus mea scripta transversis oculis inspexerint, modisque omnibus refutare conati sint, nemo tamen, quod sciam, quicquam non verum potuit in iis reperire. Fiat enumeratio quaestionum omnium, quae in tot saeculis, quibus aliae philosophiae viguerunt, ipsarum ope solutae sunt: et forte nec tam multae, nec tam illustres invenientur. Quinimo profiteor ne unius quidem quaestionis solutionem, ope principiorum Peripateticae philosophi peculiarium, datam unquam fuisse, quam non possim demonstrare esse illegitimam et falsam. Fiat periculum: proponantur, non quidem omnes (neque enim operae pretium puto multum temporis ea in re impendere), sed paucae aliquae selectiones, stabo promissis, etc.
Ainsi, malgré toute votre modestie, la force de la vérité vous a contraint d'écrire en cet endroit-là, que vous aviez déjà expliqué dans vos premiers Essais, qui ne contiennent quasi que la Dioptrique et les Météores, plus de six cents questions de philosophie, que personne avant vous n'avait su si bien expliquer. Et qu'encore que plusieurs eussent regardé vos écrits de travers, et cherché toutes sortes de moyens pour les réfuter, vous ne saviez point toutefois que personne n'y eût encore pu rien remarquer qui ne fût pas vrai. A quoi vous ajoutez, que si on veut conter une par une les questions qui ont pu être résolues par toutes les autres façons de philosopher, qui ont eu cours depuis que le monde est, on ne trouvera peut-être pas qu'elles soient en si grand nombre, ni si notables. Outre cela vous assurez que, par les principes qui sont particuliers à la philosophie qu'on attribue à Aristote, et qui est la seule qu'on enseigne maintenant dans les écoles, on n'a jamais su trouver la vraie solution d'aucune question. Et vous défiez expressément tous ceux qui enseignent, d'en nommer quelqu'une qui ait été si bien résolue par eux, que vous ne puissiez montrer aucun erreur en leur solution. Or ces choses ayant été écrites à un Provincial des Jésuites, et, publiées il y a déjà plus de sept ans, il n'y a point de doute que quelques-uns uns des plus capables de ce grand corps, auraient tâché de les réfuter, si elles n'étaient pas entièrement vraies, ou seulement si elles pouvaient être disputées avec quelque apparence de raison. Car, nonobstant le peu de bruit que vous faites, chacun sait que votre réputation est déjà si grande, et qu'ils ont tant d'intérêt à maintenir que ce qu'ils enseignent n'est point mauvais, qu'ils ne peuvent dire qu'ils l'ont négligé. Mais tous les doctes savent assez, qu'il n'y a rien en la physique de l'École qui ne soit douteux. Et ils savent aussi qu'en telle matière être douteux, n'est guère meilleur qu'être faux, à cause qu'une science doit être certaine et démonstrative. De façon qu'ils ne peuvent trouver étrange que vous ayez assuré que leur physique ne contient la vraie solution d'aucune question, car cela ne signifie autre chose, sinon qu'elle ne contient la démonstration d'aucune vérité que les autres ignorent. Et si quelqu'un d'eux examine vos écrits pour les réfuter, il trouve, tout au contraire, qu'ils ne contiennent que des démonstrations, touchant des matières qui étaient auparavant ignorées de tout le monde. C'est pourquoi, étant sages et avisés comme ils sont, je ne m'étonne pas qu'ils se taisent, mais je m'étonne que vous n'ayez encore daigné tirer aucun avantage de leur silence, à cause que vous ne sauriez rien souhaiter qui fasse mieux voir combien votre physique diffère de celle des autres. Et importe qu'on remarque leur différence, afin que la mauvaise opinion que ceux qui sont employez dans les affaires, et qui y réussissent le mieux, ont coutume d'avoir de la philosophie, n'empêche pas qu'ils ne connaissent le prix de la vôtre. Car ils ne jugent ordinairement de ce qui arrivera que par ce qu'ils ont déjà vu arriver, et parce qu'ils n'ont jamais aperçu que le public ait recueilli aucun autre fruit de la philosophie de l'École, sinon qu'elle a rendu quantité d'hommes pédants, ils ne sauraient pas imaginer qu'on en doive attendre de meilleurs de la vôtre, si ce n'est qu'on leur fasse considérer que celle-ci étant toute vraie, et l'autre toute fausse, leurs fruits doivent être entièrement différents. En effet, c'est un grand argument, pour prouver qu'il n'y a point de vérité en la physique de l'École, que de dire qu'elle est instituée pour enseigner toutes les inventions utiles à la vie, et que néanmoins, bien qu'il en ait été trouvé, plusieurs de temps en temps, ce n'a jamais été par le moyen de cette physique, mais seulement ment par hasard et par usage, ou bien, si quelque science y a contribué, ce n'a été que la mathématique. Et elle est aussi la seule