BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Guillaume Marcoureau, dit Brécourt

1638 -1685

 

L'Ombre de Molière

 

Paris, 1674

 

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PRÉFACE *)

 

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CETTE comédie, représentée sur le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne peu de jours après la mort de Molière, n'eut qu'une seule représentation, suivant le Dictionnaire des Théâtres, de Léris. On a tout lieu de supposer que la pièce fut interdite, par suite des démarches de la veuve de Molière, qui considéra cette comédie non pas comme injurieuse à la mémoire de son mari, mais comme nuisible aux intérêts pécuniaires du théâtre du Palais-Royal, où le répertoire de Molière attirait toujours la foule. Il est probable, d'ailleurs, que Brécourt, quoique attaché à la troupe de l'Hôtel de Bourgogne, avait conservé de bonnes relation avec ses anciens camarades de la troupe du Palais-Royal [2] ainsi qu'avec la famille Béjart. Ce fut Claude Barbin, libraire-éditeur de Molière, qui acheta le manuscrit de la comédie de Brécourt et qui en publia la première édition; bien plus, Barbin, sans doute avec le consentement de la veuve de Molière, ajouta cette comédie à l'édition des Oeuvres de l'illustre auteur comique, qu'il fit paraître en 1674.

L'Ombre de Molière est un éclatant hommage d'estime et d'ad­miration rendu au caractère et au génie du grand homme que la France venait de perdre. On est étonné que l'Hôtel de Bourgogne, qui retentissait encore des calomnies de Montfleury et des épigrammes de Boursault contre le chef de la troupe du Palais-Royal, ait pris l'initiative de cette espèce de réparation d'honneur. Brécourt, il est vrai, avait été lié avec Molière; il avait joué dans ses pièces, et l'on se souvenait du talent fin et naïf à la fois avec lequel il avait rempli le rôle d'Alain aux premières représentations de l'École des Femmes. Il s'était depuis séparé de la troupe de Monsieur, pour entrer dans la troupe royale de l'Hôtel de Bourgogne, mais il n'avait jamais été brouillé avec Molière. [3]

C'est à Molière qu'il avait dédié sa première comédie, La Feinte Mort de Jodelet, quoique la dédicace ne porte aucun nom. Voici cette dédicace à Monsieur de ***** qui est imprimée en tête de la comédie (Paris, Jean Guignard, 1660, in-12), représentée à l'Hôtel de Bourgogne avant que Guillaume Marcoureau, sieur de Brécourt, eût été engagé dans la troupe du Palais-Royal:

Monsieur,

Je m'imagine que vous trouverez assez estrange qu'un homme qui n'a jamais eu l'honneur de vous parler que deux fois prenne la liberté de vous dédier un ouvrage si peu digne de vous occuper; mais, comme la representation ne vous en a pas depleu, je me persuade facilement que la lecture vous pourra faire passer quelques momens de melancolie, si vous en avez; je ne me vante pas que ce soit par le peu de merite de cette petite comedie, mais peut-estre bien par le souvenir que vous aurez, en la lisant, de la charmante execution de ceux qui l'ont representée. Ce n'est que par là sans doute qu'elle vous a diverty, et très asseurement, si vous l'aviez leue avant que de l'avoir veue jouer, vous l'eussiez jouée vous mesme et son pauvre pere aussi; elle en seroit morte de regret, et moy de honte; mais, comme les comediens servent d'âme à la comedie, je l'ay animée en la faisant representer, et sa réüssite m'a fait regagner ma pudeur poëtique, [4] et principalement quand j'ay veu qu'elle vous faisoit espanouir la ratte; mais, Monsieur, malgré cet anthousiasme, je vous trouve bien malheureux en rire: vous ne vous estes pas si tost rejouy que vous en portez la folle enchere: parce que la Feinte Mort de Jodelet vous a donné quelques moments de joye, il faut que vous ayez peut-estre l'eternel chagrin de vous voir dedier un coup d'essay. Voila qui est bien fascheux pour vous, mais plus encore pour moy, car j'apprehende bien que, pour punition de ces deux contraires que je cause, vous ne me souffririez pas la qualité de,

Monsieur,

Votre tres-humble

et tres-obeissant serviteur,

Brecourt.

Cette dédicace amena certainement l'entrée de Brécourt au théâtre du Palais-Royal. «Vous sçavez que j'estimois Molière, dit Oronte, qui n'est autre que Brecourt lui-même, dans le prologue de L'Ombre de Molière, et cette pièce n'est autre qu'un monument de mon amitié que je consacre à sa mémoire. La manière dont il paroît dans ma comedie le represente naturellement comme il estoit, c'est-à-dire comme le censeur de toutes les choses déraisonnables, [5] blâmant les sottises, l'ignorance et les vices du siècle.» Brecourt ne s'arrête pas là dans ses éloges. Après avoir fait dire à Cleante que le théâtre de Molière «a servy longtemps d'une divertissante école», «il estoit dans son particulier, ajoute-t-il, ce qu'il paroissoit dans la morale de ses pièces, honneste, judicieux, humain, franc, genereux», Molière n'a pas eu d'oraison funèbre plus sincère et plus flatteuse.

On comprend que L'Ombre de Molière ait été longtemps partie intégrante des Œuvres de Molière, et l'on doit regretter que cette jolie comédie n'y figure plus comme un monument de l'amitié de Jean Marcoureau, sieur de Brecourt, pour son honnête, judicieux, humain, franc, généreux camarade.

 

P. L. Jacob, bibliophile.

 

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*) Préface de l'édition de 1880.