|
- D i s c o u r s II.
_______________
- Amour sort du Palais de Jupiter, et va resvant à son infortune.
A m o u r.
Ores suis je las de toute chose. Il vaut mieus par despit descharger mon carquois, et getter toutes mes flesches, puis, rendre arc et trousse à Venus ma mere. Or aillent où elles pourront, ou en Ciel, ou en Terre, il ne m'en chaut: Aussi bien ne m'est plus loisible faire aymer qui bon me semblera. O que ces belles Destinees ont aujourd'hui fait un beau trait, de m'avoir ordonné estre aveugle, à fin qu'indiferemment, et sans accepcion de personne, chacun soit au hazard de mes traits et de mes flesches. Je faisois aymer les jeunes pucelles, les jeunes hommes: j'accompagnois les plus jolies des plus beaus et plus adroits. Je pardonnois aus laides, aux viles et basses personnes: je laissois la vieillesse en paix: Maintenant, pensant fraper un jeune, j'asseneray sus un vieillart: au lieu de quelque beau galand, quelque petit laideron à la bouche torse: et aviendra qu'ils seront les plus amoureus, et qui plus voudront avoir de faveur en amours: et possible par importunité, presens, ou richesses, ou disgrace de quelques Dames, viendront au dessus de leur intencion: et viendra mon regne en mespris entre les hommes, quand ils y verront tel desordre et mauvais gouvernement. Baste: en aille comme il pourra. Voila toutes mes flesches. Tel en soufrira qui n'en pourra mais.
V e n u s.
Il estoit bien tems que je te trouvasse, mon cher fils, tant tu m'as donné de peine. A quoy tient il, que tu n'es venu au banquet de Jupiter? Tu as mis toute la compagnie en peine. Et en parlant de ton absence, Jupiter ha ouy dix mille pleintes de toy d'une infinité d'artisans, gens de labeur, esclaves, chambrieres, vieillars, vieilles edentées, crians tous à Jupiter qu'ils ayment: et en sont les plus aparens fachez, trouvant mauvais, que tu les ayes en cet endroit egalez à ce vil populaire: et que la passion propre aus bons esprits soit aujourd'hui familiere et commune aus plus lourds et grossiers.
A m o u r.
Ne fust l'infortune, qui m'est avenue, j'usse assisté au banquet, comme les autres, et ne fussent les pleintes, qu'avez ouyes, esté faites.
V e n u s.
Es tu blessé, mon fils? Qui t'a ainsi bandé les yeus?
A m o u r.
Folie m'a tiré les yeus: et de peur qu'ils ne me fussent renduz, elle m'a mis ce bandeau qui jamais ne me peut estre oté.
V e n u s.
O quelle infortune! he moy miserable! Donq tu ne me verras plus, cher enfant? Au moins si te pouvois arroser la plaie de mes larmes.
Venus tasche à desnouer la bande.
A m o u r.
Tu pers ton temps: les neuz sont indissolubles.
V e n u s.
O maudite ennemie de toute sapience, à femme abandonnee, ô à tort nommee Deesse, et A plus grand tort immortelle. Qui vid onq telle injure? Si Jupiter, et les Dieus me croient, à tout le moins que jamais cette meschante n'ait pouvoir sur toy, mon fils.
A m o u r.
A tard se feront ces defenses, il les failloit faire avant que fusse aveugle: maintenant ne me serviront gueres.
V e n u s.
Et donques Folie, la plus miserable chose du monde, ha le pouvoir d'oter à Venus le plus grand plaisir qu'elle ust en ce monde: qui estoit quand son fils Amour la voyoit. En ce estoit son contentement, son désir, sa félicit6é. Helas fils infortuné! O desastre d'Amour! O mere desolee! O Venus sans fruit belle! Tout ce que nous aquerons, nous le laissons à nos enfants: mon tresor n'est que beauté, de laquelle que chaut il à un aveugle? Amour tant cheri de tout le monde, comme as tu trouvé beste si furieuse, qui t'ait fait outrage! Qu'ainsi soit dit, que tous ceus qui aymeront (quelque faveur qu'ils ayent) ne soient sans mal, et infortune, à ce qu'ils ne se dient plus heureus, que le cher fils de Venus.
A m o u r.
Cesse tes pleintes douce mere: et ne me redouble mon mal te voyant ennuiee. Laisse moy porter seul mon infortune et ne desire point mal à ceus qui me suivront.
V e n u s.
Allons, mon fils, vers Jupiter, et lui demandons vengeance de cette malheureuse.
|