de toutes les sciences humaines, en laquelle on ait ci-devant pu trouver quelques vérités qui ne peuvent être mises en doute. Je sais bien que les philosophes la veulent recevoir pour une partie de leur physique, mais parce qu'ils l'ignorent presque tous, et qu'il n'est pas vrai qu'elle en soit une partie, mais au contraire que la vraie physique est une partie de la mathématique, cela ne peut rien faire pour eux. Mais la certitude qu'on a déjà reconnue dans la mathématique, fait beaucoup pour vous. Car c'est une science en laquelle il est si constant que vous excellez, et vous avez tellement en cela surmonté l'envie, que ceux même qui sont jaloux de l'estime qu'on fait de vous pour les autres sciences, ont coutume de dire que vous surpassez tous les autres en celle-ci, afin qu'en vous accordant une louange qu'ils savent ne vous pouvoir être disputée, ils soient moins soupçonnés de calomnie lorsqu'ils tâchent de vous en ôter quelques-uns autres. Et on voit, en ce que vous avez publié de géométrie, que vous y déterminez tellement jusqu'où l'esprit humain peut aller, et quelles sont les solutions qu'on peut donner à chaque sorte de difficultés, qu'il semble que vous avez recueilli toute la moisson, dont les autres qui ont écrit avant vous ont seulement pris quelques épis, qui n'étaient pas encore mûrs, et tous ceux qui viendront après ne peuvent être que comme des glaneurs, qui ramasseront ceux que vous leur avez voulu laisser. Outre que vous avez montré, par la solution prompte et facile de toutes les questions que ceux qui vous ont voulu tenter ont proposées, que la méthode dont vous usez à cet effet est tellement infaillible, que vous ne manquez jamais de trouver par son moyen, touchant les choses que vous examinez, tout ce que l'esprit humain peut trouver. De façon que, pour faire qu'on ne puisse douter, que vous soyez capable de mettre la physique en sa dernière perfection, il faut seulement que vous prouviez, qu'elle n'est autre chose qu'une partie de la mathématique. Et vous l'avez déjà très clairement prouvé dans vos Principes, lorsqu'en y expliquant toutes les qualités sensibles, sans rien considérer que les grandeurs, les figures et les mouvements, vous avez montré que ce monde visible, qui est tout l'objet de la physique, ne contient qu'une petite partie des corps infinis, dont on peut imaginer que toutes les propriétés ou qualités ne consistent qu'en ces mêmes choses, au lieu que l'objet de la mathématique les contient tous. Le même peut aussi être prouvé par l'expérience de tous les siècles. Car encore qu'il y ait eu de tout temps plusieurs des meilleurs esprits, qui se sont employés à la recherche de la physique, on ne saurait dire que jamais personne n'y ait rien trouvé (c'est-à-dire soit parvenu à aucune vraie connaissance touchant la nature des choses corporelles) par quelque principe qui n'appartienne pas à la mathématique. Au lieu que, par ceux qui lui appartiennent, on a déjà trouvé une infinité de choses très utiles, à savoir presque tout ce qui est connu en l'astronomie, en la chirurgie, et en tous les arts mécaniques, dans lesquels s'il y a quelque chose de plus que ce qui appartient à cette science, il n'est pas tiré d'aucune autre, mais seulement de certaines observations dont on ne connaît point les vraies causes. Ce qu'on ne saurait considérer avec attention, sans être contraint d'avouer que, c'est par la mathématique seule qu'on peut parvenir à la connaissance de la vraie physique. Et d'autant qu'on ne doute point que vous n'excelliez en celle-là, il n'y a rien qu'on ne doive attendre de vous en celle-ci. Toutefois il reste encore un peu de scrupule, en ce qu'on voit que tous ceux qui ont acquis quelque réputation par la mathématique, ne sont pas pour cela capables de rien trouver en la physique, et même que quelques-uns uns d'eux comprennent moins les choses que vous en avez écrit, que plusieurs qui n'ont jamais ci-devant appris aucune science. Mais on peut répondre à cela, que bien que sans doute ce soient ceux qui ont l'esprit le plus propre à concevoir les vérités de la mathématique, qui entendent le plus facilement votre physique, à cause que tous les raisonnements de celle-ci sont tirés de l'autre. Il n'arrive pas toujours que ces mêmes aient la réputation d'être les plus savants en mathématique. A cause que, pour acquérir cette réputation, il est besoin d'étudier les livres de ceux qui ont déjà écrit de cette science, ce que la plupart ne sont pas. Et souvent ceux qui les étudient, tâchent d'obtenir par travail ce que la force de leur esprit ne leur peut donner, fatiguent trop leur imagination, et même la blessent, et acquièrent avec