BIBLIOTHECA AUGUSTANA

 

Guillaume Marcoureau, dit Brécourt

1638 -1685

 

L'Ombre de Molière

 

Paris, 1674

 

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[21]

SCENE II.

 

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CARON, LE POETE, LES DEUX OMBRES.

 

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CARON.

Q

ue font-là ces Coquins? Allons, tout est-il net?

1e OMBRE.

Oüy, Messieurs, & vous pouvez quereller icy fort proprement.

CARON.

Quoy! tu ne me laisseras pas en repos? Veux-tu te retirer?

LE POETE.

Helas, Caron! helas! [22]

CARON le raillant, sur le mesme ton.

Helas, Caron! helas! A qui diable en as-tu avec tes piteux helas?

LE POETE.

Quoy! me laisser secher ainsy dans les Champs Elysées! N'as-tu point quelque endroit à me mettre, & doy-je rester parmy les Ombres errantes?

CARON.

Et où veux-tu que je te fourre, malheureux Génie que tu es? Veux-tu que je te mette parmy les Poëtes? Cela est indigne de ton mérite. Que je t'aille nicher aussy parmy des [23] Héros; Ma foy, tu les a un peu trop bien accommodez, pour croire qu'ils s'accommodassent de toy.

LE POETE.

Et quel outrage leur ay-je fait?

CARON.

Ce que tu leur as fait? Ma foy, tu en as fait de forts jolis Garçons; & principalement les Héros Grecs ont grand sujet de se loüer de toy. Tu les as si bien barboüillez, qu'ils n'ont plus besoin de masque le Carnaval pour se déguiser.

LE POETE.

Que tu fais le plaisant mal à propos! [24]

CARON.

Tu as raison, mais ce n'est que depuis que nous nous voyons. Ce Faquin, sans me connoistre, m'a si bien traduit en Diseur de bons mots, que l'on me chante en l'autre Monde comme un Opérateur Crotesque, moy qui à force d'entendre des lamentations, dois estre triste comme un Bonnet de nuit sans coëffe. Hé bien, tenez, ne voila-t-il pas encore? Un Bonnet de nuit sans coëffe! Depuis que je connoy cet Animal, je ne dis que des sottises. Il me prend envie de te mettre aux mains avec Virgile, il t'apprendra [25] à me connoistre.

LE POETE.

Helas, Caron! helas!

CARON.

Encore? Ma foy, je te bailleray de ma Rame sur les oreilles.

LE POETE.

Peux-tu traitter avec tant de rigueur un Génie qui a passé pour la douceur mesme?

CARON.

Hé tu n'estois que trop doux, mon Enfant, & un peu de sel t'auroit fait grand bien. Mais je suis las de t'entendre; nous avons bien d'autres affaires; Adieu, va te promener. Ne va pas gâter nos belles [26] Allées au moins, ny t'amuser à cueillir nos Lauriers. Ce n'est pas viande pour tes Oyseaux.

LE POETE.

Où veux-tu donc que j'aille?

CARON.

Promene-toy sur l'Egoust; &, si la faim te prend, on te permet de manger quelques Chardons pour te rafraîchir la bouche.

LE POETE.

Helas! Car . . .

CARON.

Ah, le Bourreau! Tu ne sortiras pas? Allons, Balayeurs, faites vostre charge; Voicy [27] Pluton; & cet animal n'a que faire icy.

 

Les Ombres chassent le Poëte avec le manche de leurs Balays.