Guillaume Marcoureau, dit Brécourt
1638 -1685
L'Ombre de Molière
Paris, 1674
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SCENE IX.
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NICOLE, PLUTON, MOLIERE, MINOS,RADAMANTE, CARON.
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MOLIERE. | |
A | h! c'est Nicole.NICOLE riant à gorge déployée.Hé, oüy, c'est moy. Quand [53] j'ay appris que vous estiez icy, par ma figue, ay-je dit en moy-mesme, il faut que j'aille voir ce pauvre Homme qui m'a tant fait rire en l'autre Monde.MOLIERE.Tu es donc bien aise d'estre en celuy-ci, Nicole, puis que tu ris si fort?NICOLE.C'est que vous m'avez appris à me moquer de tout: Et puis franchement je ne suis pas trop fâchée d'estre icy, & je ne trouve pas que la Mort soit si dégoûtante que l'on se l'imagine. [54]PLUTON.Et d'où vient que tu t'accommodes si aisément d'une chose que les Hommes trouvent si peu aimable?NICOLE.C'est que je ne me souciois guère de vivre.PLUTON.Quoy! tu n'estois pas bien aise de voir la lumière?NICOLE.Non, car je ne faisois tous les jours que la mesme chose, dormir, boire, & manger; & il me semble que le plaisir de la vie est de changer quelquefois. A cette heure, voulez-vous que je vous dise, il y a [55] une certaine égalité parmy les Morts qui ne me déplaît pas. Je ne voy personne icy qui soit plus grand Seigneur l'un que l'autre; & j'ay pensé étoufer de rire, quand j'ay rencontré en venant mille sortes de Gens qui se desesperoient. Un riche Banquier, pâle & maigre, qui endêvoit de s'estre laissé mourir de faim. Un Amoureux qui s'est tué pour une Maistresse qui ne l'aimoit point. Un Alchimiste qui enrageoit d'avoir passé sa vie en fumée; mais entr'autres choses, des Dames qui pleuroient de me voir assise aupres d'elles. D'autres qui s'affligeoient [56] de n'avoir plus de Toillettes, de Miroirs & de petites Boëtes. Il n'y a rien de plus plaisant que de les voir sans rouge, & sans cheveux; avec leur grand front chauve, leurs yeux creusez, & leurs jouës décharnées, vous les prendriez pour des Caresme prenans. Enfin la plus belle & la plus laide se ressemblent comme deux goutes d'eau.PLUTON.Il n'est pas question de cela. Qu'avez-vous à dire contre l'Accusé?NICOLE.Moy? Par ma figue, je n'ay [57] rien à dire contre luy, c'est une bonne Ombre; & tenez, Monsieur Pluton, c'est peut-estre la meilleure Piece de vostre Sac.PLUTON.Que voulez-vous donc?NICOLE riant.Monsieur, je viens vous prier. . . .PLUTON.Hé?NICOLE riant.Je viens vous prier, Monsieur. . . .PLUTON.Et là, dites donc?NICOLE riant toûjours.Je viens vous prier, Monsieur. . . [58] de me. . . laisser. . . de me laisser. . . de me laisser. . .PLUTON la contrefaisant.Et moy, ma Mie, je vous prie de nous laisser. . . de nous laisser. . . de nous laisser. . . de nous laisser en repos, s'il vous plaist.NICOLE éclatant de rire.Monsieur, je vous prie. . . s'il vous plaist. . . de m'accorder le plaisir. . . le plaisir de rire tout mon sou, de vous, & de vostre Royaume.PLUTON.Ostez-moy cette Impudente. Qu'est-ce encore? Je n'en veux plus entendre; Qu'on me laisse en repos; [59] L'Audience est finie, & je vay prononcer.CARON.Hé, c'est l'Ombre de Pourceaugnac, ce brave Limousin; Elle n'a qu'un mot à vous dire.PLUTON.Hé bien, qu'il entre. Ah quelle peine! Ne sera-ce jamais fait? |