cela plusieurs préjugés. Ce qui les empêche bien plus de concevoir les vérités que vous écrivez, que de passer pour grands mathématiciens, à cause qu'il y a si peu de personnes qui s'appliquent à cette science, que souvent il n'y a qu'eux en tout un pays. Et encore que quelquefois il y en ait d'autres, ils ne laissent pas de faire beaucoup de bruit, d'autant que le peu qu'ils savent leur a coûté beaucoup de peine. Au reste, il n'est pas malaisé de concevoir les vérités qu'un autre a trouvées, il suffit à cela d'avoir l'esprit dégagé de toutes sortes de faux préjugés, et d'y vouloir appliquer assez son attention. Il n'est pas aussi fort difficile d'en rencontrer quelques-uns unes détachées des autres, ainsi qu'ont fait autrefois Thalès, Pythagore, Archimède, et en notre siècle Gilbert, Képler, Galilée, Harvoeus, et quelques-uns autres. Enfin on peut, sans beaucoup de peine, imaginer un corps de philosophie, moins monstrueux, et appuyé sur des conjectures plus vraisemblables, que n'est celui qu'on tire des écrits d'Aristote; ce qui a été fait aussi par quelques-uns uns en ce siècle. Mais d'en former un qui ne contienne que des vérités prouvées par démonstrations aussi claires et aussi certaines que celles des mathématiques, c'est chose si difficile et si rare, que, depuis plus de cinquante siècles que le monde a déjà duré, il ne s'est trouvé que vous seul qui avez fait voir par vos écrits que vous en pouvez venir à bout. Mais comme lorsqu'un architecte a posé tous les fondements, et élevé les principales murailles de quelque grand bâtiment, on ne doute point qu'il ne puisse conduire son dessein jusqu'à la fin, à cause qu'on voit qu'il a déjà fait ce qui était le plus difficile. Ainsi ceux qui ont lu avec attention le livre de vos Principes, considérant comment vous y avez posé les fondements de toute la philosophie naturelle, et combien sont grandes les suites de vérités que vous en avez déduit, ne peuvent douter que la méthode dont vous usez ne soit suffisante, pour faire que vous acheviez de trouver tout ce qui peut-être trouvé en la physique. À cause que les choses que vous avez déjà expliquées, à savoir la nature de l'aimant, du feu, de l'air, de l'eau, de la terre, et de tout ce qui paraît dans les cieux, ne semblent point être moins difficiles, que celles qui peuvent encore être désirées.
Toutefois il faut ici ajouter que, tant expert qu'un architecte soit en son art, il est impossible qu'il achève le bâtiment qu'il a commencé, si les matériaux qui doivent y être employés lui manquent. Et en même façon: que tant parfaite que puisse être votre méthode, elle ne peut faire que vous poursuiviez en l'explication des causes naturelles si vous n'avez point les expériences qui sont requises pour déterminer leurs effets. Ce qui est le dernier des trois points que je crois devoir être principalement expliqués à cause que la plupart des hommes ne conçoivent pas combien ces expériences sont nécessaires, ni quelle dépense y est requise. Ceux qui, sans sortir de leur cabinet, ni jeter les yeux ailleurs que sur leurs livres, entreprennent de discourir de la nature, peuvent bien dire en quelle façon ils auraient voulu créer le monde, si Dieu leur en avait donné la charge et le pouvoir, c'est-à-dire ils peuvent écrire des chimères, qui ont autant de rapport avec la faiblesse de leur esprit, que l'admirable beauté de cet univers avez la puissance infinie de son auteur. Mais, à moins que d'avoir un esprit vraiment divin, ils ne peuvent ainsi former d'eux-mêmes une idée des choses qui soit semblable à celle que Dieu a eue pour les créer. Et quoique votre méthode promette tout ce qui peut être espéré de l'esprit humain, touchant la recherche de la vérité dans les sciences, elle ne promet pas néanmoins d'enseigner à deviner, mais seulement à déduire de certaines choses données toutes les vérités qui peuvent en être déduites, et ces choses données, en la physique, ne peuvent être que des expériences. Même à cause que ces expériences sont de deux sortes: les unes faciles, et qui ne dépendent que de la réflexion qu'on fait sur les choses qui se présentent au sens d'elles-mêmes; les autres plus rares et difficiles, auxquelles on ne parvient point sans quelque étude et quelque dépense. On peut remarquer que vous avez déjà mis dans vos écrits tout ce qui semble pouvoir être déduit des expériences faciles, et même aussi de celles des plus rares que vous avez pu apprendre des livres. Car outre que vous y avez expliqué la nature de toutes les qualités qui meuvent les sens, et de tous les corps qui sont les plus communs sur cette terre, comme du feu, de l'air, de l'eau, et de quelques-uns autres, vous y avez aussi rendu raison de tout ce qui a été observé jusqu'à présent dans les cieux, de toutes les propriétés de l'aimant, et de plusieurs observations de la chimie. De façon qu'on n'a point de raison d'attendre rien davantage de vous, touchant la physique, jusqu'à ce que vous ayez davantage d'expériences, desquelles vous puissiez rechercher les causes. Et je ne m'étonne pas que vous n'entrepreniez point de faire ces expériences à vos dépens. Car je sais que la recherche des moindres choses coûte beaucoup. Et, sans mettre en compte les alchimistes, ni tous les autres chercheurs de secrets, qui ont coutume de se ruiner à ce métier, j'ai ouï dire que la seule pierre d'aimant a fait dépendre plus de cinquante mille écus à Gilbert, quoiqu'il fût homme de très bon esprit, comme il a montré, en ce qu'il a été le premier qui a découvert les principales propriétés de cette pierre. J'ai vu aussi l'Instauratio Magna et le Novus Atlas du Chancelier Bacon, qui me semble être, de tous ceux qui ont écrit avant vous, celui qui a eu les meilleures pensées touchant la méthode qu'on doit tenir pour conduire la physique à sa perfection. Mais tout le revenu de deux ou trois rois, des plus puissants de la terre, ne suffirait pas pour mettre en exécution toutes les choses qu'il requiert à cet effet. Et bien que je ne pense point que vous ayez besoin de tant de sortes d'expériences qu'il en imagine, à cause que vous pouvez suppléer à plusieurs, tant par votre adresse que par la connaissance des vérités que vous avez déjà trouvées, toutefois, considérant que le nombre des corps particuliers qui vous restent encore à examiner est presque infini. Qu'il n'y en a aucun qui n'ait assez de diverses propriétés, et dont on ne puisse faire assez grand nombre d'épreuves, pour y employer tout le loisir et tout le travail de plusieurs hommes; que, suivant les règles de votre méthode, il est besoin que vous examiniez en même temps toutes les choses qui ont entre elles quelque affinité, afin de remarquer mieux leurs différences, et de faire des dénombrements qui vous assurent, que vous pouvez ainsi utilement vous servir en un même temps de plus de diverses expériences, que le travail d'un très grand nombre d'hommes adroits n'en saurait fournir. Et enfin, que vous ne sauriez avoir ces hommes adroits qu'à force d'argent, à cause que, si quelques-uns uns s'y voulaient gratuitement employer, ils ne s'assujettiraient pas assez à suivre vos ordres, et ne feraient que vous donner occasion de perdre du temps. Considérant, dis-je, toutes ces choses, je comprends aisément que vous ne pouvez achever dignement le dessein vous avez commencé dans vos Principes, c'est-à-dire, expliquer en particulier tous les minéraux, les plantes, les animaux, et l'homme, en la même façon que vous y avez déjà expliqué tous les éléments de la terre, et tout ce qui s'observe dans les cieux, si ce n'est que le public fournisse les frais qui sont requis à cet effet, et que, d'autant qu'ils vous seront plus libéralement fournis, d'autant pourrez vous mieux exécuter votre dessin.
Or à cause que ces mêmes choses peuvent aussi fort aisément être comprises par un chacun, et sont toutes si vraies qu'elles ne peuvent être mises en doute, je m'assure que, si vous les représentiez, en telle sorte qu'elles vinssent à la connaissance de ceux à qui Dieu ayant donné le pouvoir de commander aux peuples de la terre, a aussi donné la charge et le soin de faire tous leurs efforts pour avancer le bien du public, il n'y aurait aucun d'eux qui ne voulût contribuer à un dessein si manifestement utile à tout le monde. Et bien que notre France, qui est votre patrie, soit un état si puissant qu'il semble que vous pourriez obtenir d'elle seule tout ce qui est requis à cet effet. Toutefois, à cause que les autres nations n'y ont pas moins d'intérêt qu'elle, je m'assure que plusieurs seraient assez généreuses pour ne lui pas céder en cet office, et qu'il n'y en aurait aucune qui fût si barbare que de ne vouloir point y avoir part.
Mais si tout ce que j'ai écrit ici ne suffit pas pour faire que vous changiez d'humeur, je vous prie au moins de m'obliger tant, que de m'envoyer votre traité des Passions, et de trouver bon que j'y ajoute une préface avec laquelle il soit imprimé. Je tâcherai de la faire en telle sorte, qu'il n'y aura rien que vous puissiez désapprouver et qui ne soit si conforme au sentiment de tous ceux qui ont de l'esprit et de la vertu, qu'il n'y en aura aucun qui, après l'avoir lue, ne participe au zèle que j'ai pour l'accroissement des sciences, et pour être, etc.
De Paris, le 6 novembre 1648.
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